[TENUE] Elle traine des pieds à travers la salle. Il n’y a plus grand monde ce soir. Elle avise le cadran de l’horloge qui indique 3H14. Elle ne se voit pas tenir jusqu’au petit matin ainsi. Elle se laisse tomber dans un canapé et discute avec un habitué. On dirait presque qu’elle invite des gens chez elle, ouais, dans le fond c’est un peu ça. Il reste là, il consomme, ce qu’ils veulent d’ailleurs, et ils discutent. Certains dansent, mais pas ce soir, l’ambiance est crevée, les gens ont fini de rire fort. Bae propose un film mais certains déclinent et se lève pour rentrer. D’autres jouent aux fléchettes. Ils perdent, trop alcoolisé pour visé juste. Elle sourit en coin et appelle un taxi pour lui. Elle sait qu’il va râler mais demain il la remerciera. C’est toujours comme ça. Elle les connait pas à force, les habitués du Kurss, ceux qui restent jusqu’à pas d’heure parce qu’ils n’aiment pas la vie qu’ils ont. Elle sourit, et pose son regard ébène sur Chin Hae. Il lui parait distrait ce soit. Un peu loin. Perdu. Elle ne saurait dire ce qu’elle voit en lui ce soir, mais elle sait qu’il y a quelques choses qui clochent. Elle penche la tête un instant en regardant ses gestes maladroits. Ce n’est pas la première fois qu’il renverse quelque chose ce soir. Elle est passée derrière lui pour réparer ses maladresses et loin de s’en agacer elle s’en inquiète. Elle affiche une petite moue en croisant les bras en le fixant de loin. Son visage tiré lui semble … triste. Ouais c’est ça le mot. Elle échange un regard avec Kan et comme à leur habitude ils n’ont pas besoin de parler pour se comprendre. Elle acquiesce avec un petit sourire en se levant rapidement pendant que Kan fou à la porte, avec son flegme légendaire et sa courtoisie habituelle, les gens du Kurss. Certains râlent, d’autres sont habitués. Elle prépare un chocolat chaud, épais, comme elle seule en a le secret et se met à faire réchauffer dans une poêle les gaufres qu’elle a faites cette après-midi. Elle prépare tout sur un plateau et se glisse derrière Chin Hae pendant que les derniers clients s’en vont. « Hé … » elle l’appelle doucement, de sa voix pleine de tendresse en posant une main sur son épaule. Elle se place à ses côtés et lui prend ce qu’il a entre les mains. « On ferme, y a pas grand monde ce soir, autant qu’on se pose un peu. » Elle sourit, l’air de rien, c’est toujours comme ça avec Bae. « Prends une tasse de chocolat et des gaufres si tu veux, on a bien mérité une pause. » Elle récupère la bassine de verres sales et la coince sur ses hanches. « Va t’assoir Chin Hae, j’arrive avec toi ! » Elle ne lui laisse pas vraiment le choix derrière ses airs doux. Elle rit doucement en passant sa main sur le bras du jeune homme et s’en va déposer la caisse derrière le bar. Là, au moins elle ne l’a plus en visuel. Ce n’est pas qu’elle est maniaque Bae, mais c’est qu’elle aime le travail bien fait. Elle range rapidement la vaisselle et se lave les mains s’apprêtant à rejoindre le jeune homme. Elle croise le regard de Kan et lui adresse un petit sourire gêné alors qu’il monte à l’étage, surement pour vérifier que Miha dorme bien.
 

[TENUE]J’avais la tête ailleurs ce soir, vraiment. Jae ne répondait ni à mes sms ni à mes messages laissés sur Skype. Je commençais sérieusement à m’inquiéter. Ce n’était pas normal qu’il me laisse sans nouvelles, ce n’était pas son genre. Je ne pensais pas qu’il était fâché à ce point-là. Mais il voulait une pause non, pas me quitter. Je n’étais plus sûr de rien. Et j’aurai voulu le rejoindre, mais je ne savais même pas où il se trouvait. Il ne me l’avait pas dit. J’avais d’abord cassé un verre en début de soirée, puis une bouteille de bière et deux assiettes. Je n’avais même pas l’envie de draguer mes clientes habituelles. Parce que j’avais beau essayer de me concentrer sur mon travail mais mon esprit filait toujours droit vers Jae. Il fallait que je me reprenne parce que je ne pouvais pas continuer à être à moitié là. On comptait sur moi au bar et je ne pouvais pas me permettre de dérailler. Heureusement qu’il n’y avait pas trop de clients pour me voir me planter ce soir.

