Je. Hais. La. Pluie. Vous savez, cette fourbe qui vous prenait par surprise tandis que vous rentriez de votre cours de dans ? Bon, vous faîtes peut-être pas de danse, mais moi si. Et il est vrai que, contrairement aux idées reçues, ça fait transpirer. Néanmoins, Dieu du Ciel, ce n'était franchement pas la peine de me gratifier d'une douche gratuite. J'en avais déjà prise une à l'école, pas besoin d'en rajouter une couche. Pour doubler le tout, il faisait déjà nuit, réduisant mon champ de visibilité à approximativement zéro. Mon jour de chance en gros. Forcément, j'étais en jupe - parce que c'est bien plus pratique pour se changer -, et j'avais froid nom d'un petit bonhomme. Pas une minute à perdre, il était question de s'abriter, au moins le temps que l'averse ne passe. Mon sac de sport en guise de parapluie, je m'embarquai dans une petite ruelle qui passait derrière un combini, dans l'espoir d'y trouver un abri (parce que je détestais m'abriter à l'intérieur de commerce, n'autant plus que je n'avais pas d'argent sur moi). Tandis que j'y arrivais, je pilai net : je n'étais pas seule, il y avait un livreur également. Génial. Pas que j'avais quelque a priori sur les livreurs hein, je suis sûre qu'ils ne sont pas tous des violeurs mangeurs d'enfants, et puis celui-là avait l'air normal, non ? "ah ... A... AT-... ATCHAAAA" Ah bah oui, lui éternuer dessus, c'était une bonne façon d'engager la conversation.

Couché dans la réserve, entre les cartons et les emballages, Niran s’accordait une petite pause bien méritée. Il avait enchaîné son boulot de surveillant à l’université avec celui de livreur pour le combini et, à cet instant précis, se laissait mourir sur le sol froid et humide. Partagé face à un dilemme, il marmonnait des mots incompréhensibles en thaïlandais, tentant de se décider sur ce qu’il allait faire par la suite : rester par terre à se reposer et s’attirer des ennuis ou bien retourner sous la pluie pour livrer de la bouffe dégueulasse sur son petit scooter à deux balles ? Le choix était tout fait, il n’avait pas les moyens de perdre un de ses deux jobs. Se relevant avec mauvaise volonté, il enfila sa parka. Il mit la capuche et la ferma afin que seuls ses yeux soient visibles, histoire de se protéger le plus possible de la pluie, et sortit de la réserve pour faire chauffer son deux-roues. Alors qu’il s’apprêtait à partir, il entendit un bruit de pas derrière lui. Pensant qu’il s’agissait de son boss, il se retourna mais… ah… A… AT-… ATCHAAAA … se fit asperger par la bave et la morve d’une inconnue. Les yeux fermés, il se recula et bouscula son scooter qui tomba au sol. Avec un cri d’effroi, il fixa la jeune femme d’un regard incendiaire et tira sur sa capuche pour libérer sa bouche. Putain mais t’es dégueulasse toi ! Tes parents t’ont jamais appris à mettre ta main devant ta bouffe quand t’éternues ?! Ou alors c’est ton kiff de cracher sur les gens ? Tout en l’engueulant, il se pencha vers le scooter et le releva, regardant les dégâts subies par le choc. Après y avoir jeter un œil critique, il tendit la main vers le lama femelle, les sourcils froncés. File moi le fric pour la réparation, c’est ta faute tout ça ! Racketter une inconnue ? Aucun problème pour Niran.

