Y'a rien qui peut nous séparer

Hein pas vrai ?

Je suis heureux, vraiment heureux de pouvoir passer un moment avec lui. Mais y'a ce rappel, y'a cette pensée qui m'empêche d'en profiter pleinement. C'est celle qui me rappelle que ça ne va pas durer, que la prochaine fois qu'on se verra pourrait être dans longtemps, et celle où on ne sera que tous les deux peut-être encore plus. C'est celle qui me rappelle que lorsqu'on va retourner sur scène il ne sera pas là, ni même dans les backstages, il ne fera plus de papouilles dans ma nuque pour me déstresser, je ne pourrai plus m'amuser à le décoiffer ou à chatouiller ses flancs pour le faire sourire, il ne sera pas là aux entraînements, pas là aux enregistrements, pas là sur les plateaux, ni aux émissions, pas même aux interviews. Pas là. Et moi, je deviens quoi s'il est absent ? Ça peut pas fonctionner sans lui, j'en suis convaincu. Moi j'peux pas fonctionner sans mon meilleur ami, ma moitié à moi. J'essaye pourtant, je fais de mon mieux pour ne pas trop y penser, pour me concentrer sur le comeback, pour me focaliser sur mon rêve mais j'y arrive pas. Parce que oui, ça fait des années que je me bat, que je travaille comme un dingue, j'ai bossé et souffert chaque jour pour en arriver là et pouvoir réaliser mon objectif de devenir chanteur, mais depuis la concrétisation de tout ça, il a toujours été là. Depuis mon arrivée dans l'agence après tous les autres, à chaque nouvelle étape franchie, j'avais mon Akira à mes côtés. Alors comment je pourrais continuer, apprendre à faire sans lui ? S'il n'est pas là tout est différent, tout est moins bien, moins lumineux, tout est plus vide et si j'ai réussi à résister à l'envie de tout plaquer jusque là grâce aux autres membres et à la psy, je ne sais pas si j'y arriverais encore lorsqu'on entamera la période de promotions. Je vais pas y arriver. Je dois y arriver pour mon rêve, pour lui aussi, pour ne pas qu'il culpabilise mais je sais pas, j'suis loin d'être fort, au moindre coup de vent je m'effondre, et son départ est une véritable tempête. Mais je dois pas y penser, pas maintenant parce qu'il me connaît, il sait tout de moi et il va le voir, il va comprendre que quelque chose ne va pas si mon sourire ne masque pas assez bien tout ça et faut pas, sinon c'est le sien qui va se ternir et disparaître. Tout ce que je veux moi c'est qu'il soit heureux, même si c'est loin de nous, même si c'est pas avec moi, je veux juste qu'il puisse sourire sincèrement, qu'il se sente bien pour toujours parce qu'il le mérite tant, plus que n'importe qui. Alors si aujourd'hui je peux faire naître sur ses ses lippes quelques croissants de lune je n'hésiterais pas, je ferais même tout pour. Et je lui souris, dans l'espoir de créer un mimétisme, puisque après tout nous sommes le reflet l'un de l'autre, je chantonne la chanson de son anime favori, gardant sa main dans la mienne pendant qu'on s'éloigne de cette zone trop chargée. On ne parle pas, mais ce n'est pas gênant pour autant, pas besoin de paroles constantes entre nous, on sait apprécier la simple présence de l'autre dans le silence. Et finalement je m'arrête, l'incitant à faire de même. Un soupir, le regard perdu vers l'horizon, puis une langue qui se délie. « Tu nous manque Aki. » Il le sait bien sûr, mais est-il conscient de l'ampleur de cette sensation de vide ? Ma main presse nerveusement la sienne, un nouveau soupir. « Oublie les autres, j'peux pas parler à leur place. Mais tu me manque, j'arrive pas à m'habituer au fait que tu sois parti... » Que tu sois plus là. « J'sais que c'est hyper égoïste de t'en parler, que c'est peut-être pas ce que tu voudrais entendre mais c'est comme ça, c'est pas possible sans toi, moi j'y arrive pas et j'suis même pas certain de vouloir y arriver. » Pas sans toi.
 

Y'a rien qui peut nous séparer

Hein pas vrai ?

