Ninah se délectait des provocations de son ami Wook envers les agents de sécurité. C’était une sensation qui pourrait ressembler à une dégustation d’une glace à la fraise et au chocolat avec du piment. C’était plaisant, doux, cela coulait de source, avec cependant une pointe de danger. Plus l’entretien avançait, plus elle avait l’impression qu’il bouillonnait. Elle ne regarda avec un air aimant, sachant très bien ce qu’il ressentait. Elle avait plus d’une fois perdu son sang froid lors de contrôle de la sorte. Elle avait souvent été réprimandé par plusieurs institutions supérieurs et avait pété des câbles.

Alors elle le regarda et posa discrètement sa main sur la sienne, comme pour lui transmettre tout ce qui pouvait l’aider dans son mental : sa douceur –bien que rare-, sa force, et sa confiance qu’elle avait en lui. Ils avaient tellement fait des folies et traversés des ouragans ensemble qu’il était inconcevable qu’elle s’en aille en courant maintenant. Elle voulait juste le luit rappeler. Le voyant décliner un faux nom, ce fut la débandade dans sa tête pour trouver celui qui lui irait le mieux.

« Et moi ? on ne me demande pas comment je m’appelle ? je suis bien triste… »

Ninah se leva et s’assit sur la table, en boule, et se mit à pleurer, comme un bébé à qui on aurait manqué de donner de l’attention. Les agents ne savaient comment la contrôler. Elle ne faisait pas de mal, donc ils avaient interdiction de la toucher, c’était la rêgle. Elle était juste dérangée ? folle ? devaient-ils se dirent. Non, c’était juste Ninah.
Puis le policier demanda enfin son nom sur un ton provocateur. Elle tourna le regard vers lui, serieuse. Elle était au taquet aujourd’hui. Elle prit même son plus bel accent japonais, qu’elle n’avait pas sortit depuis belle lurette.

« Yamamoto Keiko, messires ! dit-elle en se mettant debout sur la chaise.

Elle en profita pour faire une petite révérence masculine. Mais c’est dans ce geste que, sans le faire exprès, elle renversa sur les deux agents assis autour de la table, le café et le jus de citron qu’on avait daigné apporté aux jeunes gens. Elle sursauta faisant « oups », la main sur la bouche. Sans faire exprès hein ? Puis elle leva le doigt comme une enfant. Même si les hommes perdaient patience, elle, elle était au point de non retour. Personne ne pouvait arrêter son insolence.

« M’sieur, on peut en avoir d’autres ? Quelqu’un les a malencontreusement fait tombés… »

Wook regarda Ninah se mettre à pleurer comme un bébé sur la table basse qui faisait face aux canapés usés du local. Il ne pouvait pas s’empêcher de rire, il savait parfaitement qu’elle faisait semblant, mais c’était tellement criant de réalisme que de voir les mines déconfites et dubitatives des agents le confortait dans son idée qu’il fallait un peu égayer leur soirée. Et à son tour, elle leur donna un autre nom, utilisant l’espace comme dans une pièce de théâtre. Une petite révérence, et en se relevant elle bouscula l’agent – certainement le plus idiot de la terre – qui était venu leur apporter leurs boissons. Mais franchement quel officier digne de ce nom se pliait aux demandes de deux délinquants ? La japonaise ne s’excusa pas, mais Wook s’en fichait, il était seulement exaspéré que son pays natal soit aussi laxiste sur le recrutement de certains de ses agents pour maintenir l’ordre. Au fond il ne s’en étonnait pas trop, il avait terminé au commissariat un nombre incalculable de fois et s’en était toujours sorti. Elle quémanda de nouvelles boissons, accusant la faute à pas de chance si les précédentes s’étaient renversées, et le coréen pouffa une fois de plus devant son impertinence.

