Vide. Sena ne s’est jamais senti aussi vide de sa vie ; plus de lumière à l’horizon, plus d’étincelle de bonheur. Juste le vide, et le noir. Lorsque ses pupilles se glissent sur la profondeur de cette eau bleu-foncé, la jeune femme essaie encore de comprendre comment elle en ait arrivé là. Si perdue, si éteinte – plus rien n’a de sens. La peur et les larmes l’étouffent, elle est si fatiguée – trop fatiguée pour se battre. Elle leur a promis de réussir, pourtant aujourd'hui elle n'est plus rien. Plus l'étoile qu'elle rêvait d'être, ni même l'étincelle qui lui donnait l'envie de briller, la force de continuer ou bien celle d'exister. Sena a tout perdu, en un claquement de doigt tout s’est envolé laissant son âme à l’agonie. Une étoile filante qui vient mourir sur terre. Seule et sans éclat. Seule et sans chaleur. Quitter l’infinité de l’univers pour s’échouer au fond de l’océan et y demeurer silencieusement, éternellement. Les yeux perdus sur l'infinité de l'eau, elle se demande si le choc fera repartir son cœur ou si les battements de celui-ci s'arrêteront définitivement. Peu importe – tant que la douleur s’en va, tant que sa tête arrête de penser, tant que son âme arrête de saigner. Cette impression de mourir de l’intérieur, l’ancienne chanteuse la ressent comme une plaie à vif et ce n’est pourtant pas assez encore. Ses pieds glissent un peu plus sur le rebord, l'approchant un peu plus du vide. Tout cela lui paraît attrayant tout à coup, comme si c'était la seule solution. Un phare lumineux en pleine mer, un jour de tempête – et personne pour l’en détourner. Si quelques minutes plutôt, sa famille, ses amis se sont glissés dans son esprit, Sena les tut à présent, réduit au silence dans une conscience fantôme, froide et sombre.  Il ne reste plus qu’un miracle pour la retenir, l’empêcher de retrouver le réconfort de l’eau glaciale. Il s’agit peut-être de la fin – mais tout était-il pas fini déjà bien avant. Il s’agit peut-être de la fin – mais est-ce pas la seule chose dont elle n’a plus peur.

Sa soirée avait été rude, plus rude qu'il ne l'aurait pensé. Elles se ressemblaient toutes et il n'aurait jamais imaginé que celle-là se différencierait des autres. Elle n'avait pas plus mal commencé. Ses clients, au nombre de deux ce soir, avaient été plus que corrects avec lui au vu de leur penchant. Donghun aurait très certainement des bleus le lendemain mais ce n'était pas ça le pire. Le pire avait été quand il était rentré chez sa tante adoptive. Il lui avait remis l'argent du mois et elle avait commenté ce qu'il lui avait ramené, disant que ce n'était pas assez. Hun l'avait fusillé du regard. Il n'appréciait pas qu'elle remette en doute ses finances. Ce n'était pas comme s'il pouvait se permettre de garder des sous pour lui. Sa tante lui demandait tous les mois une somme toujours plus importante. C'était pour les dettes que ses parents lui avaient laissé, dettes qui comportaient ses spins médicaux mais également les obsèques. Comme s'il n'avait pas assez souffert d'avoir perdu sa famille adoptive, il devait en plus subir les humiliations de sa tante et de celles de son boulot. Il n'avait pas choisi de se prostituer. Il lui avait fallu de l'argent rapidement pour éviter de se faire foutre à la porte et ce métier avait été là. Ils avaient fini par s'engueuler si fort que Donghun avait finalement mentionné le fait qu'il aurait pu être à leur place dans l'avion ou qu'il n'aurait pas du survivre à son accident de voiture. Il avait quitté la maison de sa tante, l'insultant dans sa tête et espérant ne jamais y retourner. Cette altercation lui avait fait se sentir plus seul que jamais. Il n'avait plus de famille. Plus personne pour le soutenir. Il se retrouvait maintenant à errer sans but dans les rues de Séoul. Hun ne supportait plus tout ça. Ses pas le menèrent vers l'eau. Peut-être que s'il décidait de sauter, d’accueillir la morsure de l'eau glacée sur sa peau il n'aurait plus de problème. Pourtant en arrivant, ses yeux furent happer par une personne qui avait sûrement eu la même idée que lui. C'était une fille. « Hey ! Descend de là ! Tu vas tomber. » Mais quel génie faisait-il ! C'était sûrement pour cette raison qu'elle était là. Donghun avait peur de s'approcher d'elle. Peur qu'elle ne veuille quand même passer le pas alors qu'il était là. Il n'arriverait sûrement pas à vivre avec l'image de cette fille qui disait au revoir à sa vie.