Je remerciais intérieurement Kan de fermer le bar plus tôt que d’habitude parce que j’avais besoin de respirer, j’avais besoin de me poser, de me laisser un peu aller. Je sursautais en sentant Bae derrière moi et je manquais de lâcher le verre que je tenais. Je la laissais le prendre, c’était plus sûr. J’avais fait assez de dégâts pour la soirée. Son sourire me rassurait et j’étais reconnaissant d’être tombé sur elle et sur lui. Ils étaient mon point de repère, mon phare en pleine mer. C’était ma nouvelle famille et ils étaient parfaits pour moi. Je tentais de lui rendre un petit sourire et ne me faisais pas prier pour aller m’assoir. Ça devait se voir à ma tête que quelque chose n’allait pas. Je montrais rarement mes émotions, mais cette fois j’avais l’impression que mon cœur se brisait à nouveau et je n’étais pas capable de dissimuler mes sentiments aux autres.

J’attrapais une tasse de chocolat et allait me caler dans un canapé. Je soupirais et attendait que Bae revienne. Je n’étais pas vraiment tactile, ni très expansif, mais là, j’avais besoin d’elle, de quelqu’un à qui me confier, besoin de me blottir dans ses bras parce que tout seul, je n’y arrivais plus. Je ne lui avais jamais dit que je sortais avec quelqu’un et encore moins que c’était un garçon parce que je n’assumais pas ce côté de ma personnalité. Mais c’était trop lourd à porter.

J’avais remarqué leur petit manège, j’apercevais les regards et les sourires échangés et je n’avais encore jamais osé en parler à Bae, mais plus tard une nouvelle conversation s’imposerait. Elle craquait pour le patron. Mais genre vraiment. Je posais mon regard sur elle lorsqu’elle vint me rejoindre.

«Excuses moi Bae… J’ai pas assuré aujourd’hui. Je sais que tout le monde à des problèmes et qu’on doit les laisser à la porte. »

Je prenais une gorgé de mon chocolat et laissait échapper un soupire de plaisir. Je pourrais en faire des overdose de son chocolat. Il était parfait. Parce qu’elle était la première à avoir ce genre d’attention, parce que même ma propre mère ne m’avait jamais consolé. Je me sentais mal à l’aise.

«Je suis amoureux et c’est la merde. Et ça fait 20 ans que je l’aime, alors c’est encore plus la merde. »

Jae représentait tout pour moi et personne n’arrivait à le comprendre. Ça me bouffait et il était en train de me tuer à petit feu. Ma lumière s’éteignait, j’avais besoin de son sourire, de sa voix, de son odeur. De tout.  

[TENUE] Je peux enfin le rejoindre et me laisser tomber dans le canapé à côté de lui en me prenant à moi aussi une tasse de chocolat. Dieu que c’est délicieux. Je pousse un soupir d’aise en retirant rapidement mes escarpins. « J’en pouvais plus » Lâchais-je avec un sourire doux en portant ma tasse chocolat à mes lèvres. Je lève mon regard vers le sien avec l’envie soudaine de le prendre dans mes bras pour le rassurer. Il n’y avait aucuns soucis pour ces quelques maladresses de ce soir et mon sourire doux en étaient la preuve. « Mais parfois ils sont trop gros pour qu’on les laisse de côtés pas vrai ? » Je penche le visage doucement sur le côté en le regardant et boit une nouvelle gorgée de mon chocolat. C’est aussi ça l’esprit du Kurss on fait tout pour le faire tourner, on tente de laisser nos emmerdes dans un coin et espérant les faire disparaitre. Mais elles sont là, à nous attendre, et finalement vient le jour où on doit les affronter. Alors si on est accompagné c’est toujours mieux … et y a ça au Kurss, des gens, un peu bancal, un peu flingués aussi, mais y a  des gens. Et ces gens ils sont là pour aider, pour soutenir. On n’est pas vraiment les meilleures personnes qui puissent exister sur terre, on a fait plus de merdes que de bonnes choses. On fuit tous un passé qu’on aimerait pouvoir oublier, peu importe les raisons, alors on se retrouve, un peu comme si c’était une évidence quand nos regards se croisent. On le sait quand on arrive au Kurss et qu’on a trouvé sa place. Ce n’est pas juste un boulot, un lieu où gagner de la thune facile. Parce que le Kurss tu l’aimes comme il est, et il te le rendra. J’ai toujours trouvé une certaine magie dans ces lieux. On en a vu passer des destins cassés repartir d’ici en volant de leurs propres ailes. C’est comme une seconde chance, une façon de ne pas laisser tomber et de pas tout faire foirer à nouveau. J’ai longtemps cru que je le voyais ainsi par rapport à ma propre histoire, puis à celle de Kan. Mais je dois bien me rendre à l’évidence que si le Kurss est fait à notre image, il est là pour aider tous ceux qui le veulent.

