Jun on sait jamais quoi penser d'lui, c'est le grand zigoto qui parle jamais, on l'pense muet car il parle le langage des signes, parfois on pense qu'il est sourd alors on lui parle fort et ça l'blase. Lui, c'est pas son audition qui déconne, ni sa voix d'ailleurs, c'est dans sa gorge, dans sa tête. Il sent que ça l'bloque quand il veut parler, il sent cette pression sur ses entrailles, cette angoisse qui lui lêche le ventre. Mais les gens autour de lui sont habitués maintenant, ils l'ont jamais vu parler, ça paraît juste normal maintenant. C'est le "qui-parle-pas" du lot, et même si ça l'bouffe à force d'être considéré comme une bête de foire, qu'est-ce qu'il peut y faire après tout ? Jun c'est l'genre de gars que tu vois en train de pioncer dans un café, dans le métro, dans une biblothèque, toujours dans son p'tit monde parce qu'il veut pas trop s'attacher aux gens, surtout ceux qui parlent, comme il dit. Parce qu'il sait que ça sera toujours une barrière, sa barrière. Il s'enferme dans ses jeux en ligne, dans ses bouquins avec ces histoires qui le font rêver. Il sait qu'un jour il ira partout dans l'monde. Jun, il essaye de s'rendre utile à sa façon, c'est lui qui apporte des gâteaux à sa vieille voisine et qui arrose ses plantes, c'est lui qui donne ses pauvres p'tites économies à des associations qu'il juge importante, parce qu'il veut se sentir utile, il a besoin de savoir que c'qu'il fait, ça sert à quelque chose, ça sert à quelqu'un. Mais il sort pas dehors pour manifester, trop l'angoisse, être entouré de tas de monde, c'est pas pour lui, si son mutisme sélectif est déjà très important alors qu'il n'est qu'en présence d'une personne, j'vous laisse imaginer quand une foule est autour de lui. C'est dans ces moments là qu'il veut disparaître, être invisible, se barrer loin, hyper loin, crever dans un coin même s'il faut.
Jun c'est aussi l'gars qui va tomber amoureux mais qui le dira jamais, il s'contentera de regarder cette fille s'éclater sans lui, parce que c'est un peu un lâche, pour sa défense,
il dirait que c'est parce qu'il est japonais. Ça n'a pas tant d'rapport que ça, mais on fait avec ce qu'on a. S'il pouvait rentrer dans le mur quand il le longe en général, il le ferait,
parce qu'il aime pas ça, qu'on l'fixe. C'est lui qui fixe les gens, c'est lui qui remarque les détails chez les gens, pas l'inverse. Pourtant ça arrive parfois que quelqu'un voit passer un grand machin avec une touffe de cheveux -on peut pas appeler ça une coupe, j'suis désolé- totalement ébouriffés, parfois avec ses frisettes digne d'une célèbre choucroute alsacienne. Mais il évite les autres, parce qu'il flippe Jun, il aime bien ses rêves, il aime bien s'imaginer avec un bon groupe de pote, il aime bien s'voir en train d'éclater de rire en pleine rue avec des gens autour de lui, mais c'est un pessimiste, même s'il se considère comme réaliste, il sait que c'est qu'dans sa tête tout ça. Pourtant il est pas désagréable le nippo-coréen, il sourit même aisément, c'est une oreille attentive, il aime écouter les gens,
s'imprégner de leur vie pour pouvoir s'imaginer tout ça le soir, quand il est seul devant son p'tit ordi. Jun au fond, il attend qu'ça change, il attend qu'il change, il attend d'être courageux.