Le moment de tout lâcher, lâcher prise et accepter de mettre fin à la douleur. L’idée n’avait jamais traversé l’esprit de la chanteuse auparavant – elle n’a jamais eu sa place dans sa vie avant. Malgré les difficultés de la vie de trainee et de la vie d’idole, malgré les différences de traitement dus à sa couleur de peau, à ses origines qu’elle aime pourtant tant, jamais l’envie d’abandonner ne s’est opposée ainsi dans sa tête. C’est la première fois – et c’est effrayant. Effrayant mais cela sonne aussi comme une fatalité, la seule solution à tous ses problèmes. Et s’il y a quelque chose qui doit la rattacher à la vie à cet instant, Sena n’aurait jamais cru que ce soit la présence d’un inconnu. Adsorbée par son malheur, l’ancienne idole ne se rend compte que l'homme n'est là, que lorsque celui-ci parle. Et ses mots étonnent la jeune fille plus qu’ils ne lui donnent envie de descendre là, vraiment. Le garçon sait parfaitement ce qu’elle fait sur le rebord de ce pont, il le sait et c’est probablement la raison de l’incohérence de ses propos avec la situation. La métisse ne tourne pas les pupilles vers lui, toujours sur ce vide sidéral. Elle prit seulement pour qu’il continue sa route, l’ignore ; elle souhaite lui épargner cette vue. Pourtant, elle se doute aussi que c’est trop tard pour cela, jamais le jeune homme l’oubliera. « Je sais. » souffle-t-elle. Sena a presque envie de sourire quand elle prononce ces mots, elle sait qu’elle risque de tomber et c’est ce qu’elle attend. Ce coup de vent assassin qui la poussera dans le vide, une force de faire le dernier pas pour elle qu’elle n’est pas sûre d’avis. Mais elle n’arrive même plus à sourire – elle le rayon de soleil dont la positivité peut être parfois étouffante et dont les lippes s’étirent à la moindre occasion. La jeune femme n’arrive plus à sourire et cela lui brise un peu plus le cœur. « Je sais… ». Les yeux fixés sur l’infinité bleutée qui s’écoulent sous ses pieds, elle étouffe un sanglot – une plainte discrète et meurtrie. Ses poumons se compriment douloureusement sous le poids de la tristesse, du désarroi qui papillonne dans ses branches. Bientôt, les gouttes d’eau salée ruissellent sur son visage, brillantes sous l’éclat de la lune. Ses paumes restent figées sur la rambarde, à quoi bon taire ses larmes maintenant. Elle n’a plus rien à prouver à personne, que des déceptions et plus aucun endroit où trouver sa place. Elle a déjà tout perdu – tout jusqu’à l’espoir.

Elle savait qu’elle allait tomber, mais elle restait à l’exact endroit où elle se trouvait. Donghun savait ce qui lui traversait l’esprit à cet instant. Il y avait lui aussi énormément pensé quand il s’était retrouvé seul. Ne plus faire partie de ce monde, ne rien laisser derrière lui et surtout retrouver sa famille. Cette idée noire l’avait poursuivi assez longtemps. Il ne s’en était pas sorti malheureusement, mais l’envie de se foutre en l’air n’était plus autant présente qu’à un moment donné. Néanmoins, elle était toujours dans un coin de son esprit, prête à surgir dès qu’il aurait le dos tourné. Hun comprenait donc la jeune femme même s’ils n’avaient pas vécu la même chose. Elle répéta qu’elle savait qu’elle pouvait tomber et il entendit un sanglot, comme une plainte, un appel à l’aide. Le cœur de Donghun se serra et il ne savait pas s’il pouvait bouger. Il y avait un risque qu’elle lâche la rambarde et se laisse aller dans l’eau comme il pouvait tenter de la sauver. Cependant, il ne savait comment s’y prendre. Est-ce qu'il n’aggraverait pas les choses en essayant de lui tendre une main ? Qu’est-ce qui lui disait qu’elle avait encore envie de vivre ? Rien du tout. Après tout, si elle n’avait pas fait le saut de l’ange, c’était qu’il y avait encore un espoir non ? Doucement, Hun s’approcha d’elle. « Je ne sais pas ce qui t’arrive… » commença-t-il ne sachant pas ce qu’il devrait dire ou faire. Il pensa à ce qu’il aurait aimé entendre s’il avait été dans la même situation, s’il avait décidé de réellement passer le pas. Malheureusement, rien de ce qu’il ne lui vint en tête ne le satisfit. Ce n’était jamais assez compréhensif ou bien trop et il avait peur qu’elle prenne mal sa tentative. Il se rapprocha encore d’elle, le plus près possible pour ne pas l’effrayer et surtout ne pas la faire tomber. « Tu veux sûrement pas parler de tout ça avec un inconnu… Mais ça pourrait te faire du bien… » Donghun s’y prenait très certainement comme un pied, mais parler lui donnait l’espoir qu’elle serait concentrée sur autre chose et qu'il pourrait s’approcher un peu plus d’elle pour la prendre dans ses bras et ainsi lui empêcher l’impact. « Descends de là s’il te plait… T’as encore beaucoup de choses à vivre. Crois moi. » Bien qu’il disait cela, il n’y croyait qu’à moitié. Si elle était comme lui et avait tout perdu, il n’y avait plus rien qui la retenait. Cependant, Hun n’allait pas détourner le regard et ne rien faire. C'était trop tard maintenant. Elle avait laissé une trace indélébile dans son esprit.

