Je pose le dernier carton en soupirant bruyamment. Je ne sais pas à quel moment, dans mes sept ans de scolarité à l’université, j’ai pu m’acheter autant d’habits mais visiblement, je ne connais pas les limites des achats. Bon, rien de surprenant puisque bon nombre de mes connaissances m’ont déjà dit que j’abusais mais… là, je m’en rends vraiment compte. Je ne pensais pas avoir sept cartons remplis uniquement d’habits. Sans parler de ceux que j’ai achetés mais jamais portés. Quand je parlais de changement de chambre pour être avec Seah, je ne m’imaginais pas un déménagement aussi chiant. En fait… j’aurais dû demander à mon frère de m’aider, tiens… c’est limite étonnant que je n’y ai pas pensé avant. Je ne devais pas avoir conscience du tout du nombre de cartons d’habits que je devais transporter… enfin bon. Ça vaut bien le coup, si c’est pour être dans une chambre de deux avec ma pote d’enfance ! Quand je pense qu’on a passé autant de temps à ne pouvoir se parler que par Internet, à se voir qu’une fois par an… au moins, maintenant, non seulement on est dans la même université mais en plus, dans la même chambre, et rien que nous deux. D’autant plus que je me débarrasse de Su Ah dans ma chambre ; même si, c’est une fille cool, je ne peux pas m’empêcher d’avoir un petit truc qui me dérange. Je sais parfaitement ce qu’est ce petit truc en question, d’ailleurs.
Je tourne la tête vers Seah qui vient de rentrer avec son dernier carton en main également.

« On a fait le plus fatigant !! »

Je dis ça bien plus fort que je ne l’avais prévu mais, en général, mon côté enfantin et bruyant – qui fait parti de moi naturellement – ressort encore plus quand je suis en sa présence. D’ailleurs, je pense que notre chambre sera l’une des plus bruyantes des sango… et tant mieux. On mettra l’ambiance, comme ça !

« Cet-à-dire que… on va bientôt pouvoir faire la fête !! »

Je préfère penser à ça plutôt qu’à toutes les choses que je dois enlever des mes cartons, plier, ranger et tout ces trucs-là… j’ose même pas imaginer le temps que ça va prendre. Franchement, si je tenais pas autant à mes habits et si je n’avais pas un minimum de respect envers l’argent qui a été utilisé pour les acheter, je les laisserai pliés dans les cartons comme des malpropres.

Février 2012. Le carton ripe une nouvelle fois contre la patine du bois. « On te suit à la trace. » Je passe une main dans ma chevelure brune et relève les épaules devant la silhouette figée au rire railleur. « T’es là pour te moquer ? Je préfèrerais plutôt que tu me fasses un café. » Je tire sur sa joue d’un toucher maternel exagéré avant qu’il n’attrape mon poignet et m’attire contre lui. « Dis pas de bêtises, je vais t’aider à charger tout ça dans la voiture. » Ma joue se colle contre son vieux pull de trois jours. « Tu m’étouffes. » J’aurais plus à supporter ses petites frappes de grand-frère-qui-sait-tout sur le haut de mon crâne. « Aïe ! » « Ecoute Oppa au lieu de te plaindre ! Et tu sais bien que le café c’est non pour toi. » Il me relâche et soulève d’une main le carton dans les airs.


Août 2017. Je m’applique à faire rentrer le dernier carton. Rien qu’un dernier effort et je découvre ma nouvelle chambre. Elle est lumineuse, elle est spacieuse, à mes yeux elle est parfaite. Les mains sur les hanches, j’admire tous nos efforts répétés et les muscles sollicités à réaliser notre premier emménagement à deux et sans l’aide de personne. « Une heure et demi. C’est le prix de l’indépendance… je suis sûre que si mon carton de livres s’était pas crevé dans les escaliers, j’aurais été deux fois plus rapide. » Je fais la moue et me jette sur les premières couvertures que je vois. Le lit du bas est confortable mais je n’ai pas encore décidé celui que j’occuperai cette année. Je dois dire qu’avec l’excitation de l’emménagement, le rush des cartons et les problèmes administratifs quasi-classiques du lot, Min Ah et moi avons à peine eu le temps de discuter de l’organisation de la chambre.

