c'est ce soir qu'on crève, clyde.

Elle adorait son boulot. Vraiment, elle l’adorait parce qu’il lui permettait de faire plusieurs choses : casser la monotonie et la routine, rencontrer des gens, travailler sur son problème de comportement vis-à-vis de la société et, aussi, passer du temps avec des gens qu’elle appréciait. Yuan, par exemple, pour ne mentir à personne. Yuan était un garçon charmant – attendez, carrément un sexe symbole, à vrai dire – et amusant. Et en plus de ça, tous les soirs où tous deux travaillaient ensemble, il prenait l’initiative d’aller la porter jusque chez elle. Elle n’arrivait pas vraiment à en déterminer la raison ; peut-être était-ce par principe de ne pas laisser une jeune demoiselle rentrer toute seule, à pied et à une heure si tardive. Ou peut-être qu’il l’appréciait un peu, aussi ? elle ne pouvait vraiment le considérer comme un ami, puisqu’ils ne s’étaient jamais vraiment vus en dehors du boulot… les lumières se fermèrent toutes d’un coup et la jeune femme sursauta, tirée de ses pensées bien rapidement, se décollant de la table sur laquelle elle s’était appuyée. « allez yuan, c’est long, je veux rentrer maintenant. » dit-elle, élevant le ton, observant la température à l’extérieur qui ne semblait que se gâter. Heureusement qu’elle n’habitait pas trop loin, elle n’osait même pas imaginer comment ça se passerait, sinon… un soupir lui échappant, elle rajusta sa jupe et attrapa son manteau, rabattant la capuche sur sa tête et redressant le menton histoire de voir quelque chose lorsqu’elle fit quelques pas en direction de la porte vitrée, observant le déluge à l’extérieur. Impossible de garder le moral avec une telle température, pensa-t-elle.

« va chercher les munitions. » marmonna-t-elle, d’une voix digne d’un film d’horreur à mauvais budget, faisant volteface pour regarder le jeune homme – enfin… regarder en sa direction, puisqu’elle n’y voyait rien, sous la capuche qui lui retombait jusqu’au nez. « c’est ce soir qu’on crève, clyde. » elle souffla une mèche de son visage, silencieuse une fraction de seconde avant de se secouer impatiemment. « c’est bon, tu ramènes ton derrière là ? »

   
   

   
   

c'est ce soir qu'on crève, clyde.

La journée avait été particulièrement laide, tout du moins de son point de vue. C’était assez clair que la température n’aidait pas mais, généralement, cela n’affectait pas son humeur tant que ça. Au contraire, il profitait de la grisaille pour mettre de la bonne humeur sur son passage et éclairer un peu le visage des gens qu’il côtoyait. C’était le genre de chose qui améliorait son humeur à lui aussi, réussir à faire sourire les personnes moroses qu’il croisaient. Mais aujourd’hui, c’était plutôt lui, qui était morose. Et il n’y avait personne pour lui redonner le sourire, ce qui était bien dommage, mais comme d’habitude, il réussissait à bien cacher son manque d’enthousiasme pendant ses heures de travail. Pour s’assurer que la clientèle soit satisfaite, il fallait bien qu’il y mette du siens. Mais il devait admettre, maintenant qu’il était temps de verrouiller la porte, que c’était l’une des fermetures du magasin les plus pénibles de sa vie. Non pas qu’il y ait eut de quelconque problème en particulier, c’était juste lui qui n’était pas trop là. Heureusement qu’il fermait avec sa collègue favorite, parce que la soirée aurait probablement virer au massacre si ça avait été une autre serveuse. Elles lui portaient souvent sur les nerfs, même sans le vouloir, et il n’avait pas envie de se faire casser les pieds. Après un soupir, il ferma les lumières, attrapant sa veste avec un regard vers la petite fenêtre du bureau qui offrait un panorama plutôt impressionnant du déluge qui déversait sa colère dans la rue. Il s’arrêta net en voyant la jeune femme dos à lui, observant visiblement aussi la tempête, et il arqua un sourcil dubitatif en la voyant se retourner, marmonnant assez fort pour qu’il entende des paroles qui devaient sans doute sortir droit d’un film de bandit. Ses yeux se levèrent vers le ciel et il avança, glissant ses bras dans les manches et s’arrêtant devant elle pour tirer légèrement sur son capuchon, dévoilant le haut de son visage. « Allez Bonnie, on a passé assez de temps ici. » Il ouvrit la porte d’une manière presque dramatique, la laissant passer avant de définitivement verrouiller le restaurant. Sa voiture n’était pas loin, mais la distance lui parut interminable alors qu’il faisait son possible pour ne pas courir comme un imbécile en jurant comme un charretier. C’était très désagréable, et sa veste ouverte laissait entrer vent et eau, le faisant frissonner inconfortablement et il ne voyait pratiquement rien à travers l’épais rideau de pluie. Il pouvait entendre les pas de la jeune femme tout près, mais il n’avait pas envie de se retourner pour vérifier son état. Elle était mieux couverte que lui de toute façon, du moins des cuisses en montant. Parce que bon, une jupe... Les mains enfouies dans ses poches, il activa le déverrouillage automatique de sa voiture en l’atteignant, ouvrant la porte à la volée pour s’y engouffrer et souffler, enfin au sec. Il n’eut pas besoin d’attendre bien longtemps avant d’être rejoint par sa collègue. « Désolé pour mon absence de galenterie, j’étais un peu pressé. » Il blagua faiblement, secouant un peu sa tignasse trempée. Et pas que sa tignasse... sa veste était engorgée et son t-shirt passait lentement du blanc opaque au blanc translucide. Bien entendu. Roulant des yeux, blasé, il mit la clé dans le contact pour faire démarrer la voiture. C’était mal barré, la visibilité était carrément nulle et il ne se sentait pas de conduire dans ces conditions. Mais avait-il réellement le choix ? « C’est partit pour un suicide involontaire... »

