« On se voit la semaine prochaine, oui. » Je relevai ma tête et souris simplement à la jeune femme avant de la laisser partir, lui faisant un signe de la main pour la saluer. Voilà, dernier cours de tutorat terminé. J'allais enfin pouvoir rentrer au dortoir. J'étais épuisé. Je fermai les manuels de cours, puis je les enfonçai dans mon sac à bandoulière, et je passai mon bras sur mon front avant de poser mes mains sur mes hanches. La salle de classe était vide. Personne. Vu l'heure, ce n'était pas étonnant. Les couloirs devenaient déserts au fur et à mesure que le soleil se couchait. Je ne devais pas tarder. Mon ventre criait famile et j'avais encore du pain sur la planche dans mes propres révisions. Personne n'avait dit que la vie de doctorant était facile. Ainsi, je me tournai vers le tableau où j'avais tellement écrit au feutre marqueur qu'il y avait plus de noir que de blanc. Mes yeux dérivèrent sur les mots parfois entourés, parfois barrés ou même soulignés. Je me rendis compte que ce que je faisais devait vraiment me passionner, en fait. Je n'avais pas conscience de mon comportement, quand je donnais les cours particuliers. Mais je supposais que ça avait du bon, puisque personne ne s'était plaint de ma méthode de tutorat. Je finis par esquisser un maigre sourire, trop pensif, et je pris la brosse avant d'effacer le fruit de mes efforts, rendant au tableau la pureté de son blanc. Je refis face au bureau, rangeai les marqueurs, et je fermai l'éclair de ma trousse. Puis, je redressai vivement ma tête vers la porte. Une personne se dressait là, à l'entrée. Bae Bo Won en personne. La petite princesse pyobeom. « Mademoiselle Bae me fait ENFIN l'honneur de sa présence. Je peux savoir ce que tu fais ici ? » Je me retenais de l'injurier. Vraiment. Pourquoi, me direz-vous. Madame n'était pas venue au dernier cours de tutorat. Et elle n'avait répondu à aucun message, ni même aucun appel ! En clair, elle m'avait royalement ignorée. Je l'avais de travers. Mais vraiment de travers. Alors ce que j'attendais, c'était qu'elle s'excuse. Qu'elle s'excuse vite, ou j'étais prêt à mettre fin à ce tutorat dont elle avait cruellement besoin.

Elle était sérieuse là ? Bae Bo Won, la petite princesse rose qui pouvait se permettre de sécher quand ça lui chantait. Il fallait qu'elle comprenne que je prenais du temps pour préparer le tutorat. Que je travaillais d'arrache-pied afin de la faire progresser, même si c'était plus long que d'habitude parce que rien ne rentrait dans son cerveau. Je me saignais pour satisfaire son père, parce qu'il me payait le double de ce que je demandais ! Je lui devais énormément, à son père. Et elle... Ah, je n'avais même pas envie de lui parler. Sauf que malheureusement, il le fallait. Il le fallait et je ne pouvais pas intérioriser ma rancoeur très longtemps. J'étais vraiment vexé et déçu par son comportement, la semaine dernière. Non seulement elle avait sauté mon cours, mais en plus elle m'avait royalement ignoré après. Non, ça je ne l'acceptais pas. Je décroisai vivement mes bras, les sourcils froncés. « Tu te fous de ma gueule Bo Won ? C'est ça hein, tu te fous de ma gueule. » Alors là, si elle croyait que j'allais rester pour lui donner son cours, elle pouvait s'enfoncer le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Je n'étais pas particulièrement rancunier, mais si elle ne m'avait pas ignoré royalement la semaine dernière, j'aurais accepté de lui faire cours aujourd'hui. Mais parce qu'elle l'avait fait justement, j'étais bien décidé à lui rendre la monnaie de sa pièce. Je rangeai ainsi ma trousse de marqueurs dans mon sac à bandoulière, assez pressé. « Pas la peine de rester, aujourd'hui je rentre au dortoir. J'appellerai ton père pour lui dire de ne pas me payer cette semaine. » Je doutais que cette "punition" serait suffisante. Au fond de moi, je n'avais pas tellement envie d'envoyer valser mon salaire et le travail que j'avais préparé. Je voulais juste que Bo Won comprenne que les choses ne fonctionnaient pas comme elle le désirait.