Du reste, elle a raison. Nous avons fait le plus fatiguant et défaire les cartons viendra petit à petit. Je me connais, il va me falloir un bon coup de pieds au derrière pour que ça se fasse dans les temps règlementaires mais la rentrée n’a pas encore eu lieu. Rien ne presse, sauf peut-être de fêter notre nouvelle terre promise d’indépendance et de maturité. Je me redresse d’une traite sur le lit et vient à faire le premier constat qui me frappe et me remplit de bonheur. « Adieu les salles de bain communes ! » Je slalome entre les cartons dont l’un d’eux griffe la peau de mon mollet. La douleur est si fine que je la sens à peine, j’ouvre la porte de la salle d’eau en grand et fond d’extase en admirant l’espace, la confort et l’aménagement idyllique de la pièce. « Il y a même un loquet… un loquet ! » Je plaque mon dos contre le chambranle de la porte et ma tête bascule à l’arrière contre le mur de la chambre. « J’aime tellement cette salle de bain… je suis prête à faire la fête dedans. »

Je reviens sur la terre ferme quand je vois le nombre de cartons annotés « vêtements » qui m’encerclent comme une petite armée bien rôdée. J’en ai des vêtements, mais certainement pas autant que ça ! « Tu fais un élevage de tissus clandestin ? Je te préviens ! Si tout ça ne rentre pas dans TON armoire, il est hors de question que je te file une étagère de la mienne ! » Je la connais Min Ah, elle est aussi fourbe que moi.

Tandis qu’elle va voir la salle de bain, je regarde mes cartons d’habits d’un air exaspéré. Je sais à quoi ressemblent les chambres de deux pour être rentrée plusieurs fois dans celles de mon frère et de Jung Hwa alors je ne suis pas surprise de la salle de bain et du reste – mais je n’en reste pas super contente du changement. Pour l’instant, ce qui me choque le plus, ce sont tous ces cartons et visiblement, Seah réagit pareil. C’est certain que je n’aurai jamais la place de tout rentrer dans mon armoire et je ne sais même pas comment ça rentrait dans l’ancienne…

« Euh… et si je t’en donne ? Tu les mets dans ton armoire si tu peux les porter ? Mh ? »

Je lui fais les yeux doux ; plutôt qu’une proposition c’est surtout une faveur que je lui demande. Je n’ai pas du tout le coeur à jeter d’aussi belles affaires (même si je ne me rappelle pas de la moitié, je sais que j’ai bon goût pour les achats d’habits).

« Regarde, si tu veux, je te donne tout ce qui te plaît ! J’en ai tellement, je suis sûre que tu trouveras ton bonheur, mh ? Tu trouveras même le double de ton bonheur ! C’est quasiment de la marque et tout… on fait donnant-donnant ? »

Ma voix se fait de plus en plus douce et suppliante pour qu’elle accepte. Je sais que Seah me connaît très bien et elle sait que je ferai tout pour arriver à mes fins, donc je ne sais pas si elle me croira sur paroles – et pourtant je dis la vérité.

« Vu tous les habits, c’est pas possible que je porte tout donc autant que t’en profites ? Hein ? »

Je cherche du mieux que je peux d’autres arguments, n’importe lesquels mais comme je ne trouve rien, je change de suite de sujet, tant qu’il en est encore temps.

« Et t’as regardé les toilettes ? Les toilettes dans les chambres de deux sont super grandes, on pourrait presque faire des fêtes dedans aussi ! »

Bon, je sais que les toilettes, ce n’est pas le meilleur sujet du monde mais qui ne tente rien n’a rien, après tout… Je me rapproche des lits sans attendre de réponse et je les regarde. Je ne sais pas du tout lequel choisir. Celui du haut peut être sympathique mais si j’ai un sommeil agité, un jour… je risque de le ressentir. Celui du bas, par contre, est destiné à entendre toute la nuit les barreaux du haut bouger à chaque mouvement du camarade de chambre… on devrait peut-être choisir la plus légère des deux en haut ? Ou bien on choisit à pierre-feuille-ciseaux ?

A l’annonce des sujets qui fâchent, je suis curieuse de voir à quoi ressemblent les armoires. Je traverse la chambre d’un pas expert, comme si les cartons posés au sol avaient toujours été là et que j’avais grandi entre eux, chacun bien à leur place en plein milieu de la pièce. « Ce sont les mêmes que dans les chambres de quatre ! L’avantage, c’est qu’il y a une penderie en plus ! Et que la couleur qu’ils ont choisie est franchement plus jolie ! » Mention arts et déco je n’y connais pas grand-chose mais je fais ma petite révolution en tourbillonnant sur le parquet de la chambre.