   
   

   
   

c'est ce soir qu'on crève, clyde.

Elle n’avait pu s’empêcher de sourire, retenant même un rire lorsqu’il ouvrit la porte de façon dramatique. Beau gosse, mais mauvais acteur, pensa-t-elle alors qu’elle roulait naturellement des yeux, le suivant malgré sa réticence à affronter ledit déluge. Et franchement, y’avait de quoi. Son capuchon lui retombait sur le nez et elle ne voyait rien, et donc son seul guide sous la tempête se résumait au bruit des pas du plus vieux devant elle. Plutôt moche comme référence, pour ne pas dire que c’était carrément inutile, entre le bruit de ses talons hauts – oui, des talons pour courir sous la pluie, comme c’était romantique – et des énormes gouttes d’eau tombant sur le parquet. Mais en bonne demoiselle, elle réussit toutefois à se rendre jusqu’à la voiture et même à y pénétrer sans se casser la gueule une seule fois. Le bas de son corps était entièrement trempé et son manteau ne servait plus tellement à rien lui-même, mais elle était vivante, et ni son makeup ni son brushing n’avaient souffert de l’attaque, et c’était donc une réussite pour la jeune dame. Repoussant le capuchon, elle se tourna vers lui après son ‘excuse’, et lui tapa l’épaule, les lèvres retroussées et un faux air insulté au visage. « t’imagines comment c’est trop facile de courir en talons sous la pluie quand on voit rien du tout, yah ?! » puis elle croisa les bras, n’attrapant même pas la ceinture pour la boucler, haussant juste un sourcil. « honnêtement, heureusement que je connais le chemin par cœur, parce que j’pense même pas que t’aurais bougé tes fesses pour venir me chercher si j’y étais restée. » et après ce dernier commentaire, elle rajusta la jupe sur ses cuisses – ce qui échoua, bien évidemment, l’eau collant le vêtement sur sa peau de façon plus que désagréable. Si elle était vexée ? Non, pas vraiment… si, juste un peu, mais elle le prenait à la rigolade au moins. Après un petit moment de silence, son regard se posa enfin vers l’extérieur et elle grimaça, réalisant que la vision était… nulle, réellement. Elle venait même à se demander si c’était seulement possible que de conduire jusqu’à chez elle. Bien sûr, elle aurait pu lui proposer qu’ils se rendent tous deux jusqu’à chez lui… mais c’était juste une option impossible pour elle. D’une, parce qu’elle n’avait aucun vêtement de rechange et, de deux, parce que l’idée de dormir avec ou près du garçon la rendait plus mal à l’aise qu’autre chose.

