Je déteste voir les filles pleurer. J'ai vu trop de larmes couler des yeux de ma mère, de mes sœurs à cause de mon père. Être le seul homme dans une famille qui a été brisée par la figure paternel, c'est loin d'être une tâche aisée. Je voudrais les préserver toutes de la peine que des types pourraient leur causer, mais j'ai toujours peur d'être associé à mon géniteur en même temps. C'est comme marcher constamment sur un fil en sachant que si on tombe, on ne sera pas le seul à basculer dans le vide : si je deviens comme mon père, ce sont mes sœurs et mes mères qui en souffriront ainsi que la famille que j'aspire à construire un jour. Alors à une période, j'essayais de m'éloigner le plus possible de l'image que je gardais de cet homme qui a tout détruit sur son passage, tout en restant fidèle à moi même. C'est difficile de trouver sa véritable identité quand on s'évertue en permanence à ne pas ressembler à quelqu'un et pas à être soi même. J'ai appris à trouver le juste milieu il y a quelques années maintenant et à présent je sais qui je suis, ce que je veux être – et pas seulement ce que je ne veux pas être – mais c'est vraiment le résultat de nombreux mois de remise en question constante.

Je disais donc que j'ai horreur de voir les joues des filles se strier de larmes, et constater que les yeux d'Ami s'embuent dangereusement me serre le cœur. Je fronce légèrement les sourcils en l'écoutant, en assimilant tout ce qu'elle me dit, et j'avais vu juste : c'est bien Kazuya le cœur du problème.

C'est fragile le cœur d'une fille, comme les pétales d'une rose, ça se froisse à la moindre pression, à la moindre seconde d'inattention. Quand une fille tombe amoureuse, j'ai toujours imaginé que c'était comme si elle donnait cette fleur à la personne qu'elle aime en lui disant « Voilà, je te la donne, prends en soin. » Ami ne m'a jamais donné cette fleur, parce que c'est toujours Kazuya qui l'a conservée dans sa poche. A la façon dont Ami me raconte les derniers événements, c'est comme si elle me disait que ce garçon qu'elle a toujours aimé s'était subitement rappelé qu'il avait cette fleur délicate quelque part sur lui et qu'il l'avait ressortie le temps de se remettre de la peine qu'une autre fille lui avait causé. Une fille qu'il n'a apparemment jamais cessé d'attendre. Je soupire et porte ma tasse de thé à la menthe à mes lèvres. Je suis en colère contre Kazuya, même plus que ça : si ça ne tenait qu'à moi, si j'avais été du genre belliqueux aussi, je serai probablement allé lui refaire le portrait. Mais je sais très bien que le frapper ne rendrait pas Ami plus heureuse et pour le moment, c'est elle qui a besoin de mon attention, pas lui. Alors je me lève de ma chaise en laissant là ma tasse et fais quelques pas pour m'installer sur celle qui se trouve juste à côté d'Ami. J'attrape doucement son menton, dégage son visage avec ma main libre pour replacer ses mèches derrière son oreille puis essuie délicatement les sillons humides que ses pleures ont tracé sur ses joues. « Je suis désolé pour toi Ami, sincèrement. Ce qu'il a fait, c'est nul, c'est méchant et tu ne méritais certainement pas d'être traitée comme ça. Personne ne le mérite. Je comprends ta peine et tu n'imagines même pas à quel point ça m'attriste de te voir dans cet état. Qu'est ce que je pourrai faire pour apaiser ta tristesse ? On peut aller ou tu veux, faire ce que tu veux pour te changer les idées. » Je dépose un baiser sur son front et attrape ses mains pour les presser doucement. Certains ont des relations conflictuelles avec leurs ex ou ambiguës. Moi, je ferai tout pour la rendre heureuse mais sans la moindre idée derrière la tête. Je sais que son cœur ne m'appartient pas et ne m'appartiendra jamais, mais malgré ça, j'ai toujours énormément de tendresse pour elle, alors il est hors de question que je la laisse dans cet état.

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