Mes vêtements à moi, je sais qu’ils rentreront tous dans l’armoire parce que je n’ai aucun mal à me séparer des vêtements que je mets pas. Soyons honnêtes, c’est une ruse. Tout ce qui n’est pas au dortoir est à l’appartement que je partage avec mon frère. Mon dressing y est aussi plein que dans ma chambre d’université mais c’est une technique qui me permet de répartir les volumes. Et comme de toute façon la moitié de ma penderie est toujours sans dessus-dessous et la moitié restante éparpillée un peu partout dans ma chambre et sur mon bureau, l’espace se trouve nettement optimisé – quoi que l’organisation un peu moins.

« Hm. Laisse-moi réfléchir, d’accord ? » Elle et moi n’avons pas le même style pourtant, je pourrais lui envier quelques pièces qui m’iraient à ravir. Et pour me séduire, madame sort tous les arguments démagogiques de la vendeuse employée du mois. Je ne perds pas mon temps et bavasser et fouine distraitement, la tête dans ses cartons que j’ouvre et referme à ma guise. « Tu sais que c’est vraiment un cadeau que je te fais, là ? Mais j’accepte. » Je me dresse devant elle avec le sourire d’un business rondement mené. Je lui tends ma main avant de la retirer, scellant bien entre nous les termes du pacte. « On est d’accord que je peux les mettre quand je veux ? » Je voudrais pas me faire avoir sur les mots. Je ne voudrais pas avoir à recueillir certains de ses vêtements pour ensuite me faire punir de les avoir empruntés sans demander. « Je marche ! » Je ne sais pas ce que je mettrai ou non mais étoffer mon dressing de quelques jolies pièces n’est pas un problème pour moi, du moment qu’on ne m’interdit pas de me lover à l’intérieur. « J’aime faire des affaires avec toi Minnie. » Je lui attrape franchement la main avec les yeux brillants de la petite sœur satisfaite.

Mon attention déviée sur les toilettes, je fronce les sourcils. « Non. Qu’est-ce qu’elles font, elles sont chauffantes ? Elles jouent de la musique, elles font des massages, elles… » Je retourne à la salle de bain pour les regarder mais elle voulait simplement me faire remarquer l’espace dont on dispose pour faire nos commissions. « Ah. » Je me retourne et la dévisage bizarrement. « T’as pas besoin de grand-chose pour être heureuse toi, c’est bien… » Ok, c’est l’hôpital qui se fout de la charité… et ok, je me fiche un peu d’elle au passage. J’attrape un coussin que je lui lance en catapulte pour bien achever de me moquer d’elle.

