J'ai la rage au cœur, la haine au cœur. J'serre les poings, avec la désagréable envie d'l'écraser dans l'premier visage que j'verrai. C'est trop l'bordel dans ma tête, j'y arrive pas, j'y arrive plus. C'est trop l'bordel dans ma vie, j'le supporte pas, j'le supporte plus. Pourquoi faut toujours que tout se foute en l'air comme ça ? Pourquoi faut toujours que ma famille se foute en l'air comme ça ? J'enfourne ma bécane, j'veux partir, me casser, fuir, loin, le plus loin possible. J'en oublie c'que j'voulais faire, pourquoi j'étais en ville – certainement pas pour partir en vrille comme ça. J'm'en rappelle que quand j'passe devant, devant le garage, celui où j'vais tout l'temps. Sana, j'pourrais lui confier ma vie les yeux fermés, pourtant quand il s'agit d'ma bécane, c'est pas à elle que j'fais le plus confiance. Depuis qu'j'ai foutu en l'air la précédente, y a qu'une seule personne que j'autorise à toucher ma moto – parce que j'y tiens trop, à celle-là, et que j'accepterais pas de la perdre elle aussi. Alors j'ralentis, j'fais demi-tour. J'ai envie d'continuer mais faut pas, y a ma conscience qui me rappelle à l'ordre et elle j'peux pas  l'ignorer, elle j'ai pas l'droit d'l'ignorer. Alors j'm'arrête devant le bâtiment, j'rentre. « C'est pour une révision. » Pas de bonjour – on repassera plus tard pour la politesse. Le type à l'accueil, ça doit être un nouveau, parce qu'il m'rappelle rien. Et quand il ouvre la bouche, j'sais que ça va être la même merde qu'à chaque fois. Alors j'le prends de vitesse. « Nina. » Il a l'air surpris, j'reprends, masquant mon impatience. « Nina, j'viens voir Nina, y a qu'à elle que j'accepte de laisser ma moto. » Il ouvre la bouche. « Et non, ça sert à rien de protester, j'accepte qu'elle, personne d'autre, alors tu vas la prévenir ou j'me casse. » J'suis pas forcément doué pour les menaces, j'aime pas ça, j'trouve ça inutile. Alors j'me contente de le regarder, avec calme, et finalement il capitule, après avoir râlé. Il se détourne, marmonne un p'tit con, me regarde et j'hausse les épaules en retour. Il doit flipper, craindre que j'le tabasse. Mais j'm'en fous moi. Il est certainement pas le premier à me traiter de p'tit con – et sera probablement pas le dernier. Ça m'atteint pas. Qu'il aille se faire voir. J'tourne la tête, j'promène mon regard. J'essaie d'cacher le fait que j'tienne pas en place, que j'ai les poings qui se serrent, toujours, que j'rêve que d'une chose, orner le mur d'un joli trou de la taille de ma main. Mais j'peux pas, j'peux pas, et j'veux pas surtout. Faut que j'me retienne, faut pas qu'les gens ils me voient comme ça. Alors j'me retiens. Et pourtant j'ai du mal.
Parce que j'ai la rage au cœur, la haine au cœur - et elle masque ma peur.