 

[TENUE]Cet endroit, c’était ma maison. C’était le lieu où je me sentais comme chez moi, où je savais que je pourrais trouver de l’aide mais également en donner. Parce qu’ici on recueillait les âmes en perdition, qu’on était un refuge pour les cœurs brisés et que chacun de nous avait vécu des choses qui nous rapprochait. Aujourd’hui c’était moi qui avais besoin de conseils et d’oreilles à l’écouter. Bae semblait fatiguée, elle se donnait toujours à fond pour les autres et elle méritait que l’on prenne soin d’elle. Je hochais la tête pour confirmer ses dires. Mes problèmes étaient trop gros, où alors je n’étais pas assez fort pour les assumer. Je n’avais pas l’habitude d’être autant submergé par des sentiments que je ne connaissais pas. Elle ne m’en voulait pas, je pouvais le voir dans ses yeux. Parce qu’elle était comme ça. Parce qu’elle préférait essayer de me comprendre au lieu de m’engueuler et de me virer un coup de pied au cul. Je me sentais en sécurité au Kurss, près d’elle, près de Kan.

Je me rassurais en buvant mon chocolat chaud. Je ne connaissais pas vraiment la vie de Bae, je ne lui avais jamais posé de question parce que j’estimais que son passé ne me regardait pas et que si elle avait envie d’en parler elle le ferait d’elle-même. J’étais doué pour écouter et c’était ce qui plaisait aux clients qui s’installaient au bar, face à moi. C’était facile quand la personne qui vous écoutait comprenait parce qu’elle connaissait la douleur, les prises de tête. Elle ne balançait pas des phrases toute faite du type : Le temps effacera les blessures, s’il n’est pas avec toi, c’est qu’il ne te mérite pas. Ou ce genre de conneries. Parce que la vérité c’était que je ne méritais pas Jae, pas l’inverse.

«Quand on s’aime trop. On se détruit. »

Je l’aimais trop et depuis trop longtemps. Mais il n’était plus le même. Nous avions trop changé. Pourtant cet amour ne s’était jamais tari et nos retrouvailles étaient un peu trop intenses. C’était beaucoup trop d’un coup. Je pouvais sentir que Bae avait ses souffrances et que l’amour l’avait foutu en l’air. J’étais comme elle. Je ne pouvais pas dire stop même si on se faisait plus de mal que de bien. Je l’aimais et c’était pour la vie quoi qu’il arrive. Et le fait qu’il soit parti me faisait réfléchir, je me remettais enfin en question. Son absence me bouffait, mais c’était pour notre bien. Je laissais échapper un petit rire. Si c’était compliqué ? C’était pire que ça.

«C’est du genre compliqué. Je l’avais pas vu pendant plusieurs années. Et je l’ai retrouvé ici un peu par hasard. Je l’ai retrouvé et je lui ai tout dit. Que je l’aimais depuis tout ce temps. Mais c’était trop rapide. Et le truc, c’est que j’assume pas. C’est de me faute. »

Je baissais le regard vers ma tasse. J’étais un peu gêné, je ne savais pas comment le dire. Elle ne me jugerait pas, mais j’avais un peu peur de sa réaction. Je n’en avais parlé à personne et c’était bien le problème.