Déjà persuadée que c’est peine perdue, je réfléchis sérieusement à ce que je pourrais faire avec tous ces vêtements. Peut-être que je devrais proposer à Su Ah ceux que je ne porterai pas, je sais qu’elle est très centrée sur la mode – mais justement, accepterais t-elle de prendre des habits « d’occasions », bien qu’ils n’aient jamais été porté pour la plupart ? Je n’en suis pas totalement sûre. Sinon, c’est possible que Ivy en prenne, elle aime bien s’habiller aussi, comme quasiment toutes les filles. Je devrais quand même trouver, dans mon entourage, quelqu’un qui aime mes habits et les portera, non ? Enfin, quoique, au pire, si vraiment personne n’en veut, je pourrai toujours supplier mon frère de les mettre dans son armoire. Il n’acceptera sûrement pas de suite mais si je râle assez longtemps, il finira par céder. Mais bon, vu qu’il aime aussi le shopping, c’est possible que son armoire soit déjà pleine… Jung Hwa alors ? Non, c’est même pas la peine, jamais il n’acceptera de prendre mes habits, lui non plus. Ju Hyeon ? Ah… peut-être, c’est mon meilleur pote après tout… enfin bon, mettre des vêtements que je ne porterai jamais dans une armoire qui n’est ni la mienne, ni celle d’une fille susceptible de les mettre, c’est à peu près pareil que les jeter, après tout. Bon, il va falloir que je trouve une fille alors. Sae Yeon ? Je sais pas trop si ça l’intéresse tout ça… ? Ouah… en fait, je ne sais pas du tout à qui je pourrais refiler tout ça…
« Mais j’accepte. »
Je tourne la tête vers elle, surprise (et c’est un faible mot pour décrire mon état). Est-ce que je viens de me prendre la tête pendant dix ans alors qu’elle accepte ? Eh bah, je pensais pas que ce serait si simple de convaincre Seah… surtout qu’on a pas vraiment le même style alors je ne m’imaginais pas qu’elle accepterait de porter mes habits. Est-ce que mon goût lui plairait aussi sans qu’elle l’avoue ? Je souris à cette idée mais j’évite de trop la taquiner, de peur qu’elle change d’avis et que je doive supplier mon frère ou Ju Hyeon de remplir leur armoire de vêtements féminins. « Oui, bien sûr, quand tu veux ; il y en a plein que j’ai jamais mis et je trouverai peut-être jamais le temps de les mettre, alors ils sont à toi, tout simplement ! » Je la regarde avec des yeux brillants. Maintenant que l’espoir ait né en moi, elle n’a pas intérêt à refuser sinon je les lui fait bouffer les vêtements et elle me dira leur goût ! Je rigole cependant quand elle dit qu’elle aime faire des affaires avec moi et surtout, quand elle m’appelle Minnie. C’est le surnom de mon frère, ça, non ? « Minnie ? Ey, tu veux dire Minus ? Parce que si tu veux voir mon frère, je peux l’appeler, mais pas sûre qu’il apprécie beaucoup ce surnom. » Je lui tire la langue pour me moquer d’elle.
Je rigole en la voyant courir vers les toilettes avec des étoiles dans les yeux et je me dis que, finalement, peu importe le sujet pour détourner son attention, elle sera toujours assez naïve pour se laisser avoir. Tant mieux, ça m’arrange. « Non mais imagine, on a toutes les deux envie de vomir en même temps ? – oui bon je sais que c’est peu probable, mais imagine – bah on peut toutes les deux être aux toilettes, en même temps ! » L’idée est absurde. Je doute que ni elle, ni moi, ne voudrions vomir en même temps dans la cuvette des toilettes. Rien que de m’imaginer ça, c’est dégueulasse. J’aurais dû me taire plutôt que dire de telles conneries…

Ses vêtements ne sont pas si terribles que ça. Elle prend un air choqué qui me fait subitement passer l’envie d’en récupérer quelques-uns dans ma penderie… ou alors elle ne s’attendait pas à ce que j’accepte aussi rapidement. Je suis moi-même étonnée du peu de réflexion que j’ai mis à l’ouvrage. J’étais la première à lui jeter la pierre pourtant, la menaçant de mon index d’un grand, d’un beau et d’un fier « tu ne mettras rien dans mon armoire ! » Bien sûr que je suis incapable de résister à l’appel d’un joli textile qui me file entre les doigts. Je la regarde d’un œil mauvais parce que dans mon bonheur se cache aussi une part d’ombre : c’est mon armoire qu’elle va remplir à craquer maintenant ! Je crois que c’est ça, les joies de la colocation à deux et avec une amie. On n’est plus dans un dortoir de passage à quatre inconnues qui viennent de mettre les pieds à l’université. Cette chambre, c’est un peu notre petit royaume à deux, celui où on peut discuter de tout et n’importe quoi, se disputer sur tout et n’importe quoi. « Je veux des essayages ! Et un défilé. Je serai intransigeante sur tout ce qui doit franchir la porte de ce dressing, hm ? » J’ouvre les bras en grand pour venir étreindre le bois de la commode avec une tendresse infini(ment exagérée.)

Je flaire la bonne affaire, le nez dans ses cartons et je trouve un chouette pull pastel à col rond pour lequel je ne doute pas qu’elle ne l’ait jamais porté vu qu’il n’a pas bougé de son plastique d’emballage. Je passe ma main dessous, il est doux ! je l’adopte et l’envoie en freesby sur l’une de mes piles de carton. « Tu penses pas que t’aurais dû appeler Min Soo plus tôt ? Pour nous aider à monter les cartons, par exemple. » Je lève les yeux au ciel dans sa logique imparable. « Je peux prendre ça ? » Je me redresse et puis relâche le vêtement en voyant l’ampleur du labeur dans lequel je me lance. « Tu sais quoi, j’ai la flemme. On verra ça plus tard ! Minus. » Je lui envoie un baiser volant du bout des doigts quand, en un rien de temps elle arrive à capter mon attention sur la cabine de toilettes.