j'ai l'amour au coeur, dans l'corps, partout autour de moi. J'ai l'amour dans mes yeux, dans mon rire franc dans mes conneries dans mes désarrois. J'ai l'amour, partout, tout le temps, pas loin du bonheur et son compagnon l'sourire du coeur. J'ai l'amour dans mes manières de garçons, dans mes regards félins et dans mes doigts chatons. J'ai l'amour pour tout l'monde, à chaque instant. Mais chaque amour est différent. Moi, moi j'souris, j'rigole, j'déconne, j'vis tranquillement sans me soucier du reste, grâce à l'amour, grâce à c'te bulle. Le reste c'est des chimères c'est d'la poussière, c'est rien que des galères qui pourrissent la vie. Alors moi j'm'en fou, j'fait mon bordel, j'vis ma vie. Et j'sifflote tranquillement sur un beat de hip-hop américain (parce que c'est moi qui met la musique quand j'suis là, parce qu'en ce moment ça tourne souvent, c'est un refuge une passion une envie). couchée sur des roulettes à taper la molette sur la ferraille d'une jolie caisse. Et c'est clair que j'suis pas la plus jolie des filles et la plus maquillée, avec un peu d'cambouis sur la joue, mon jean troué et mon t-shirt coupé au ciseau à l'arrache pour pas qu'il soit trop grand. Et j'rigole avec le collègue sur des blagues pourris. Un des frères cho, la famille. Et puis des bruits dans l'entrée un peu plus loin, et le deuxième frère cho qui essais de se faire respecter, mais moi j'entend mon prénom alors j'fait glisser ma planche et j'me relève, gardant ma clé à molette à la main (j'la fourre dans ma poche arrière, surtout). « yo yo yo boy! » moi j'crie à travers le garage, j'm'en fou un peu, c'est le sourire sur mes lèvres et l'bonheur dans mon coeur. Même si j'ressent sa colère, sa rage, j'sais qu'il va exploser mais moi tout ce que je lui donne c'est d'la lumière, du soleil, pas d'nuages. pour un petit temps. J'm'approche avec ma démarche de pas-fille et pose une main compatissante sur l'épaule du frangin avec un grand sourire. « Excuse le, il à été élevé par des ours il sait encore moins que moi c'est quoi la politesse » Et moi j'lui fait à clin d'oeil, à Naru, j'lui sourit avec tendresse. « what's up baby? » J'm'approche avec un sourire, tape son épaule de mon petit poings avant de me tourner vers sa bécane avec un p'tit sifflement « qu'est-ce que t'as encore pété? » Moi, j'sens bien sa tension, alors c'est quasi naturellement que j'essais de le toucher, d'effectuer le contact pour aujourd'hui, parce que naru c'est une sacré coquille à percer. « viens on va à l'arrière! » que j'dit avec un sourire, en le guidant à travers le garage.

J'le sais, que Nina j'devrais pas l'approcher. Elle est pas comme moi, elle est différente. C'est un soleil, Nina, un putain d'soleil qui rayonne d'amour. Elle brûle pas, Nina, elle brille de milles feux. Elle fait pas du mal Nina, et c'est bien pour ça qu'elle est dangereuse. J'devrais pas l'approcher, Nina, pourtant j'y arrive pas – parce que j'ai b'soin du soleil pour survivre, que sans lui j'peux toujours me laisser crever. Alors j'la fixe quand elle s'approche, j'hausse les épaules quand elle se moque, et j'détourne les yeux quand elle sourit. Parce que son sourire tendresse, c'est trop pour moi. Il ressemble trop à celui d'ma mère, il ressemble trop à celui d'ma sœur, il ressemble trop au sien, à elle. Et à celui que j'revois tout le temps sur les photos, celui qu'j'arborais à chaque fois que j'la regardais, la voisine du bout d'la rue. Mais j'recommence à la regarder quand elle me frappe, et j'peux pas retenir un petit sourire. Comme si la tension elle s'appaise un peu – mais elle reste là, sous la surface, j'la sens qui bouillonne encore. « J'sais pas, elle fait un drôle de bruit quand j'la démarre, j'me suis dit que c'était l'heure de la révision de routine. » Et j'hausse les épaules, à nouveau. Probablement que c'est rien ce bruit. Mais j'ai déjà détruit une bécane, j'refuse d'en faire mourir une autre – qui pourrait bien m'entraîner dans la tombe. Maman elle dit toujours qu'il vaut mieux être trop prévoyant, alors j'le suis – pour elle. « Tu sais que t'as une tâche sur la joue ? » j'demande, pendant que j'la suis dans le garage. « J'espère que t'as pas prévu de sortir en boîte comme ça. » J'souris, un p'tit sourire, sourire en coin. Parce que j'sais que ça elle s'en fiche, j'sais que sortir en boîte elle peut le faire même avec cette magnifique trace sur le visage – et j'sais que même comme ça, ça l'empêchera pas de s'amuser, d'rencontrer des gens qui s'arrêteront pas sur son apparence. Parce qu'elle dégage quelque chose Nina, et ici, dans c'foutu pays, c'est drôlement rare. « J'veux partir. » La question elle claque dans l'silence, moi-même j'l'avais pas prévue, mais j'me rends compte que j'la pense, de tout mon cœur. « J'sais pas où, mais partir et j'voudrai pas que ma bécane me claque entre les doigts alors que j'suis pas en ville. » Faut que j'parte ouais, faut que j'parte, loin, faut que j'extériorise ma rage et ma colère, et y a que ça qui marche. J'suis pas comme Yong, j'rentrerai ce soir – mais en attendant j'veux partir, j'veux l'adrénaline, le vent, la liberté. J'veux être moi, sans avoir peur.

