Partout où je passe, j’entends les mêmes petits ricanements, les mêmes groupes de filles que, même moi, je ne peux pas blairer qui chuchotent d’un air suffisant, supérieur et amusé. J’ignore ce qu’elles ont encore fait, qui est encore victime de leur jalousie extrême et leur immaturité sans limite – et, si moi-même j’utilise ce mot pour les décrire, elles devraient se remettre sévèrement en question – mais je suis bien décidée à le savoir. Je ne suis pas une héro et je ne suis pas là pour sauver les autres, j’en ai conscience, mais je ne peux pas supporter le bizutage en groupe. Si vous avez quelque chose contre quelqu’un, osez vous battre, un à un, avec vos poings, pas sournoisement comme ça. Sinon, c’est moi qui vais vous battre avec mes poings et vous allez vite regretter votre lâcheté. Attaquer à l’aide de rumeurs dont la personne concernée ne connaît même pas l’existence, il n’y a rien de plus bas. De toute façon, ça tombe bien, j’ai fini ma journée exceptionnellement plus tôt, je vais pouvoir m’occuper de ces gamines.
En passant dans les couloirs, j’écoute tout ce que les autres disent, afin de décrypter ce qui les amuse tant – et ça ne me fait pas rire du tout. « Tu connais l’étudiante Han Ji Eun, en médecine ? Il paraît qu’elle a demandé au prof de la complimenter sur son test et de bien la noter… et en échange, elle a fait des trucs pas très sains, si tu vois ce que je veux dire », dit une étudiante en explosant de rire après avoir vu le regard amusé et interloqué de son interlocutrice. Je tourne vivement la tête vers elles et quand elles croisent mon regard noir, elles n’osent pas me confronter et baissent les yeux. Évidemment, aussi bien que cette rumeur absurde circule sur Ji Eun, la rumeur selon laquelle j’ai cassé le nez d’un mec lors d’un combat a fait la une des discussions – sauf que pour le coup, c’était vrai.
Ji Eun, je la connais, vite-fait. C’est une fille très timide, que j’ai déjà approché parce que j’ai pour habitude de côtoyer ses gens-là afin de les aider. Je pense savoir où est-ce que je peux la trouver à cette heure-ci et il vaut mieux que je la prévienne de ce qui se passe afin qu’elle ne soit pas vexée par des regards moqueurs et des chuchotements à son passage. Elle saura, au moins, que les gens ne racontent que des bêtises et que ce sont eux les fautifs, pas elle. Et si je croise celui ou celle qui a déclenché la rumeur, je lui casse la tête.
Les yeux fermés, je l’interpelle et elle lève les yeux vers moi. Incertaine, elle me suit et à son attitude, on dirait que c’est elle qui se sent coupable.

« Tu es au courant de ce qui se passe actuellement ? Les imbéciles s’amusent d’une rumeur selon laquelle tu aurais rendu des « services » à ton professeur pour recevoir des compliments sur ton test. J’imagine que tu as déjà remarqué un certain engouement autour de toi, de toute façon… Dans tous les cas, si quelqu’un t’embête, physiquement ou verbalement, dis-le moi, d’accord ? Je peux te donner mon numéro ou je peux même t’attendre si tu veux, j’ai rien à faire de l’aprèm. »

Je la regarde fixement et je sais que mon ton montre la colère que je ressens ; je ne supporte vraiment, vraiment pas ces manières lâches.

Après lui avoir annoncé ça directement, sans ménagement – et c’est une erreur de ma part – je la voie s’effondrer. Elle ne me regarde pas dans les yeux, mais je vois bien que c’est pour me cacher son visage et, de toute façon, bien vite, elle se met sur le sol, dans une position lamentable qui montre bien que j’aurais dû prendre plus de temps pour lui expliquer ce qui se passait, y aller plus en douceur. Maintenant, malheureusement, c’est trop tard, le mal est fait et je ne peux pas m’empêcher de me dire que, peu importe comment j’aurais pu le dire, la rumeur en elle-même est suffisamment horrible pour que ça provoque une telle réaction. J’attends quelques secondes, ou quelques minutes, je ne suis moi-même pas certaine, et je m’accroupis pour mieux l’observer. Je n’ai jamais été victime de ce genre de sales rumeurs, et tant mieux pour tout le monde. Les gens sont peut-être un peu trop craintifs de mon impulsivité – ou de celle de mon frère – pour oser faire ce genre de choses sur moi. Bien entendu, si un jour quelque chose comme ça arrive, je serai plutôt du style à détruire de plusieurs coups de poings tous les visages des gens qui me regardent plutôt qu’à m’effondrer pour leur montrer qu’ils m’ont atteint, mais je sais que je ne peux pas demander à tout le monde d’être aussi violent que moi. Il y a des gens qui ont des caractères différents, plus sensibles et je tolère parfaitement ça. Ce que je tolère moins, c’est que les gens soient suffisamment lâches pour s’en prendre justement à ceux qui n’arrivent pas à se défendre.
D’une voix cassée et enrouée – sûrement par les larmes – elle me pose une question qui me fait réfléchir plusieurs secondes. Ses yeux se lèvent vers les miens et je réfléchis à ce que je pourrais répondre, à ce qui serait le mieux. Je ne suis pas une psychologue, je ne suis pas une justicière mais pourtant, c’est plus fort que moi. Je m’approche toujours de ceux qui ont des soucis, toujours de ceux qui vont mal comme si je pouvais les aider à chaque fois. Peut-être que c’est un moyen pour me donner de l’importance.