« Wha… c’est génial. J’ai toujours rêvé qu’un jour, toi et moi, on partagerait nos toilettes. » J’appuie mon épaule contre le tenant de la porte de la salle de bain en tenant fermement la grippe de mon tee-shirt à l’endroit où mon cœur se trouve. Je feins l’émotion, d’une larme heureuse au coin de l’œil mais qui ne coule pas : et laisse retomber mes bras le long de mon corps en même temps que je lève les yeux au ciel dans un demi-sourire. « Ya, Min Ah ! ce que t’es romantique. » Je tourne les talons en ricanant et me laisse tomber comme une masse sur le matelas du lit d’en bas. « Aahhh...! » Ça fait du bien de se reposer.

J’enfonce ma tête dans un petit oreiller hyper confortable que je place correctement sous mon cou quand… « c’est quoi ça ? » Je grince limite des dents, les lèvres déformées par une expression de surprise quand je vois la tête d’un gars qui me sourit incrustée sur la taie d’oreiller… « Zeus » ?

Des essayages et un défilé ? Ça me paraît une bonne idée, mais il faudra mettre un tapis rouge et de la musique de star, sinon ça enlève tout l’amusement. Je suis sûre qu’on peut trouver facilement des tapis rouges pour ça. Je devrais peut-être lui prêter de grands chaussures à talon aussi, pour la classe ? Il faudrait aussi qu’elle se fasse une coupe grandiose et filmer ça. Enfin bon, peut-être que prendre aussi sérieusement un délire enlèvera tout à l’amusement ? « D’accord pour les essayages et pour le défilé… j’enverrai des invitations si tu veux ! » je souris en disant ça. Si on fait vraiment ça, je m’imagine déjà la vidéo circuler dans l’université… Enfin, vu combien mes habits sont beaux, il n’y a aucune honte à défiler en les portant. J’explose de rire en voyant comment elle frôle l’armoire et je secoue la tête, exaspérée de voir à quel point on se prend un peu trop au sérieux.
Je la vois déjà s’intéresser à mes cartons et je me demande pourquoi, quelques minutes auparavant, elle mimait la colère face à eux. Ce sentiment semble s’être totalement dissipé pour laisser place à de l’émerveillement devant certains habits. Bon, le mot est peut-être un peu fort mais il faut voir son visage aussi. Je ne dis rien sur le fait qu’elle envoie balader mes précieux habits vulgairement sur ses cartons parce que je sais que je dois absolument m’en débarrasser. Si je n’avais pas à ce point besoin de place, je lui aurais sûrement fait un cours entier sur l’importance d’un bon traitement sur de tels tissus. « Oui, je sais mais quand j’y ai pensé, j’étais déjà en train de porter les cartons… je m’imaginais pas qu’il y en aurait autant et qu’ils seraient si lourds. » C’est quand même de l’énergie perdue parce que je connais plusieurs garçons qui se seraient fait une joie de porter des cartons lourds pour faire leurs muscles. J’ai à peine le temps de regarder le vêtement qu’elle me montre qu’elle affirme déjà que ça la saoule. Bon, je ne pense pas qu’organiser des après-midis shoppings avec elle ne soit une bonne idée, ça la lasse bien trop vite. Heureusement que mon leurre pour les toilettes fonctionne (d’ailleurs, pourquoi se fait-elle aussi facilement avoir ?)
Je prends à mon tour une expression émue lorsqu’elle formule que nous partageons les mêmes toilettes. « Oui, je trouve que les toilettes devraient être la première inspiration des couples en manque de sorties romantiques », dis-je avec une voix abusivement hautaine. Encore une fois, elle ne marche pas très longtemps dans le délire et elle se laisse tomber sur son matelas. C’est toujours ça avec Seah, beaucoup de délires mais jamais très longs – et tant mieux, comme ça, on a pas le temps de s’en lasser. Les blagues les plus courtes sont les meilleures, c’est bien connu. Malheureusement, je sens venir un moment assez compliqué à expliquer lorsqu’elle voit la taie d’oreiller. Je me racle la gorge et réfléchis à toute vitesse pour expliquer ça rapidement avant que ça dérape. « Haha, c’est un groupe d’idole qui va bientôt faire leurs débuts officiels… t’en as déjà entendu parlé, non ? Je suis la présidente de leur fan-club alors ce serait bizarre si je n’avais pas quelques goodies d’eux, tu vois ? Mh ? » J’enchaîne mes questions en parlant excessivement vite, par peur qu’elle m’interrompe et qu’elle en fasse un scandale.