Nina sifflote les quelques notes de la chanson qui passe au fond sonore, se rapproche de la bagnole qu'elle était en train de bidouiller en haussant les épaules « J'suis sur que c'est rien, j'vais t'régler ça en trois secondes. » qu'elle dit, plus pour combler le blanc que par réelle nécessité. nina affiche un p'tit sourire en coin en marchant à l'envers le temps de le regarder, d'un regard qui fait genre, j'm'en fou, c'est rien qu'une tâche, mais s'essuit en remontant le tissus qui cache son ventre sur sa joue, laissant un p'tit bout de brassière de sport dépasser, narguer le bitume et les bagnoles.

Nina, c'est rien qu'une âme trois fois trop grande pour un corps qu'elle traite avec respect, parce que d'une manière ou d'une autre, elle à été crée par la nature qu'elle respecte tant, qu'elle adulte tant. Mais c'est qu'une enveloppe, elle comprend pas trop les réactions des gens face à ça. C'est juste une oeuvre d'art et tout le monde est unique mais, tout le monde est naturel, non ? Nina réfléchit trop, d'un coup, parfois, et s'fait tirer de ses pensées par la voix de naru. « J'veux partir. » Alors nina elle s'arrête et puis pose ses deux mains sur le guidon de la bécane, la regarde quelques secondes avant de relever les yeux vers ce grand garçon pleins de haine, pleins de tension. Et lui sourit. « tu vas aller ou? t'veux voir quoi? les néons ou la nature ? le bitume ou la rivière? » Nina s'affaire autour de la bécane, cherche le p'tit bruit, le problème, le trouve et s'y attèle, en écoutant naru éclater sa rage, partager avec elle. Elle qui prend tout, qui l'écoute, qui veux le voir sourire, guérir. Elle relève les yeux alors qu'elle est accroupie près de la bécane, à réparer un p'tit truc de rien du tout. « do it, boy. » J'viens avec toi si tu veux.

J'la regarde alors qu'elle bosse, j'la quitte pas des yeux alors qu'elle cherche c'qui va pas. Pas que j'lui fasse pas confiance – un peu quand même – c'est surtout que j'préfère vérifier. Et puis elle est habituée, depuis l'temps. Et si ça la dérange, elle pourra toujours me foutre à la porte. J'hausse les épaules, sous les questions. « J'pense que tu connais la réponse Nina. J'suis un gosse de la ville moi, les arbres du dehors, j'sais même pas quelle couleur ils ont. » J'exagère mais c'est pas totalement faux non plus. La ville, j'ai vu que ça. On est jamais allés campés, dans ma famille à moi, les rares voyages c'était toujours en première classe (merci beau-papa). Pour le peu de fois qu'j'ai quitté Séoul, de toute manière. La nature, j'pense que j'pourrais me débrouiller dedans, mais j'sais aussi qu'j'saurai pas m'y prendre. Et puis ça m'tente pas des masses – j'suis pas comme elle, moi, j'suis pas comme Nina, une fille de la nature. « J'veux juste rouler. Le plus loin possible. » Le plus vite possible, aussi, mais ça j'le dis pas. Rouler à oublier le monde, rouler à perdre la tête, rouler à vivre un peu – mais pas rouler à en crever. Ça j'ai déjà testé, j'le ferai plus. Parfois quand j'grimpe sur ma moto, j'revois le visage de ma mère – ses yeux remplis d'inquiétudes, les larmes écrasées sur ses joues, et son p'tit poing dont elle m'a frappée comme une vengeance parce qu'elle avait eu peur, si peur. Et j'veux pas, j'veux plus jamais la revoir comme ça. Ça m'évite de m'foutre en l'air comme ça. Et probablement que j'lui dois la vie. « Tu peux venir. » Si tu veux. J'hausse à nouveau les épaules, j'détourne le regard, avant d'le fixer à nouveau sur elle. J'dis pas que j'veux qu'elle vienne – j'm'en fous qu'elle vienne ou pas (même si j'aimerais bien, peut-être, au fond). Mais j'me vois pas partir avec quelqu'un d'autre. Y a bien Sana ouais, mais c'est Sana, elle s'inquiéterait. Y a Kali, aussi, mais Kali c'est pareil. Au moins j'sais qu'avec Nina, j'aurai pas à parler. Au moins j'sais qu'avec Nina, j'aurai juste à affronter ses regards-amour et pas ses yeux inquiets.