«Je suis amoureux d’un garçon. Et j’ose pas le dire. Parce que lui il n’a pas de problème avec ce qu’il est mais moi … Moi je n’ai jamais aimé personne d’autre. Il était mon premier. Pour tout. Et il sera le dernier. »

Je n’étais pas sûr de grand-chose dans ma vie, mais ça c’était une véritable certitude. Jae serait le seul.

«Il a plus ou moins dit qu’il en avait marre de moi et qu’il voulait faire une pause. Et j’ai plus de nouvelles depuis quelques jours. Je sais pas quoi faire Bae. Je suis en train de me noyer. »

Je plongeais mon regard dans le sien. J’avais besoin de son soutien. De savoir que je pouvais compter sur elle.    

[TENUE] Je reste assise à côté de lui avec l’impression soudain étrange que ses mots font échos à ma vie. Un amour trop intense, déchiré, perdu, retrouvé, un amour de toute une vie qui vous prend aux tripes et qui vous consume et qui vous déchire. Un amour qui vous fuit. Un amour qui ne veut pas de vous mais pourtant que vous désirez plus que tout. Un amour compliqué, en berne, mais qui est comme une évidence. Je l’écoute et j’ai mal au cœur. Mal au cœur de le voir ainsi. Mal au cœur de voir que nos vies sont si similaire à cet instant. Je plonge mon regard dans le sien et esquisse un petit sourire triste. Shin me manque … et j’ai envie de le retrouver là tout de suite. Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’il m’en veuille. Qu’il est fâché, furieux après moi … je l’ai blessé, plus que de raisons et il a toutes les raisons du monde de m’en vouloir. Parce que je ce que je vis avec Kan c’est … honteux, c’est déplacé, c’est horrible …mais c’est plus fort que moi et je ne sais pas quoi faire … je ne sais pas quoi faire pour nous. Je ne suis pas prête à abandonner le Kurss. A abandonner Kan. A tout laisser derrière moi. De toute façon Shin n’est pas prêt. On n’est pas prêt pour une vie à deux. On ne le sera probablement pas avant qu’il se soit vengé de son père … et une vie semble passer en attendant … J’attrape doucement la main de Chin Hae et entrelace nos doigts avant de le tirer un peu plus vers moi pour qu’il puisse poser sa tête contre mon épaule. Je m’installe confortablement en serrant son bras contre moi sans lâcher sa main. « Bien sûr que non tu te noies pas … » murmurais-je d’une voix douce en caressant sa joue de ma main libre. « On te laissera pas te noyer. » Je l’avoue que je suis surprise de cette nouvelle qu’il me balance avec une certaine gêne et honte. Il est gay, ou plutôt il aime un homme, un seul, et ça fait de lui un homme qui ne s’assume pas. « Comme je te comprends … » soufflais-je. Moi non plus je n’assumais pas mon attirance physique pour Kan. « Mais ça se contrôle pas, pas vrai … ? » Je lâche un faible soupire et caressant son avant-bras. « Qu’est-ce qui lui a fait dire qu’il en avait marre de toi ? Que tu n’assumes pas ou autres choses ? » Je tentais de faire le point sur ce qu’il m’avait confié, sur ce qu’il me racontait sur sa relation avec ce garçon. « Tu sais si tu te rends compte que tu l’aimes vraiment à ce point essaye de prendre du temps pour toi pendant votre pause … comme ce que tu veux vraiment, qu’il revienne certes, mais s’il revient qu’est-ce que t’es prêt à lui donner ? » Je tourne mon visage vers lui et ajoute tout bas « Peut-être que tu peux prendre ce temps dont il a besoin pour tenter de rassembler ton courage et voir si tu peux … assumer ? » Oh bien sûr c’était plus facile à dire qu’à faire et j’en avais conscience … c’est d’ailleurs pour ça que je rajoutais «  Je sais que c’est dur, mais peut être qu’ainsi le temps te paraitra moins long si tu as toi aussi du boulot à faire sur toi-même, tu vois ce que je veux dire ? » Je mordille ma lèvre en pleine réflexion et ajoute « Mon petit ami m’a aussi demandé une … pause, enfin on s’est engueulé et depuis il ne me parle plus. Toi et moi on est dans le même bateau. » Je lâche un petit rire triste et lève les yeux pour fixer le plafond. « J’ai beau appelé mais il ne répond pas, j’ai beau envoyer des sms mais il ne répond pas. Je n’ai pas encore essayé d’aller chez lui parce que j’sais que c’pas le bon moment. Il a besoin de temps et insister dans le fond ne fera que l’étouffer encore plus … mais ça m’rends dingue … » Et je savais qu’il comprendrait lui … que Chin Hae saurait comprendre de quoi je voulais parler. « De toute façon ca a toujours été comme ça … suis moi je te fuis, fuis moi je te suis … je te paris que dans une semaine ils vont revenir en nous suppliant de les reprendre. » Je me fais des illusions mais plaisanter ainsi sur le sujet le rendais moins grave,  moins douloureux, enfin … on essaye tout du moins …
 

