" Et un, deux , trois, quatre"
La musique avait cessé, les mouvements répétitifs, les frottements comme une seconde nature. La main tendue dans l'air, les dents de cette lame contre la glace. La sueur venant lentement tracé et retracé les traits de ton visage, laissant ton corps dans une chaleur contrastée par la fraicheur de la glace sous tes doigts. Voler, qui n'en avait pas rêvé ? Peut être toi, qui détestait la sensation de retomber, sur ce pied, pilier de ton équilibre, ou sur les fesses. Il fallait toujours retomber malgré la légèreté frôlée. reproduire encore et encore les mêmes mouvements jusqu'à l'éreintement. Les regards tournés vers chacun de tes gestes, chaque partie de ton corps étudié, analysé, ses sourcils froncés pour la moindre erreur. Ta mère, celle qui avait toujours voulu de ces projecteurs sur elle, qui rêvait de te voir gravir les marches, voler à son tour. Elle te donnait les ailes dont tu avais besoin, te disait elle, mais t'accrochait des poids aux chevilles.
" On reprend tout depuis le début. Ae Ra.. viens ici. "
Ton coeur tremblait déjà de ce geste que tu connaissais.  " Je le ferai mieux ..je vais y arriver sans ça.  " Ses sourcils froncés ne laissaient aucune place à ta voix, à tes envies. Immobile, tu te sentais pourtant défaillir, trembler et faiblir. Tout devenais noir sous tes yeux clos, protégeant tes iris du tissu qui venait couvrir ta vue. Noir. Il faisait noir.
" Ta vie se détériore, tu dois apprendre à vivre avec avant qu'on puisse faire la greffe. "
Une excuse sonnant faux, une punition, un cauchemar qui devenait réalité trop vite. Tu voulais juste voir la lumière se refléter sur le blanc de la glace, tu voulais juste oublier ce destin qu'on t'avait mis sur les épaules.
" Dépêche toi, ne sois pas si sensible. On reprend. "
Le noir, seul les sons t'aidaient, seul ce frottement détesté devenait ton repaire. Le noir, il était angoissant, il était prenant, étouffant, oppressant. Mais chaque note de la mélodie venait détendre tes muscles les laissant répéter des mouvements appris par coeur.


Tranchante comme tes patins tu trouvais dans chaque blessure le goût de la vie. Là, tu l'étais, l'écarlate sur ta peau laiteuse le prouvait. Le palpitant serré de tristesse et d'appréhension te ramenait à la raison, tu étais là. Les larmes roulant sur tes joues, tu étais là. Tes pas te guidèrent vers lui, il pouvait tout arrêter, tout faire cesser. Ainsi ce manège sans fin, celui qui donnait cette impression de vertige se stabiliserait, tu sortirais. Dans un cri de désespoir tu décidais de garder ce sang sur tes mains, ces entailles sur tes cuisses, et tes avants bras. Tu voulais qu'il le remarque, qu'il te regarde, au moins une fois. Qu'il te trouve, qu'il te tende la main. " Papa... " Entrant dans son bureau, bien trop souvent fermé, ces quelques syllabes avaient sonné bien faibles. Il te voyait n'est ce pas ? Son regard horrifié sur toi, il te voyait. Tes lèvres tremblantes dans des larmes silencieuses tu cherchais à l'atteindre, la main tendue, lui demandant de t'aider, lui qui ignorait tout.
Il l'ignorait, car ses yeux déviaient, au fond il savait, tout comme il ignorait ta main demandant à ce qu'on t'emmène. Il te voulait loin, il te voulait bien. Heureuse pour rester silencieuse. La seule inquiétude venait des yeux de son assistant, le seul qui appelait à l'aide pour toi, ta voix, tes yeux. Il était le seul à te comprendre, couvrant tes oreilles d'un casque où la musique se laissait entendre, tes battements se synchronisant oubliant les plaies l'espace d'un instant.


Une fille heureuse, silencieuse. Une fille posant pour les magasines, remportant les prix, souriant aux journalistes. Une fille dont ils étaient fiers.
" Tout le monde est curieux de savoir comment une jeune athlète populaire vit. Racontez nous un peu.
" Curieux ?  " Le sourire était immense à l'instar de ta peine. " C'est horrible. Pire encore quand sa mère s'immisce. Je déteste le patin à glace, je déteste ces jupes courtes, je déteste les entraînements, la danse et encore plus, je déteste mes parents. "
Heureuse. Tu l'étais. Le coeur léger. Le sourire grand.
" Je suis devenue folle à cause d'eux. Je me déteste à cause d'eux. Je veux tout arrêter avant même de commencer à cause d'eux. je souffre à cause d'eux.  " Les cicatrices sur ton bras comme preuve, tu te fichais de passer pour une folle, au contraire. Ils voulaient une fille heureuse, en bonne santé, une fille silencieuse. Ils avaient créé une fille dépressive, malade, épuisée, une fille qui parlerait. Une fille qui se battrait pour sa vie à elle.