Seule, elle préférait être seule à cet instant – aucun témoin de sa douleur, de son désespoir qui l'attire vers le fond. Pourtant, c'est cette même solitude qui l'a amené jusqu'ici, seule à affronter le monde, seule à affronter ses problèmes. Alors pourquoi, pourquoi au moment où peut-être Sena a le plus besoin d'être entourée, elle n'a qu'une envie : être seule. Trop tard ; cette pensée résonne dans son esprit. Trop tard pour être entourée, trop tard pour recoller les morceaux de sa vie mais il n'est pas trop tard pour que le jeune homme l'ignore, continue son chemin. Elle a assez déçu ceux qu'elle aime, elle n'a pas d'inscrire une blessure indélébile sur l'âme de cet inconnu. Alors pourquoi reste-t-il, pourquoi échanger ces quelques mots avec ce corps qui veut s'oublier, partir. Sena veut disparaître dans le silence, l'intimité de la solitude et du désespoir qui pèsent sur ses épaules. Mais cette voix, encore et encore, l'en empêche. « J’ai tout perdu. ». Elle ne sait pas pourquoi elle prend la peine de répondre, sûrement que l'homme ne se décidera pas plus à l'abandonner à son sort après cela, pourtant il le faut. Pour le vide l'embrasse finalement. Vider son esprit de toutes ses pensées qui l'érodent, vider son cœur de toute la peine qui s'y accumule. « Tout ce pourquoi j’ai sacrifié ma vie, j’ai tout perdu… ». Après tant d'années d'efforts – gâchés – il est temps de ne plus en faire, de lâcher prise. Une jeunesse entre parenthèses, une vie en pointillée dans l'ombre d'un espoir de briller sous la lumière. « On m’a tout arraché alors à quoi bon ? ». Des années de noir pour six mois de soleil ; et le soleil s'est couché à l'horizon, éternellement. Ses larmes brûlent sur ses joues; et brisent sa voix dans des sanglots agonisants. Pour la première fois, Sena relève ses pupilles vers le jeune homme. Erreur, le courage de faire le dernier pas s'envole un peu plus. Mais il le faut, pourtant. « Je suis fatiguée… Tellement fatiguée. ». Ses jambes tremblent et bientôt, elles se dérobent sous son poids – elle s'accroupit dangereusement proche du vide et de l'eau bleutée qui l'hypnotisait tant jusqu'alors. Ses phalanges se crispent sur la rembarre quand sa main glisse le long des barreaux. « Je veux juste que cela s’arrête… ». Mais sa main refuse de lâcher la barrière de sécurité, ses yeux refusent de lâcher ceux de l'homme qui s'approche toujours un peu plus, son cœur refuse de lâcher son attention sur la voix chaude qui ravive doucement ses battements. Pourquoi est-ce si dur de dire adieu ?