Il me sourit, le genre de sourire que j'aimais bien avant. Quand il me voyait angoissé ou triste, il me souriait comme ça pour que j'aille mieux mais là, c'est lui qui souffre et c'est moi qui souris pour lui, ça fait trop mal de voir que même ça j'ai réussi à le gâcher. Je sers un peu plus sa main dans la mienne lorsqu'il cesse de chanter pour prononcer ces mots :  « Tu nous manque Aki. » J'ai l'impression d'avoir été poignardé, parce que c'est pas le même « tu nous manques » que d'habitude, celui-là est plein de détresse. Il m'appelle à l'aide alors que je suis celui qui l'a fait couler. J'ai engendré sa douleur en pensant agir pour le mieux et comme trop souvent je me suis planté, j'ai immergé plus que Hiro dans cette histoire, tout EMPTY, mon agence, les fans et moi-même au passage. Je ne suis pas fichu de faire les choses correctement... Avec du recul j'aurais tout fait différemment mais peut-être que si j'étais resté la situation aurait empiré. Je n'en sais rien et je ne saurais jamais.

Y'a un moment de passage à vide, entre sa déclaration et mon silence. Il ne quitte pas ma main, moi non plus mais je relâche la pression que j'exerçais sur la sienne. Je mordis ma lèvre inférieure pour l'empêcher de trembler et là, c'en est fini de moi, je sombre. Mon père m'a envoyé chez le médecin pour ça mais ce n'est pas quelque chose qu'on puisse guérir, l'hypersensibilité on vit avec c'est tout. Généralement je le vis bien mais quelquefois je perds le contrôle et ça prend forme de crises parfois même assez impressionnante, mais maintenant les gens sont habitués. Que ce soit sur les plateaux ou sur scène, tout le monde sait qu'il faut m'isoler le temps que ça passe parce qu'on ne peut rien faire d'autre qu'attendre. Dans ces moments-là si je suis seul j'étale mes pensées négatives dans mes carnets ( j'en ai beaucoup trop ) puis quand ça va mieux je tire un trait dessus, comme pour me conforter dans l'idée que j'ai réussi à dépasser ce qui m'a fait défaut. Ou sinon je me réfugie dans le noir et j'écoute de la musique si fort, que même la voix geignarde de Kimi n'arrive pas à m'atteindre ou encore je me ferme à tout et je me mets à pleurer comme un bébé sans qu'on puisse me calmer ( ça c'est le plus horrible parce que c'est vraiment incontrôlable. ) Certains trouvent que c'est mignon mais d'autres comme Sejin ça les énerve assez vite ( ce que je comprends totalement ) et plus on se met à me hurler dessus ( comme mon père ) plus je m'isole dans ma tête et plus rien ne fonctionne pour m'aider à me sortir de ça. J'ai toujours été sensible mais ça c'est exacerbé à la mort de ma maman, généralement je surmonte ça ( les crises ) en trente minutes ( mais avant ça se comptait en heures, voire en jours ) c'est grâce à Fuuko que j'ai appris à prendre sur moi ( même si ce n'est pas un succès à 100% ) puis ensuite c'est Hiro qui a pris la relève. Il a toujours eu ma notice de fabrication on dirait et moi j'aime croire que j'ai la sienne... Des fois je m'en veux ( pour ne pas changer ) d'avoir le sentiment qu'il fait plus pour moi que moi je ne fais pour lui, pourtant le moindre temps libre que j'ai je lui accorde. Soit par sms ou sur skype, dès que je peux j'essaie de le voir mais ce n'est pas assez comparé à tout ce que lui m'apporte. Je suis le plus horrible des amis du monde, je l'ai abandonné et là il m'appelle à l'aide et au lieu de prendre sur moi pour m'occuper de lui je chouine comme un gosse... Il va tellement mal qu'il n'arrive même plus à aller mieux par lui-même, il a dû avoir recours à cette psy ( j'ai appris qu'il la consultait juste parce qu'elle l'avait appelé alors qu'on était ensemble, sinon il ne me l'aurait sans doute jamais confié. ) Et j'en peux plus de cette situation, j'en peux plus de moi qui attire tout le monde vers le bas alors que je veux tout le contraire...