Je ne l’ai pas fait exprès, vraiment pas. Est-ce que j’ai une tête à faire exprès déjà ? Non. Je suis innocente. C’est ce que je clamerai haut et fort. Forcément, l’inconnu s’emballe. Je suis partagée entre l’envie de m’excuser et celle de l’envoyer chier. Non parce que très franchement, ce n’est pas une raison pour m’agresser de la sorte, j’ai dit que je ne l’avais pas fait exprès. « Oh c’est bon, je suis désolée ! » Un mix des deux, ça marche aussi. Je crois les bras, et fronce le nez, signe de ma contrariété. J’ai conscience de ne pas être crédible, et le pire, c’est que je le suis… je me sens vraiment mal de lui avoir éternuée dessus comme ça. Je tourne la tête sur le côté, boudeuse, prête à partir quand la voix de l’étranger parvient à nouveau à mes oreilles. Une réparation, quelle réparation ? Je constate le scooter au sol, et mon cerveau décide finalement de faire les associations nécessaires à ma compréhension « Oh mon Dieu, je suis désolée ! » Cette fois-ci, au moins, c’est crédible. « Je n’ai pas d’argent sur moi, mais, euh … » Une solution ? Seong Hee, trouve une solution s’il te plait. Plus vite. « Je peux euh … tu peux me passer ton numéro de compte et je te ferai un versement ? » Et il rentre chez lui comment le monsieur ? « Vous habitez loin d’ici … ? » J’ai dit ces derniers mots d’une toute petite fois, priant pour qu’en fait, il habite à deux maisons d’ici, parce que sinon je voyais mal comment faire pour le dépanner…

Il la regardait s’affoler, s’excuser et se trouver des excuses bidon. Tcht. Comme s’il allait lui faire confiance. Les sourcils froncés, la lèvre retroussée, il jugeait la jeune femme de haut en bas, le regard réprobateur. Qui se balade sans argent de nos jours ? C’est débile. Rangeant ses mains dans ses poches, il ne pouvait s’empêcher de penser que certaines personnes étaient vraiment irresponsables parfois. La fatigue reprenait le dessus, le rendant vraiment désagréable. Un versement sur mon compte ? Ok. Mais ce sera tous les mois, pour compenser avec le boulot que je vais perdre parce qu’une idiote crache sur les gens !Comme si l'argent était pour lui... Faut croire qu’elle n’avait pas réalisé où elle était : devant un combini. Et il avait tout l’attirail du livreur. Elle vivait dans le monde des Bisounours ou quoi ? Pour elle les livreurs avaient de quoi se payer leur propre scooter ? Encore une gosse de riche… Son boss allait lui défoncer la gueule, s’il voyait ça. C’était pas la première fois que Niran le faisait tomber, empoté et maladroit comme il était, et il s’en était toujours tiré avec des avertissements. Cette fois, il le sentait, ce serait la fois de trop. T’es prête à assumer toute la culpabilité d’avoir fait perdre son job à quelqu’un ? Et pourquoi tu veux savoir où j’habite ?! Tu veux payer en nature ? T’es chelou toi ! Il la regardait avec de gros yeux et une moue de dégoût. Dans d’autres circonstances, ça ne l’aurait pas du tout déranger de ramener ce genre de nana dans sa piaule, mais pour l’instant, il était trop stressé et énervé pour penser à cela.

Ok. C'était pas très malin de me balader sans argent mais, hé, je ne voyais pas l'intérêt de me trimbaler avec du fric alors que je n'allais qu'à mon cours de danse. Décidément, même si j'avais commis une bourde, il allait réussir à me faire passer l'envie de me racheter. Je ne répondis rien, me contentant de claquer la langue au palais. Sorte de tic nerveux quand j'étais contrariée. « P-Pardon ?! Faudrait pas abuser non plus ! » Ok, j'avais percuté, il était livreur. C'était bien ma veine tiens. De toute façon, qu'avais-je à me reprocher au juste ? Je lui avais éternué dessus par accident, pas de mon fait. Mais je me connaissais, je savais que j'allais endosser la responsabilité. « Payer en nature ?! Non mais t'es taré ou quoi ?! Tu t'es bien regardé ? » Bon, ça n'était peut-être pas nécessaire.. mais cet énergumène était tellement irritant ! « Je voulais téléphoner à mon chauffeur pour qu'il vous ramène chez vous, voilà tout. Idiot. » Je passai une main dans mes cheveux, tâchant de ne pas m'énerver et d'essayer de régler la situation calmement. Ou en tout cas le plus calmement possible. « C'est quoi ta bécane ? » Tandis que je lui posai la question, je sortis mon téléphone de ma poche. J'allais lui trouver la même, aussi vite que possible, et ne plus jamais, JAMAIS, le revoir. Point final. Et puis quoi encore ?