C'est vite réparé, le problème de sa bécane. ça prend trois fois moins de temps que de réparer son coeur à lui, à naru. Et puis nina elle souris un peu à sa réponse. C'est vrai que lui, il se colore couleur néon, orange lampadaire et rose enseigne. Naru, c'est un gars de la ville. De cette ville. « C'vrai. » qu'elle dit en relevant les yeux vers lui avec un petit sourire. « lance toi alors, pense juste à toi, à c'que t'as envie. » qu'elle dit en baissant à nouveau la tête, finir de réparer, changer une pièce, juste au cas ou, histoire qu'elle soit comme neuve. Encore. Elle se redresse et s'étire, son ventre à l'air avec un petit soupire, écoute Naru lui dire qu'elle peux v'nir. c'est pour pas mourir, naru, que tu m'emmènes?

La californienne se remet à siffloter. Elle à pas peur pour naru, elle à pas conscience du danger, elle aime trop vivre pour s'inquiéter. Alors Nina elle dit jamais non à tout ces coups d'accélérateurs. Elle va poser la clé à molette et prend le bas de son t-shirt pour essuyer sa joue, se dirige avec bonne humeur vers le poste radio, remet un FN au hasard pour récupérer son téléphone qu'elle glisse dans la poche de son jean, tape un coup du peid droit pour remettre sa doc marteen en place. C'est marrant parce que nina, quand tu la vois, tu t'dit pas cette nana là respire la nature. Parce que nina à l'air d'une grunge un peu perchée, pas trop posée. Et cette fille là s'en fou de tout, vis juste sa vie, partout, tout l'temps, avec tout le monde, partage son amour et ses humeurs, partout, tout l'temps. « On y va alors? » Pas besoin d'attendre, Naru à juste envie de rouler de toute façon. Elle lui jette un nouveau regard-sourire avant de le dépasser à nouveau, courant vers le bureau en gueulant qu'elle se cassait, qu'elle finissait la caisse tout à l'heure, que fallait pas toucher parce que y'avait qu'elle qui pouvait y toucher à celle là, puis elle attrape dans son casier son sac à dos et le casque qu'elle laisse là, quand raï viens la chercher, quand un autre pote viens la chercher (comme naru par exemple) et reviens vers naru avec un grand sourire. « Moi aussi j'ai envie d'rouler. » qu'elle dit. Fait moi confiance naru, j'te ferais pas chier.

J’sais pas pourquoi j’suis devenu ami avec Nina, de prime abord. J’sais pas pourquoi j’l’ai laissée trouver sa place dans ma vie, j’sais même pas pourquoi j’l’ai acceptée. Elle est trop bruyante, Nina, elle est bruyante d’amour, elle est bruyante de vie, et de ce petit quelque chose qui la caractérise, qui fait qu’on la reconnaît dès qu’on la voit. De ce quelque chose Nina, presque imperceptible et pourtant bien là. Ce quelque chose qui s’reflète dans son âme, chacun de ses gestes.

J’sais pas pourquoi j’suis devenu ami avec Nina. J’sais pas pourquoi j’reste non plus. J’sais juste qu’j’ai jamais ressenti le besoin de m’en aller – de m’en aller sans elle. « On y va alors. » J’récupère ma bécane, j’récupère mon casque et puis on en sort, loin de l’agitation du garage, de l’odeur d’essence. Loin de ce petit havre de paix où elle a élu domicile, la femme-soleil. J’me demande souvent pourquoi elle y bosse Nina, au garage. J’me demande aussi pourquoi elle l’est aussi Sana, garagiste. Y a quelque chose qui doit les attirer, dans la réparation de vieilles bécanes en bout d’vie. Peut-être qu’elles se ressemblent plus que c’qu’on dirait, au fond, les deux. J’sais pas pourquoi et pourtant j’aimerais tellement, savoir. Comprendre. Comme pour faire partie de leur vie, à toutes les deux, intégrer leur univers, me frayer une p’tite place. Peut-être que c’est dans l’cambouis, qu’elle se trouve, la paix intérieure. J’enfile mon casque, j’referme ma veste et j’lui lance un regard, à Nina. « On peut faire un crochet par chez moi si tu veux aller chercher une veste en cuir. Ou tu peux emprunter celle de Sana. » Celle que j’la force à enfiler, à chaque fois qu’elle grimpe derrière moi. Parce que la sécurité, c’est sacré. C’est maman qui me l’a appris. Et sans elle j’serais crevé, j’le sais. On est jamais à l’abri d’un accident ; et j’supporterais pas qu’elle s’éteigne à cause de moi, la flamme de Nina. Elle mérite de briller et de brûler pour toujours. J’veux pas qu’un coup d’volant mal placé mette fin à ses jours. « C’pas négociable, t’enfiles une veste. Ou tu viens pas. Et j’sais que tu meurs d’envie d’venir. » Et j’me permets ce sourire ironique, alors qu’mon pied vient taper contre le sol. Impatience. J’veux filer le plus vite possible – filer le plus loin possible. Mais j’l’attends. Parce qu’elle le mérite, Nina, elle mérite qu’on attende pour elle.