J'avale difficilement ma salive, le regard baissé sur nos chaussures parce que c'est trop tard, des larmes dévalent déjà mes joues. Avant je lui suffisais, il n'avait pas besoin de chercher du soutien ailleurs mais je l'ai laissé et il s'est retrouvé sans personne. « Je... » Il ne peut pas me dire à moi que son rêve s'écroule parce que j'ai tout lâché, celui qui mérite le plus de faire partie de EMPTY c'est lui. Moi j'ai intégré le groupe non pas par passion mais par désir de m'émanciper et de prouver à mon père que je pouvais être autonome, me gérer et réussir tout seul ( ça n'a pas fonctionné comme je l'aurais espéré d'ailleurs... ) Kimi est là pour l'argent, Junho est passionné mais il n'a jamais couru après la gloire, s'il avait pu monter sur scène avec un masque pour rester dans l'anonymat toute sa vie, il l'aurait surement fait. Son rêve c'était d'être chanteur, pas idole. Quant à Sejin lui il a voulu fuir son village et il s'est très vite rendu compte que la voie qu'il avait choisi l'exposait à un stress monstrueux, il s'est découvert une nouvelle phobie, celle de la foule. Aucun de nous n'a jamais vraiment voulu être une idole, sauf lui et aujourd'hui il m'avoue que tout ça est en train de disparaître. Ses rêves de scènes... Tout ce qu'il a toujours voulu avoir : les tournées, les plateaux télés, la musique, les autographes, les voyages, nous...

Tout ça en fumé,
à cause de moi.

« Je ne veux pas que tu crois que je pleure par ta faute, je pleure à cause de mes erreurs, celles qui t'ont conduit à penser comme ça aujourd'hui. Tout ce que je voulais c'est... » Je lâche sa main pour essuyer mes joues. « C'est que toi et les autres vous avanciez et moi j'ai cru que je serais un frein à cette ascension mais finalement je n'ai fait qu'entraver votre route, je nous ai désuni et maintenant tu penses à partir toi aussi ! Non non non... » Je n'ai jamais eu de grands rêves, comme devenir le plus grand acteur du monde ou réussir un exploit démesuré. J'ai rêvé d'avoir un super pouvoir, de réussir à m'améliorer en chant, d'aller au cinema avec mon père ( on y'allait tous le week end avant que maman ne soit plus là ) ou de faire une sortie avec le groupe, rien que nous sans personne autour.... En soi pas des choses irréalisables ( sauf pour le super pouvoir mais dans le fond j'en voudrais même pas, c'est juste l'idée d'en avoir un qui me séduit ) ou grandioses. J'ai toujours visé petit sans trop savoir pourquoi et Hiro lui a toujours vu grand et je suis en admiration devant ça, car si mon rêve avait été de devenir astronaute je n'aurais jamais osé me donner les moyens de le faire, lui, il y serait arrivé j'en suis sûr. Et c'est pour ça que je ne peux pas le laisser faire, il a tellement travaillé pour en arriver là et moi je ruine ses efforts pour ensuite me prétendre être son ami... Je ne veux plus de ça, de moi sans lui. De souvenirs sans lui et les autres, je ne veux plus devoir surmonter mes épreuves sans eux, nos épreuves. Je veux à nouveau que nos buts soient les mêmes et qu'on ne soit plus qu'un, comme avant.

Ma voix est chevrotante alors que je veux me montrer fort ( pour une fois ) je veux pouvoir le regarder dans les yeux et lui parler sans flancher, j'en suis capable, oui. « D'accord. » Je prends une courte inspiration, juste assez pour me donner la force de poursuivre. « Je vais revenir. » Je devine déjà ce qu'il va me répondre alors je le précède. « Je ne vais pas seulement le faire pour toi Hiro, je vais le faire pour moi aussi parce que même si j'en donne l'air, je suis beaucoup moins heureux qu'avant. » J'ai réussi à me refaire une jolie image, ma carrière d'acteur décolle doucement, surtout avec les deux films que je suis en train de tourner en ce moment. Mon père est fier de ma réussite mais je ne suis pas heureux. Quand je rentre d'un tournage, y'a personne autour pour faire du bruit, discuter, jouer à la play ou aux cartes. Y'a que du vide quand y'a plus les caméras braquées sur moi, même Kenzo n'est pas là, il vit sa vie pendant que je mets la mienne sur pause et ça c'est injuste. « Je te dis ça alors que je ne sais même pas si les autres vont vouloir de moi, si l'agence sera d'accord... Ni même Kenzo mais je me battrai pour qu'ils me donnent une seconde chance Hiro, je te promets que je vais tout faire pour revenir. » J'ai arrêté de pleurer, ma voix est claire, je vais affronter ce qui me faire peur, pour toi, pour moi, pour le groupe et si j'y arrive pas, j'essaierai encore, juré mon Yang.