[TENUE]J’étais fatigué. Fatigué d’espérer, fatigué de me battre. Si je ne me noyais pas, je n’en étais pas loin. Sa main contre ma joue me rassura parce que je savais que je pouvais compter sur eux et que si je leur demandais de l’aide, ils ne me laisseraient jamais tomber. Ça me permettait de rester en vie, de m’accrocher à quelque chose, mais ça ne guérissait pas la blessure. Je ne savais pas gérer mes relations. On m’avait toujours dit que l’homosexualité était grave et même si je l’aimais, je pouvais toujours entendre la voix de mon père au fond de moi. Je soupirais, me détendant sous les caresses sur mon avant-bras. C’était agréable quand quelqu’un prenait soin de vous. Je n’avais pas envie de repenser à notre dispute mais je ne pouvais pas continuer à fuir.

«Oh, il a simplement dit que j’étais trop jaloux, étouffant et qu’il ne voulait pas rester avec quelqu’un qui le cachait. »

Je pouvais comprendre, Jae était à l’aise avec ce qu’il était, mais tout le monde ne pouvait pas l’être. Les mots de Bae me faisaient réfléchir, qu’est-ce que j’étais prêt à lui donner ? Je ne savais pas, je n’étais sûr de rien. Est-ce que j’étais capable de lui promettre ce qu’il voulait ? Non je ne pouvais pas, pas en quelques jours. J’allais profiter de son absence pour faire le point, pour réfléchir à ce que je voulais vraiment et à tout ce que je pouvais lui offrir. Je ne pouvais pas sortir demain dans la rue en lui tenant la main, en l’embrassant devant des dizaines de personnes. Je connaissais les gens, je savais ce qu’ils en pensaient. Je ne voulais pas qu’on lui fasse du mal.

«T’as raison. Faut que je prenne un peu de temps pour moi et que j’arrête de vivre pour lui. J’ai besoin de réfléchir. C’est la seule personne que j’ai aimé, alors j’ai envie de le faire pour lui, mais c’est difficile de se montrer aux autres, ça me rend vulnérable, et ça me fout la trouille. »

J’étais étonné que son petit ami ne lui donne plus de nouvelles. Bae était une fille exceptionnelle et ce n’était pas juste de la faire souffrir.  C’était dur de se sentir impuissant, de ne pas avoir de réponses à nos messages. J’aurai préféré qu’il me hurle dessus. Son ignorance était brutale et beaucoup plus violente. Ce n’était pas son genre de se renfermer sur lui et de couper les ponts.

«C’est horrible de n’avoir aucune réponse, parce que je m’imagine plein de choses. J’ai envie qu’il me parle, même si c’est pour me balancer des trucs désagréable parce que ça montrerait qu’il s’intéresse encore à moi. Mais avec son silence, j’ai l’impression de ne plus exister. »

Je terminais mon chocolat chaud. J’allais devoir m’occuper l’esprit et prendre mon mal en patience. De toute façon, je n’avais pas le choix. Je ne connaissais même pas la destination de son voyage. Son absence était peut être nécessaire. Je ne pensais pas qu’il reviendrait en rampant, c’était plutôt moi qui allait le faire. Je me raclais la gorge pour tenter une approche.

«Et avec Kan, il se passe quoi ? »

J’avais remarqué leur petit jeu depuis un moment, mais personne n’avait osé en faire la remarque. Je devais être le premier à essayer mais c’était peut-être le bon moment.  Elle n’avait pas envie d’en parler ? Je ne l’obligeais pas, je me renseignais juste parce que je remarquais que leur relation la perturbait.