Je prends les premières directives à l’annonce du défilé. « Je veux des projecteurs et un podium. » Je pointe l’index au luminaire accroché au plafond et trace une allée imaginaire en tendant mes bras vers l’avant. J’attrape une capeline violine qui traîne entre deux cartons et la place sur mon crâne en prenant soin de suggérer quelques poses iconiques pour les caméras. « Musique ? » Nos voisins sont pas prêts à  nous avoir toutes les deux dans la même chambre. Je claque le compteur à moins de deux heures avant que quelqu’un vienne tapoter à la porte pour nous demander d’atterrir et nous rappeler qu’on est dans un dortoir universitaire, et pas dans l’une de ces soirées new-yorkaises.

D’un glamour à l’autre, nous terminons la visite des lieux dans les toilettes dont Min Ah aime à souligner l’importance au travers de sa poésie. Je bois ses paroles avec un certain sourire aux lèvres, celui qui l’écoute déverser son flot de bêtises en même temps qu’il l’incite à continuer d’une oreille amusée. « Magnifico ! Grandissimo ! » Je la tire par le bras avant qu’elle n’ait le temps d’en rajouter une couche (dans le fond, ce ne sont rien d’autre que des toilettes.) Je lui enfonce la capeline que je portais précédemment sur la tête et m’en vais pour tester la literie de ces nouvelles chambres tout confort.

D’un « plop » sur le lit, je me laisse plus ou moins gracieusement retomber lorsqu’un coussin un peu spécial attire mon attention. C’est que j’ai pas l’habitude de me faire dévisager par les yeux particulièrement humains d’un oreiller un peu trop réaliste pour mon propre bien. Je pousse Min Ah à la confession. C’est vrai que j’ai entendu parler de ce groupe, souvent de la bouche de Minus d’ailleurs. Mais je savais pas qu’elle avait une taie d’oreiller à leur effigie. « T’arrêtes pas de m’en parler, ce serait difficile de les oublier. » Je roule des yeux en souriant et me rallonge sur le lit tout en tenant l’oreiller à bout de bras au-dessus de ma tête. « Oppa ! Annyeong… ya ! oppa… sa-rang-hae-yoooo ! » J’imite la voix suraigüe d’une fan girl, ses aegyos et ses yeux doux. Ils ont des traits super doux… super chou… « YA ! MIN AH-JUMMA ! » Je me redresse violemment au point que mon fessier rebondit sur le matelas et ma tête frôle les lattes du haut. « Ils ont quel âge ? Ils ont l’air super jeunes ! » Bon, je dis pas ça pour souligner qu’elle va sur la pente descendante de sa jeunesse mais… je crois qu’un sourire taquin vient de se glisser sur mes lèvres pour venir la taquiner encore un peu. « Oohh… t’aimes ça quand ils t’appellent Noona, pas vrai ? » Je vais mettre le coussin en protection de mon visage et de mon pauvre petit corps au cas où il lui prendrait l’envie de me faire retirer ce que je viens de dire. Niak niak niak.