On vit pas tous sur un petit nuage avec des poneys roses ma jolie, alors non, j’abuse pas. Elle commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs avec sa tête de petite fille offusquée. Il avait limite envie de la choper par le col, l’emmener à l’intérieur du combini et l’afficher devant tout le monde, bien comme il faut. Peut-être qu’il allait le faire d’ailleurs, qui sait… Surtout si elle continuait à lui parler comme ça. Et tu t’es vue ? Même un aveugle voudrait pas de toi. Appuyant ses dires avec un regard prononcé, il desserra sa capuche pour la laisser tomber sur ses épaules. Il passa ses doigts dans ses cheveux, histoire de les remettre un peu en place, ses yeux faisant des allers-retours entre la gosse de riche et le scooter. Et une sacrée gosse de riche. Un chauffeur ? Sérieux ? Je comprends pourquoi t’as pas d’argent, tu sais pas te débrouiller toute seule en fait. Elle devait être de ce genre de filles qui jettent l’argent pour les fenêtres et ses parents avaient sûrement arrêté de lui donner de l’argent de poche. Un long soupir lui échappa, il sentait que tout ce bordel allait pas se résoudre de sitôt. C’est une Ferrari… Tu crois quoi ? Ouvre les yeux et… ah bah nan, t’as rayé le logo aussi, normal. On aurait dit un enfant à qui on venait de casser le jouet : boudant, les sourcils froncés, secouant la tête à chaque fois qu’elle disait quelque chose, soupirer à s’en fendre l’âme en regardant son deux-roues. Et alors qu’il marmonnait des mots incompréhensibles en fixant les flaques non loin, il leva la tête et s’approcha un peu plus près de la jeune fille. Soudain, il se souvint. Eh mais ! Je te connais-toi ! Je me disais bien ta tête me disait quelque chose !

« C'est bien ma veine que tu ne le sois pas alors. » Parce qu'il croyait réellement que j'allais me laisser insulter ? Il me prenait pour qui ? Pour la gamine du coin, qui se pissait dessus à la moindre altercation ? Bon, ok. C'est probablement l'impression que je donnais, mais il risquait de se rendre compte qu'il était loin de la vérité, s'il continuait. La seconde réflexion était définitivement de trop. « Je pourrais très bien me débrouiller seule en te donnant la carte de mon avocat, et en te laissant dans ta merde. D'ailleurs, je suis extrêmement tentée de le faire, alors si t'avais l'obligeance de la fermer pour régler ça en adulte, hm ? » Les sourcils froncés, je le regardais avec sévérité. Très franchement, il était qui pour me parler sur ce ton ? Que savait-il de moi au juste ? Rien. Qu'il soit bougon à cause de son scooter, je pouvais comprendre. Qu'il s'en prenne à moi en prenant un ton pareil, ça non. Je poussai un long soupir, passant une main sur mon front, avant de poursuivre calmement « Je m'arrange pour te trouver la même dans les plus brefs délais, je te verse une somme pour le désagrément, et on se quitte à l'amiable, point final. C'est pas plus simple que se hurler dessus ?» Encore fallait-il qu'il ait suffisamment de jugeote que pour s'en rendre compte. Je me raidis néanmoins à la réflexion suivant « Heiiiin ? D'où tu me connais ?! » Non parce que je doutais réellement qu'il soit du genre à aller voir des ballets hein, donc je voyais mal comment une telle chose était possible ...