Bo Won, c'était typiquement le genre de femme qui aimait jouer avec le feu. Un peu comme moi en fait. Et même si au départ elle avait pris ma décision avec dédain, elle était quand même assez intelligente pour se rendre compte qu'elle avait bien merdé sur ce coup. Ainsi, pour renforcer mon choix de quitter cette salle, je mis mon sac à bandoulière sur mon épaule, quittant donc mon bureau, sans que ses railleries n'y fassent quelque chose. Je devais lui tenir tête. Je le devais. Jusqu'à ce qu'elle capitule et qu'elle s'abaisse à de simples excuses. Ce qu'elle fit finalement en me tirant vivement le poignet vers l'intérieur de la salle. Il s'en fallut de peu, Bo Won. Vraiment. Un pas de plus et j'étais hors de la salle, définitivement décidé à annuler ce cours d'Anglais. Alors, je tournai ma tête en entendant ses excuses, et je plissai les yeux en simple réponse. Puis, je lui fis face, le dos droit, la dépassant de bien des centimètres. Pour toute autre réponse, je la mis directement dans le feu de l'action. « Take a seat and show me your homework. » Voilà. Je m'étais ravisé. J'allais donc lui faire cours. Non seulement parce que son père me payait hyper bien, mais parce que j'avais obtenu ce que j'avais voulu. Des excuses, bon sang. On aurait dit que j'avais demandé la lune ! Enfin... Je contournai les tables pour reprendre place au bureau du professeur, ceci avant de défaire de nouveau mon sac et de rejoindre Bo Won à sa place. Je me disais qu'au fond, même avec ce caractère tout feu tout flamme, elle avait droit à une seconde chance. Et que malgré tout, elle aurait la diligence de ne pas recommencer à l'avenir. Non seulement elle se faisait taper sur les doigts, mais c'était son propre avenir qu'elle mettait en jeu. Moi, j'étais là pour l'aider à toucher au but. J'étais là pour la rendre bilingue. Et ce n'était pas en séchant mon tutorat qu'elle s'envolerait de sitôt pour les States.

Quand je vous disais que Bo Won était une calamité en Anglais, elle ne savait même pas me répondre correctement à une question aussi banale que les devoirs ! Du calme Ji Hoon. Du calme. Il fallait que je me ressaisisse. J'étais plein de bonne volonté, persuadé que la jeune femme aurait un jour un déclic et qu'elle deviendrait bilingue à force d'exercices et de perfectionnements. Je contournai calmement le bureau avant de m'appuyer dessus avec mes fesses, recroisant ensuite les bras devant la demoiselle. Ainsi, elle n'avait pas ses affaires, hein ? Je compris tout de suite qu'elle prenait mes cours pour des vacances. Ou alors qu'aujourd'hui elle avait compté sécher mon cours de tutorat. Je levai les yeux au ciel avant de la juger amèrement du regard. « Listen. If you want to go to New-York, you better have to follow my class. » Ca, elle le savait bien. Il fallait qu'elle fasse un minimum d'efforts si elle voulait en tirer le fruit. Je lui tendais de nombreuses perches pour lui permettre de s'améliorer, encore et encore, mais j'avais l'impression que je devais y donner toute mon énergie pour que Bo Won daigne s'intéresser à mes cours. Elle était incorrigible. Vraiment incorrigible. Bon. Elle n'avait pas ses affaires, et il fallait quand même bosser. Je me pinçai l'arête du nez, le temps de réfléchir à une alternative. Alors je décidai de passer directement à la pratique. Tant pis pour elle si elle n'avait pas révisé ses tournures grammaticales nécessaires pour un entretien d'embauche. Je refis le tour de mon bureau en m'y rasseyant, puis je sortis un stylo et une feuille. « We'll practice right now. So be prepared. I'm gonna be more difficult, to punish you. » J'esquissai un petit sourire par la suite, l'incitant à s'approcher de mon bureau en l'appelant avec ma main. Ensuite, je lui pointai la chaise du doigt pour qu'elle s'y assoit face à moi, et je tapotai mon stylo sur ma feuille. Ainsi, j'attendis son signal, parce que je ne pouvais pas la prendre au dépourvu. Ça risquerait de la bloquer.

Il y avait vraiment des moments où je me demandais si Bo Won comprenait un traitre mot de ce que je disais. Parfois, elle me regardait avec des yeux ronds, l'air de me dire que non, rien à faire, elle n'avait rien pigé. C'était une belle calamité en anglais, mais sa détermination était d'acier. Voilà pourquoi je m'accrochais avec elle. J'étais persuadé que tôt ou tard, elle finirait par me répondre naturellement en anglais. Alors une fois qu'elle s'installa devant moi, que je lui avais invitée à faire, je jouai négligemment avec le bouchon de mon stylo, pensif. Bon, je devais avoir recours au vocabulaire de la mode. Je devais lui faire une simulation de casting pour une agence de mannequin. Ce n'était pas la première fois que nous nous adonnions à ce genre d'exercice, c'était idéal pour la mettre dans le bain avant l'heure fatidique. J'éclaircis ma gorge et jetai un oeil sur la jeune femme.  « So, you want to be a model. Introduce yourself, a little. » Je fis rouler mon stylo machinalement entre mes doigts, mes yeux ne quittant pas les siens. J'essayais de sonder son esprit, pour savoir si elle comprenait et qu'elle traduisait instinctivement dans sa tête. C'était un élément clé, dans l'apprentissage d'une langue étrangère: il fallait avoir cette capacité à directement retranscrire les termes étrangers à ceux de sa langue maternelle. Peut-être était-ce là que régnait le principal souci chez Bo Won. Heureusement, j'étais là pour lui donner un coup de pouce, et je me rendis bien compte qu'elle mettait trop de temps à réfléchir sur ma question. Je devais la ménager un peu. Pour commencer.  « You come from South Korea, isn't it ? How old are you ? » Qu'elle soit satisfaite de ces questions bateau, parce que j'étais d'ores et déjà prêt à lui faire mordre la poussière avec des interrogations plus pointues. Rien de tel que pour lui faire prendre conscience que sans mes cours particuliers, elle ne parviendrait jamais à atteindre son but.