Ce n’était clairement pas le genre de situation qu’il aurait aimé vivre ce soir-là et pourtant, elle était là devant ses yeux à se passer et faisait bien trop écho à ce qu’il ressentait. La jeune femme avait simplement plus de courage que lui de mettre à exécution ses pensées noires. Pourtant, alors qu’il aurait pu regarder de l’autre côté et la laisser se débattre avec ses démons et en finir, il n’avait su le faire. La jeune inconnue avait laissé une trace dans son esprit qui ne partirait jamais et Donghun se connaissait, s’il passait son chemin sans rien faire, il s’en voudrait à vie. Cependant, il savait aussi qu’il ne pourrait pas faire grand chose si elle décidait de lâcher. C’était son choix, sa vie et il n’en était que le spectateur qui vivait dans le même genre de tourmente. Hun lui parlait, tentait de capter son attention pour qu’elle la détourne de cette eau qui marquerait la fin de ce qu’elle pourrait faire de sa vie. Il écoutait ses mots qui une fois encore résonnaient en lui. Elle avait tout perdu, avait tout sacrifié pour au final ne plus rien avoir. Ça faisait mal de se rendre compte que d’autres personnes, des personnes qui n’avaient rien demandé de tout ça, se retrouvaient dans des situations similaires. « Je comprends ! » lança-t-il alors qu’il continuait de s’approcher d’elle. Il garda son regard dans le sien, heureux dans un sens qu’elle ne lâche pas. Il ne voulait pas la voir sauter et pourtant, peut-être qu’il pourrait la rejoindre et partir avec elle, en même temps. Mais ce n’était pas une solution. Qu’est-ce que ça leur apporterait à part la chance de fuir leur réalité, leur vie qu’ils n’auraient pas eu le temps d’améliorer. Les sanglots de la jeune femme lui brisèrent le coeur et Donghun s’avança encore un peu. « Je sais… Je comprends. » répéta-t-il quand elle lui annonça être fatiguée. Il était comme elle, il ne pouvait que la comprendre. Son cœur rata ensuite un battement alors que de son point de vue, elle manqua de tomber. Il courut presque pour réduire la distance qu’il lui restait et attrapa son poignet pour l’empêcher de passer à l’acte. « Remonte… Passe de l’autre côté… Tout ira bien. Tu verras. » Donghun tira la jeune femme vers lui. « Je vais t’aider… » A remonter vers lui, à remonter la pente s’il le fallait. « Tu n’es pas seule ! » murmura-t-il, sans savoir si ses mots l’atteignirent. Il y avait sûrement trop de bruit, trop de brouhaha pour que ce soit le cas. Ou alors, c’était les battements de son propre coeur qui l’empêchaient d’entendre quelque chose, parce qu’il battait à ses tempes.

Il n’y a probablement rien de pire que de se faire arracher les ailes alors qu’on vient juste de réussir à prendre son envol. Dire qu’après tant d’années de solitude et de compétition acharnée, Sena avait enfin réussi à apercevoir le début du succès. Un groupe – certes loin de ses attentes premières, mais il avait le mérite d’exister et d’être la clé vers la vie d’idole. Un lointain rêve pour lequel la jeune métisse avait énormément sacrifié jusqu’à sa famille – ses amies. Si bien qu’il ne lui restait plus que ce semblant de rêve auquel s’accrocher lors de moments de doute. Aujourd’hui, le rêve a volé en éclats ; et le sens de sa pauvre vie avec. Plus rien à perdre, plus rien à sacrifier, plus rien auquel s’accrocher. Alors quand elle voit le jeune homme continuer de s’approcher, un soupire qui ressemble étrangement à un sanglot lui échappe. L’ancienne idole aimerait croire qu’une tierce personne peut comprendre sa douleur – mais c’est impossible d’en saisir les nuances. Les larmes lui échappent de façon incontrôlable, pourtant Sena n’est pas du genre à se laisser aller à ses émotions. Une vie de sacrifices bafouée pour la pousser au bord du précipice. Elle se considère comme une personne forte, mais même elle a ses limites. Sa vision est floue quand le jeune homme lui attrape le poignet, le geste aurait sûrement dû l’effrayer la réconforter mais rien, elle n’en ressent rien. À travers ses larmes, elle fixe le brun, une grimace déformant son visage. « C’est gentil… » répond-elle difficilement, car malgré tout cela, elle ne peut pas rejeter l’intention du garçon. Sa gentillesse est trop grande pour cela. « Mais vous ne pouvez rien pour moi, vraiment. » sa voix est faible – perdue entre la fatigue physique et la fatigue mentale. La force de résister lui manque ; résister à l’envie de se laisser mourir, résister à l’envie de se laisser secourir. Un court instant le visage de Max illumine son esprit – sa meilleure amie. Une étoile, mais insuffisante pour éclairer la nuit. En temps normal, le visage souriant de son amie lui aurait suffi à stopper ses actions – remettre les pieds sur terre, remettre de l’ordre dans son esprit. Mais ce soir, c’est un nouveau cap, un cap que Sena n’avait jamais franchi jusque-là. C’est trop tard, trop tard. « Laissez-moi s’il vous plait. Vous n’avez pas besoin de voir ça… » supplie-t-elle en détournant finalement les pupilles pour les reposer sur l’eau qui s’écoule sous ses pieds. Le courant a quelque chose de reposer, d’apaisant – comme un point final à une histoire trop douloureuse. « Laissez-moi abandonner, s’il vous plait, s’il vous plait. » sanglote-elle. Le mot continue de se répéter entre ses lèvres pour une raison qu’elle ignore. Et bientôt, Sena n’est plus sûre de la raison pour laquelle elle supplie le jeune homme, pour de l’aide ou pour qu’il passe son chemin.