Tiraillée, elle finit tout de même par lui proposer l’idée ; « je pourrais comprendre que tu ne veules pas aller jusqu'à chez moi, hein… je peux tenter d’attraper le dernier bus, au pire. » fit-elle, haussant une épaule. Elle n’avait pas vraiment la volonté de courir attraper le bus sous cette pluie et encore moins de marcher vers chez elle, mais elle préférait ne pas l’emmerder trop, après tout. Elle tourna donc la tête vers lui, plissant les yeux un peu. « c’est promis, je ne crèverai pas parce que je suis trop mouillée. » cette fois, elle haussait un sourcil, l’air vaguement amusé.


   
   

   
   

c'est ce soir qu'on crève, clyde.

Ses lèvres tressaillirent alors qu’il essayait de se retenir de sourir alors qu’elle le sermonnait pour être aussi peu prévenant à son égard, l’observant avec amusement, sans répliquer puisqu’elle n’avait au fond pas tort, enfin... à certains niveaux. Bien sûr qu’il serait aller vérifier son état s’il s’était rendu compte qu’elle prenait du temps à arriver, il n’était pas sans coeur à ce point. Et puis de toute façon si elle était derrière sa voiture alors qu’il devait sortir du stationnement, il aurait eut besoin de la contourner ou de l’écraser, et ça aurait posé problème, alors bon... il n’aurait pas vraiment eut le choix. Non mais blague à part, il n’était pas méchant, et puis il tenait quand même à sa serveuse favorite. Assez pour la ramener chez elle à chaque chiffre où ils finissaient en même temps afin de s’assurer que rien ne lui arrive pendant le trajet, ce qui n’était quand même pas peu. En même temps, certains quartiers de Seoul n’étaient pas particulièrement sécuritaires pour une jeune femme si tard le soir, et comme elle allait sur le même campus, il ne voyait pas trop le problème. Le détour n’était pas vraiment énorme de toute façon. « J’aurais été t’aider, pas d’inquiétude. Après tout j’ai pas envie de bousiller la suspension en te passant sur le corps parce que t’es dans le chemin. » Il vérifia rapidement son rétroviseur et ses angles morts avant de démarrer la voiture, ses lèvres maintenant étirées par un sourire qu’il ne pouvait plus contrôler, bouclant sa ceinture et lui jetant un regard, secouant la tête et relâchant le volant d’une main pour faire un mouvement vague vers la ceinture, ignorant totalement sa proposition de prendre le bus pour rentrer, sachant très bien que même en étant dans la pire humeur possible dans la pire tempête possible, il ne la laisserait pas faire tout ce trajet dans une température pareille. Autant pour le bien être de la demoiselle que son propre bien être. Le sentiment de culpabilité pouvait être chiant parfois. « Ta ceinture. Je sais déjà pas comment on va rentrer, alors évitons au moins que tu passes par la fenêtre si quelque chose se passe. » Il grimaça légèrement à cette pensée, fixant de nouveau l’extérieur par le pare-brise, plutôt mécontent de la situation et inquiet. Bien que les automobiles risquaient d’être rare sur la route, il ne pouvait pas tout prévoir, et avec ce temps de merde, il y avait beaucoup de risque à prendre la route. Mais il n’avait pas vraiment le choix, il ne pouvait quand même pas dormir dans le café. Ça serait juste ridicule, impossible et inconfortable à un point insupportable. « On s’en va pas mal au même endroit de toute façon... je dois retourner au dortoir. Toi aussi, non ? » C’était plutôt rhétorique comme question, et il recula prudement, les yeux plissés alors qu’il tentait de voir du mieux possible les alentours. C’était peine perdu, la visibilité ne lui permettait qu’un maigre mètre ou deux. « Pas question de marcher là-dessous de toute façon. Tu vas choper un truc moche. » Il était arrivé à sortir du stationnement, ce qui était déjà tout un exploit. Malheureusement, le plus difficile était à venir, et plus il roulait, plus il hésitait à s’arrêter quelque part. Mais où ? Il ne pouvait quand même pas louer une chambre d’hôtel, ça serait pire que louche, et de toute façon il ne connaissait même pas l’emplacement de l’hotel le plus près. « Va falloir y aller freestyle si tu veux mon avis.. »