«Tout le monde le voit en fait. »     

[TENUE] «C’est horrible de n’avoir aucune réponse, parce que je m’imagine plein de choses. J’ai envie qu’il me parle, même si c’est pour me balancer des trucs désagréable parce que ça montrerait qu’il s’intéresse encore à moi. Mais avec son silence, j’ai l’impression de ne plus exister. »  Il ne pouvait pas mieux résumer ce que je pensais. C’était presque rassurant de voir qu’une autre personne pensait ainsi. Je lève mon regard vers lui avec un faible sourire et murmure songeuse « Je crois que ouais, c’est ça le pire. Ne pas savoir, imaginer. Se demander ce qu’il peut savoir, t’as beau le connaitre par cœur, tu ne comprends pas pourquoi il fait ça … tu n’arrives même plus à savoir ce qui se passe dans sa tête, ce qui pourrait lui plaire pour le faire revenir … c’est comme si soudainement tu n’arrivais plus à réfléchir ou à te poser. » Je parlais les yeux dans le vide sans vraiment m’en rendre compte et affichait un petit sourire triste « Toi comme moi on est les fautifs de l’histoire mais j’ai l’impression qu’ils n’ont jamais essayé de comprendre ce qu’on pouvait ressentir nous … t’sais si on merde, si on fait des erreurs c’est pas parce qu’on s’en fou d’eux … bien au contraire, c’est peut-être parce qu’on les aime trop … alors je sais pas … ça parait si dingue que ça de tenter de nous comprendre ? » Je mordille ma lèvre inférieure en reportant mon attention sur le bar en reniflant. Je dois avouer que je m’attendais à tout sauf à ça … je me redresse légèrement avant de lui dire perdant mon sourire « Qu’est-ce que tu veux dire ?! » Mais tout le monde voit ? Tout le monde voit quoi ? Je déglutis plus fautive encore que je ne l’aurais cru. « Je ne vois pas de quoi tu parles » bafouillais-je en me redressant prête à le quitter quand je vois Kan débarquer sa clope au bec et son expression de gamin de la rue qui s’en sort plutôt bien. Alors pour la première fois je ressens le besoin d’en parler. C’était tellement soudain que j’avais l’impression d‘avoir été prise en faute. Je me laisse retomber en arrière sur le siège et soupire. « J’en sais rien … » c’est la vérité, je n’en sais rien. « Je mentirais si je disais qu’il ne me plaît pas … mais j’ai déjà quelqu’un et quand bien même ce n’est pas parfait je l’aime depuis que je suis née. T’sais le genre d’amour qu’on ne peut pas oublier ni mettre de côté. Personne n’arrivera à la cheville de Shin … mais disons que Kan … que Kan se débrouille bien pour lui arriver un peu plus haut … » Je pose ma joue sur mes genoux et lève un regard coupable et craignant d’être jugé vers Chin Hae « Shin est sortie de ma vie du jour au lendemain pendant 7 ans. J’ai plus eu de nouvelles et j’ai dû apprendre à vivre sans lui … J’ai rencontré Kan il y a 3 ans … au début on s’entraidait juste, puis on devenu ami, puis … Shin est revenu ; C’était si évident pour moi de le rejoindre et de retourner avec lui … mais … ouais je crois que Kan avait déjà réussi à se faire une place quelque part en moi. » J’affiche un sourire triste et frotte ma nuque « alors je … j’en sais rien de ce qui se passe. Kan c’est Kan tu sais et moi c’est moi … on ne peut pas nier notre alchimie mais je dresse tellement de barrière, des barrières que je traverse parfois, qu’au final on fait un pas pour en reculer de dix mais tu sais … j’aime Shin et je serais rien sans lui … et c’est dur de vivre sans lui … Kan sait qu’il ne pourra jamais m’avoir totalement. Même si dans le fond, dans un contexte différent, avec un timing différent il sait qu’il aurait pu m’avoir à 200% … » C’était là la première fois que j’osais avouer tout ça, que j’osais poser des mots à hautes voix sur ce qu’on était Kan et moi … Et c’était presque aussi douloureux de se dire que Kan et moi c’était impossible, que de savoir Shin me détester pour avoir merdé avec lui …