Je réfléchis quelques secondes. Je ne sais pas du tout où est-ce qu’on pourrait trouver des projecteurs… un podium, ça peut être fabriqué soi-même… mais les lumières, c’est compliqué, quand même. Ou bien on pourrait faire appel à des étudiants qui s’y connaissent ? Les grands moyens pour des personnes aussi fabuleuses que nous ? L’idée devrait être retenue, ça ferait fureur. « Oui, musique ! » je rigole en disant ça. Le dortoir des sangos ne sera plus jamais tranquille, en supposant qu’il l’ait déjà été. Musique à fond, éclats de rire constant, et surtout, surtout, disputes. Parce que seah et moi, on s’adore, mais on a nos tempéraments et parfois, on s’engueule, pendant genre dix minutes avant de se réconcilier. Comme de vraies gamines et de toute façon, c’est ce que nous sommes ; des gosses. Surtout quand on est ensemble.
J’explose de rire en la voyant prendre un accent italien vraiment nul. On en fait peut-être un peu trop pour des simples toilettes, mais on ne peut pas dire que sa vraie réaction pour la salle de bain n’était pas exagérée. C’est une révolution, d’accord mais bon.. bon, j’avoue. C’est une révolution et j’ai beaucoup envié la chambre de mon frère quand j’y allais. Maintenant, je suis au même niveau. Je n’y vois rien pendant quelques secondes et je devine qu’elle vient de m’enfoncer son espèce de chapeau sur le visage. « Pourquoi tu me mets ça ? » je rigole en disant ça et je l’enlève de ma tête. Quand je la revois, elle est déjà sur le lit en train de regarder d’un air douteux mon coussin pour lequel je viens de me justifier. « Yah ! Rigole pas, je suis pas comme ça, quand même pas... » d’autant plus que ce ne sont pas mes oppa, mais je fais en sorte de ne pas le dire pour ne pas qu’elle me taquine sur mon âge. Malheureusement, comme si elle lisait dans mes pensées, elle part sur cette voix là. Je ne peux pas empêcher mon teint de prendre une certaine teinte rouge en disant ça ; j’ai moi-même conscience que je ne devrais pas être fragile face à des jeunes garçons comme eux, mais bon… c’est pour ça que je suis la présidente du fan-club aussi ! J’ai plus un instinct protecteur envers eux, comme s’ils étaient mes petits frères, qu’autre chose… Je me reprends et je lui fais une moue. « Avoue que t’es jalouse, t’aimerais qu’ils t’appelle noona aussi, c’est ça ? » Je lui tire la langue en disant ça et j’espère que mon teint très légèrement rosé a entièrement disparu. « Je te promets que je ne suis pas comme ces fan-girls qu’on voit dans les séries. Mais, tu comprends bien qu’être présidente du fan club sans avoir de goodies, c’est louche, non ? » J’essaie de la faire compatir, mais je doute que cela fonctionne sur elle.

Franchement, je soupire. Je m’attendais à ce qu’elle me mette de la musique dans la foulée pour célébrer notre arrivée dans la chambre comme les plus grandes stars sur le tapis rouge. Mais rien. Parfois je me demande sur quelle planète elle est connectée ma Min Ah. Parce que c’est sûr qu’elle est connectée quelque part… mais c’est loin et ça doit pas beaucoup capter le signal terrestre.

Après une heure à déménager des cartons, j’ai envie de beaucoup de choses mais certainement pas de ranger mes affaires maintenant. Dormir dans une chambre pleine de cartons ça ne peut pas tuer. Le déménagement aujourd’hui et puis le rangement demain… je taquine Min Ah sur ma dernière trouvaille. Elle m’en parle souvent et pourtant, j’ai tendance à oublier qu’elle est présidente du fanclub d’un groupe de trainee qui devrait bientôt débuter. Le truc c’est que j’en sais pas plus. J’ai une mémoire très sélective et quand Min Ah elle parle, elle parle tellement et je la connais depuis tellement longtemps que mes oreilles font le tri naturellement. Une pile pour ce qui est intéressant. Une autre pour ce qui mérite d’être écouté. Et une dernière de tout ce qui tombe dans les limbes du désintérêt total. « Et ils ont même intérêt à m'appeler noona !...si seulement je les connaissais. Parce qu’ils ont des têtes de bébé ! C’est la moindre des choses quand on s’adresse à ses aînés. Tsk tsk tsk. » Je lève mon index en disant tout ça sur un ton dur en même temps que je m’adresse au visage cousu sur le coussin. C’est pas tous les jours que je fais une leçon de morale à une taie d’oreiller, alors je m’applique à bien leur faire passer le message.

Ah ! ma petite Minus impliquée dans des histoires de fanclub et de fan-girl. Je me demande ce qu’elle me réserve comme surprise avec tout ça, je crois que je viens de sauter à pieds joints dans un monde fantastique et fabuleux. J’espère juste qu’ils auront pas un concept de flower boys trop nian-nian ! Manquerait plus que la bande-son des Télétubbies passe en replay H24 dans cette chambre à cause des humeurs de ma nouvelle colocataire. « Je suis curieuse. T’as quoi d’autres comme goodies ? Des stylos ? Si t’as des t-shirts c’est le moment de les déclarer à la douane sinon après j’accepte plus rien ! Eh… tu penses qu’ils ont du papier toilette à leur effigie ? Me met jamais ça dans les toilettes s’il te plait… j’ai pas envie de me sentir fixée dans mon intimité. » Je reste pensive en débitant un flot de paroles invraisemblable.