« Je te dirais bien que le mieux, c’est de tous les frapper, mais il n’y a que moi pour faire une chose pareille. Sinon, les gens disent que l’indifférence est la meilleure des armes. Montre que tu t’en fiches – même si c’est faux – montre qu’ils ne t’atteignent pas, montre que même si leur but c’est de détruire, de t’effrayer ou de te rendre seule, ils n’y arriveront pas. Montre-leur que tu es plus forte qu’eux. Je t’aiderai si tu veux. Je t’écouterai si tu as besoin d’en parler. On ne peut pas revenir dans le temps et annuler la rumeur, mais on peut faire en sorte que ça ne t’atteigne pas comme les gens qui l’ont lancée le voudraient. »

Je fouille dans une de mes poches pour trouver un paquet de mouchoirs et je lui tends. Vraiment, des fois, je me dis que j’aurais dû prendre le cursus psychologique – mais, on peut dire que les avocats prennent aussi en compte la psychologie de leurs clients. Il faut savoir si son client ment et, s’il est coupable, pourquoi il a fait ça, essayer de lui trouver des circonstances afin de diminuer sa peine. Ou si le client est victime, trouver des éléments afin d’empirer le dossier du coupable. Finalement, en aidant les gens qui vont mal, c’est comme si j’étais déjà avocate – mais au lieu de les défendre dans un procès, je les défends dans la vie de tous les jours.

Je reste silencieuse lorsqu’elle me remercie. Je ne sais pas vraiment quoi lui dire, j’ai fait ça sous l’impulsion tellement je trouvais injuste cette situation alors je ne mérite pas grand-chose. Ça me fait quand même plaisir de la voir me sourire mais c’est peu convaincant, c’est évident qu’elle ne va pas bien du tout et que cette rumeur la touche. Les étudiants sont vraiment des monstres entre eux, prêts à tout pour enfoncer autrui et sortir sa tête du lot. La société est comme ça mais ça me dégoûte toujours autant de voir ça. S’ils veulent tant se faire remarquer et se mettre en avant, ils devraient prendre la peine de marcher jusqu’au devant de la scène, au lieu de forcer les autres à reculer pour ne pas avoir à bouger. C’est vraiment lâche. Je la vois marcher et s’en aller, toujours en état de choc. Je reste immobile et je ne sais pas trop quoi faire, je n’ai pas de cours de l’après-midi et ça me fait sincèrement de la peine de la laisser seule face aux regards et murmures qui l’attendent. Qui sait si des imbéciles n’iront pas jusqu’à la frapper par jalousie ? Non, vraiment, je ne serai pas capable de rester la tête tranquille si une telle chose arrive. Je soupire et au moment où je m’apprête à abandonner et repartir, je la vois revenir en courant. Légèrement essoufflée mais souriante, elle me demande de la protéger. C’est un peu étrange dit comme ça, ça me donne la sensation d’être une mère ou une grande sœur. Ou un garde du corps, aussi. Mais l’idée ne me déplaît pas, je lui ai moi-même proposé un peu plus tôt et je préfère ça qu’être anxieuse pour elle toute la journée.

« Bien sûr. »

Je lui rends son sourire pour la rassurer et je la regarde fixement, afin d’analyser si elle s’en est un peu remise ou non.

Je la regarde et malgré le sérieux de la situation, je ne peux m’empêcher de crier intérieurement, telle une gamine : « Min Ah, bodyguard à votre service ! ». Tout de même, ça me fait plaisir que de simples paroles et une aide qui me coûte si peu lui permettent de sourire de cette manière, contrairement à sa précédente réaction. Comme quoi, j’ai bien fait de ne pas juste passer à côté, j’ai bien fait d’intervenir et de décider de l’aider. Je n’ai pas douté une seule seconde que je devais faire ça mais quand même, au cas où, maintenant je sais que j’ai bien fait. C’est le meilleur choix possible, il ne faut jamais laisser une personne se faire victimiser par des imbéciles, et encore moins quand cette personne a du mal à s’imposer.

« Bien sûr que ça me va. »

Je lui fais un sourire.

« D’ailleurs tu devrais vite y retourner parce que tu seras en retard. »

Mon sourire s’agrandit et je me mets à marcher vers la salle où elle était quand je suis venue la chercher, ignorant si c’était là qu’elle devait vraiment aller ou pas.