Ses parents ne croyaient pas au principe d’économie. Ils pensaient tout deux qu’il ne servait à rien de garder un peu d’argent de côté, que c’était ce genre de procédés qui ferait qu’on ne les utiliserait jamais, qu’il valait mieux profiter de ce qu’on gagnait maintenant, et si on en avait trop, d’en faire profiter les autres. Ses parents étaient généreux, l’avaient toujours été et ne s’en cachaient pas. Peut-être se faisaient-ils abuser, les gens avaient vitre compris leur générosité et venait quémander au pas de leur porte pour toujours un peu plus… mais ils n’en avaient jamais touché un mot, ne s’en étaient jamais plaint : ils disaient qu’ils avaient suffisamment pour partager au monde, pour aider tout un chacun mais… mais ils ne se rendaient pas compte qu’au final, il n’y en aurait plus pour leur fille.

Ils avaient voyagé aux quatre coins du monde. Delilah est d’abord née aux Etats-Unis, près de la frontière mexicaine. La famille est restée dans ce coin pendant sept ans, avant de passer la frontière pour passer vivre dans différents pays d’Amérique latine, aidant les populations en leur fournissant des soins, ses deux parents étaient médecins, de la nourriture, et tout l’argent qu’ils avaient en trop pour les aider à améliorer leur situation. Ils avaient fait ça toute leur vie. Ils avaient bien sûr pris une pause à la naissance de leur fille, pour la voir grandir, dans un environnement stable, mais ils n’avaient pas pu se retenir plus longtemps, même si elle était encore jeune, il fallait qu’ils recommencent, qu’ils continuent. Le malheur du monde les faisait trop souffrir pour qu’ils cessent d’aider.

Delilah ne s’en est jamais plain, elle n’en voyait pas l’intérêt. Elle découvrait de nouvelles personnes, de nouveaux horizons, elle créait son éducation auprès de gens si généreux de partager leur culture. Elle développait ses sens, créait de nouvelles habitudes, se gorgeait des coutumes des différents pays dans lesquels elle vivait. Elle se faisait des amis, des bons, de ceux qu’on sentait qu’ils allaient rester pour toujours au fond de son cœur, et c’était à chaque fois la déchirure lorsque ses parents annonçaient qu’ils allaient déménager, qu’ils allaient partir voir un nouveau pays. Et les deux adultes voyaient bien la tristesse qui se développait à chaque fois, et ce fut pour ça que lorsqu’elle eut 14 ans, ils décidèrent de s’installer définitivement en Corée, leur pays d’origine.

Pendant 5 années ils sont restés à Séoul, apprenant à leur fille à mieux parler la langue pour s’intégrer, l’aidant à tout. Ils étaient enfin devenus des parents pour elle, et non plus pour toute la société, exerçant un métier classique de médecin dans un hôpital. Ils étaient redevenus des gens normaux, même s’ils ne pouvaient pas s’empêcher d’à nouveau distribuer leur argent à qui le voulait bien. La stabilité de savoir qu’elle allait rester de longues années sur le même territoire fit du bien à Delilah, elle se faisait des nouvelles amitiés qu’elle savait qu’elles pourraient durer. Puis, il fut le moment d’entrer à la fac, le moment de quitter ses parents pour aller commencer sa propre vie, même si son choix d’étude avait été fortement influencé par ce qu’ils faisaient. Et comme leur fille devenait grande, ils sentaient qu’elle n’avait plus besoin d’eux, qu’ils pouvaient à nouveau partir voyager dans tous les pays pour reprendre cette passion d’aider longtemps abandonné. Et ils quittèrent tous le domicile familial.

11 décembre 2016, Egypte. Attentat à la bombe dans une cathédral du Caire. Au moins 26 morts. Dont 2 coréens.

Et comme ça ils disparurent, laissant derrière eux une fille de 19 ans sans aucun moyen, qui ignorait tout de ce qui pouvait se passer, qui ignorait même ce qu’était la mort, et qui maintenant devait affronter celle de sa seule famille. Elle n’avait personne chez qui aller, ses parents avaient coupé les ponts avec le reste de la famille. Elle n’avait pas d’argent non plus, ses parents n’avaient jamais cru en l’intérêt de mettre de l’argent de côté. Elle était seule pour affronter le monde. Elle termine sa seconde année, utilisant le peu d’argent qui lui restait pour se faire, et quitta le dortoir, quitta la maison, quitta tout ce qu’elle possédait pour ne faire face qu’à elle-même. Seule, 20 ans, et dans la rue. Mais elle était décidé à ne pas abandonner comme ça. Elle cherche des petits boulots par-ci par-là, parfois elle sort chez des amis ou chez son petit-copain afin de prendre soin d'elle. Mais, parce qu'elle est bien trop fière et orgueilleuse pour l'avouer à qui que ce soit, personne de son entourage n'est au courant de sa situation.