Nina sifflote, lève instinctivement le nez vers le ciel en passant la porte, à la recherche d'un rayon de soleil, celui qui aura eu le courage et la force de traverser les nuages, la ville, tout, pour venir caresser son visage. C'est la brise qui passe, qui soulève une petite mèche de cheveux, pas de soleil pour le moment mais nina, elle trouve pas ça grave. Elle est autant de la nature que de la ville la gamine. Partagée entre les racines de son arbre et la mécanique douce couleur bitume et néon qu'elle ajoute dans les branches.

Elle lève les yeux au ciel Nina en l'entendant parler, mais sourit aussi avec malice, déjà prête à faire demi-tour, se dandinant sur ses jambes avant de lui foutre le casque dans les bras de force « Ok Daddy! » qu'elle dit en partant déjà vers l'intérieur du garage, tournant la tête pour le regarder avec un grand sourire de gamine avant de filer dans l'antre qu'elle partage avec ses collègues. Ses doigts parcourent les noms gribouillés sur les casiers, et ouvre celui de Sana sans grande hésitation, souriant à la vu du cuir. Elle le glisse sur ses épaules en revenant en courant vers l'extérieur, s'arrêtant à quelques centimètres de naru, penchant dangereusement vers l'avant avant de retrouver son équilibre. « allez, on y va putain! » L'enthousiasme à la nina, cette simplicité pure, suave mélange entre la douceur et l'explosion. Nina, elle fait un clin d'oeil à Naru, reprend son casque et se le visse sur la tête après avoir détaché ses cheveux pour pas avoir de chignon, et grimpe derrière lui sur la bécane qui ronronne. Et ils s'envolent, partent sans regarder derrière eux. Et Nina à pas peur, elle fait confiance aveugle en Naru sur sa bécane. Il va vite, mais c'est l'excitation au creux du ventre, c'est les immeubles qui défilent sous leur yeux, c'est les doigts de nina qui se cramponnent au cuir de Naru.

Et elle fuit, Nina, avant que j’puisse dire quoique ce soit, elle fuit et moi j’détourne la tête en souriant. Daddy, c’est con. J’suis pas un daddy moi, j’suis tout l’contraire. J’peux pas prendre soin des autres, j’y arrive pas, j’y arrive plus. J’suis juste un connard parmi tant d’autres, qui sait que s’occuper d’sa propre gueule et ça changera pas (ça changera plus). Et pourtant c’est Nina, alors j’souris, parce qu’elle plaisante, parce qu’elle a l’air d’une gamine, avec les yeux qui pétillent, ses dents qui brillent et reflètent le soleil.

Et moi j’l’attends, là, toujours. J’reste assis sur ma bécane et j’tourne les yeux à droite, à gauche, et j’ai la jambe qui s’agite, qui a soif de vitesse, veut bouger. Et y a mes cachetons, aussi, qu’attendent dans ma poche mais que j’veux pas prendre, que j’veux plus prendre (de toute manière, maman, elle est pas là pour surveiller, alors j’m’en fous). Et puis y a Nina qui revient, qui grimpe en râlant et dès que j’la sens s’accrocher, j’démarre sur les chapeaux d’roue, comme si j’avais attendu ça toute ma vie. J’accélère vite, vite, vite, j’joue avec les limites de vitesse, j’dépasse un peu, puis j’ralentis. J’veux pas mourir, j’veux juste ressentir – ressentir le vent, ressentir les bâtiments qui défilent, ressentir la route qui s’étire à l’infini sous mes roues, ressentir la vie tout simplement. J’roule sans parler, sans penser, j’roule juste pendant des minutes et j’envisage de plus jamais m’arrêter. Pourtant j’finis par ralentir, par me stopper complètement, devant un magasins, une boutique – un supermarché, en fait. « Tu veux pas acheter à manger? J’sais pas quand on reviendra. » Peut-être jamais. Peut-être que j’la larguerai dans un coin et que j’continuerai tout seul (et peut-être que moi j’reviendrai pas, jamais, j’sais pas si j’veux revenir un jour en fait).