Même si cela ne faisait quelques minutes qu’ils avaient été amenés dans le local des gardiens pour leur faire avouer leur crime, Wook en avait déjà marre. Il avait autre chose à faire que de baby sitter des agents de sécurité avec un unique neurone. Sur l’un des bureaux il remarqua un paquet de cigarettes. Il ne fumait qu’occasionnellement, mais ce moment-là était plutôt propice à une petite pause clope. Alors d’un pas assuré il se dirigea vers le bureau en question pour subtiliser une cigarette. Puis avec un grand sourire il leur montra sa trouvaille, attrapa un briquer au passage. « M’en voulez pas si je sors fumer ? Non ? Ok alors je suis juste devant hein ! » Et sans même leur laisser le temps de répondre, il passa la porte et alluma le bâton de nicotine qu’il porta à ses lèvres. Il ne fallut d’ailleurs quelques secondes pour que Ninah le rejoigne à son tour, suivie de près par les lèches bottes de l’administration policière si peu compétente. Il recracha un nuage de fumée et souffla en même temps à son amie « J’en ai marre, on se casse ? » Ils échangèrent un sourire, et une fois de plus, ils partiraient certainement en courant.

Ninah était divisée entre le desespoir de l'incompétence de ces agents et l'envie de les pousser encore plus loin. Elle était comme au cinéma, en train de regarder un bon film vulgaire et nunuche. Et ici, elle et Wook étaient les acteurs principaux, et ils étaient les seuls personnages sensés de l'histoire. La jeune femme commençait à littéralement s'ennuyer devant leur innoncence et leur passivité. Elle lança un regard à son ami, qui lui avait une idée plutôt pas mal en tête. Fumer. Aaah, avec toutes ces péripéties, ça ne serait pas de refus. Elle suivit ses pas assurés et se retrouva dans le couloir, nonchalemment contre le mur, clope au bec.

-Aaaah~ C'est bon ça! Merci monsieur ~

Dit-elle en regardant Wook mais aussi le gardien qui ne la lachait pas d'une semelle. Elle le regarda passionemment et glissa son briquet dans la petite poche supérieure de sa veste. Mais Ninah leva les yeux au ciel en voyant qu'il était completement insensible à son charme. Elle profitait de son moment de détente, avec ses nouveaux amis. Elle regardait Wook avec sérénité, comme si elle avait toujours vécu pour atteindre cette soirée, cette plenitude.

-Ouais, on commence à s'ennuyer. On par part où? lança-t-elle discretement à son ami, pendant que les gardes discutaient entre eux de s'ils devaient les faire enfermer ou les brûler.

Puis, il suffit que les gardes pénêtrent une nouvelle fois dans la salle d'interogatoire, laissant les deux individus seuls dans le couloir, pour que la demoiselle ait un déclic. "Maintenant" chuchotta-t-elle à son bandit préféré. Elle jeta sa cigarette et tourna les talons, courant à toute vitesse sans faire un bruit pour ne pas éveiller les soupçons. Allait commencer maintenant, une course poursuite dans la Namsan Tower.

Lorsque les deux gardiens furent enfin hors de vue, Wook attendit le « go » de son amie pour pouvoir filer à l’anglaise. Le plus silencieusement du monde, ils fonçaient à travers les couloirs de la tour. Nul doute que les agents repèreraient rapidement la petite escapade des deux jeunes, mais ils avaient tout le temps de trouver une cachette.
Cigarette à la main, cheveux aux vents, ils riaient déjà des conneries qu’ils pourraient faire. Si Wook avait eu envie de partir, il en était désormais tout autrement. Son nouveau jeu ? Passé la nuit dans la Namsan Tower au nez et à la barbe des agents de sécurités qui gardaient les lieux. Il prit alors la main de son amie pour l’entrainer toujours plus loin dans les entrailles de la tour, prenant soin de ne pas croiser le chemin des agents à qui ils venaient de fausser compagnie. Puis une fois seulement qu’ils furent à l’abri des regards, ils se posèrent à même le sol. « Alors ? Ça te dit de passer la nuit ici ? »

Une nuit dans la tour la plus célèbre de Séoul, l’idée était à la fois excitante et débile. Mais ils ne pouvaient pas se contenter de passer la nuit dans un lieu gardé comme deux enfants sages. Non, il leur fallait un nouveau but, de quoi laisser les traces de leur passage. Il attendit que son amie acquiesce pour lui proposer un nouveau défi. Il réfléchit encore quelques minutes, ils pouvaient essayer d’apparaitre sur toutes les vidéos de caméra surveillance ? Non, trop enfantin. Déplacer des meubles ? Pas suffisant. Il se pinça le nez, signe d’une réflexion intense, et un sourire en coin vint étirer ses lèvres. « Tu as faim ? » Il pensait aux restaurants, des placards entiers remplis de mets gastronomiques.