La vision qu’offrait ce paysage sortait tout droit d’un tableau. Les pétales tombaient, une par une, lentement, se faisant parfois porter par le vent quelque peu brutal. Si le sable des déserts chinois ne s’invitait pas à cette image, tout aurait été idéal. Seulement, c’était aussi sortir de la réalité et cette dernière faisait que Liên devait porter le masque pour ne pas abîmer la peau de son visage. C’était insupportable et elle se sentait rapidement sale. Son but premier était pourtant de rester élégante au cas où elle croisait une certaine étudiante. Cela faisait bien des semaines qu’elle traînait autour du campus à ses heures perdues, au lieu de jouer à ses jeu vidéos. Elle n’avait d’ailleurs pas posté de vidéos sur sa chaîne Youtube depuis un bon moment. Ce n’était pas si grave car elle ne faisait pas partie de ces streamers les plus connus du pays, mais elle recevait des commentaires, parfois, qui lui demandaient de ses nouvelles. Celles-ci se résumaient à son travail qui lui prenait beaucoup de temps et cette obsession qui ne la quittait plus depuis cette fameuse conversation l’autre jour avec la jeune Wang Dana. Elle s’était confiée à son ami Caspian, expliquant ainsi qu’elle se sentait prise au piège mais continuait tout de même à se rassurer dans le mensonge. Si elle était autant obsédée, c’était simplement car elle n’avait pas encore réussi à obtenir la jeune étudiante. C’était tout et ses désirs se calmeraient une fois qu’elle l’aurait dominé au lit. A force de se le répéter, elle y croirait sûrement un jour. En attendant, son ami s’était moquée d’elle mais n’était pas lui-même dans une meilleure situation.

Elle finissait son café glacé alors qu’elle se levait de son banc de pierre qui jonchait l’entrée du campus. Elle avait envie d’abandonner, de se dire qu’elle n’était plus assez seine pour rester ainsi aux pieds d’une autre femme. Son temps de soumise était finie et elle faisait enfin partie des femmes dominantes. Alors il était hors de question qu’elle se laissait ainsi mener par le bout du nez par une autre femme, étudiante, qui n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait bien faire subir à Liên.
La jeune vietnamienne avait assez traîné sur le campus, il était temps qu’elle rentre chez elle et se prépare pour se journée du lendemain qui allait lui demander beaucoup d’efforts. Il jeta son gobelet en plastique à la poubelle non loin, alors qu’elle aperçut du coin de l’œil une silhouette. Elle la reconnaîtrait entre mille et c’était déjà bien triste pour elle qui voulait échapper cette addiction. Néanmoins, elle arrivai bien trop rapidement à la hauteur de la jeune femme. « Bonjour. » Dit-elle d’une voix nonchalante, comme si elle ne passait pas des heures sur le campus à la recherche de cette femme. « Quel heureux hasard de se croiser ici. » Pas tant que ça alors qu’elle avait tout fait pour provoquer cette rencontre. « J’espère que vous vous souvenez de moi. » Ce petit rire qu’elle sortit à la fin comme pour alléger la situation. Le but n’était pas d’effrayer la jeune proie.

OOTRP + La bibliothèque universitaire avait deux atouts : les livres bien évidemment mais aussi l’air climatisé. L’été n’avait pas encore touché son paroxysme que Dana avait déjà du mal à gérer la chaleur. Elle n’avait donc pas hésité longtemps lorsqu’un des médecins titulaires de l’hôpital l’avait mise au défi. Un patient cumulait de nombreux symptômes et il était difficile de trouver le bon diagnostic. La mission de Dana était de se plonger dans les livres de médecine et de lister toutes les possibilités. C’était long, mais l’étudiante voulait être méticuleuse, la tâche était importante. Elle était arrivée dans les lieux à l’ouverture et n’avait bougé de son siège que pour prendre des livres, les reposer, aller chercher de l’eau et une barre de céréales au distributeur et c’était tout. Mais arrivée en milieu d’après-midi, elle ne parvenait plus à réfléchir, elle était épuisée et avait même la sensation de ne plus savoir lire.

Certains auraient sans doute dit que rester enfermée d’un aussi beau temps était triste. Mais Dana était rigoureuse, elle n’avait aucun mal à sacrifier de sa personne pour le devoir à accomplir ou se plier à ce qu’on lui demandait. Après tout, un sacrifice de plus ou de moins, surtout de si petite envergure, ce n’était rien. Poussant un soupir, Dana survola ses notes, il faudrait sans doute qu’elle le recopie une nouvelle fois au propre. Il y avait des symptômes notés partout puis barrés, entourés, reliés à un diagnostic puis barré, et ainsi de suite. Elle referma son cahier de notes, rangea ses affaires et d’un pas lent mais toujours gracieux, retourna déposer les derniers livres dans les étagères. Elle rêvait déjà du café glacé qu’elle allait s’offrir bien que l’heure ne fût pas des plus sérieuses pour le faire. D’ailleurs, une fois sortie du bâtiment, elle prit la direction de son café préféré sur le campus, les yeux rivés sur son téléphone alors qu’elle répondait aux messages de Ming Wei et appuyait sur le bouton « like » de la dernière publication de Juri sur son réseau social. Elle releva brusquement la tête en entendant une voix familière mais pas trop s’adresser à elle. Reconnaissant le visage de Liên, elle écarquilla doucement les yeux avant de se reprendre et de s’incliner poliment, une main sur son buste pour empêcher son haut de trop révéler sa peau. Elle passa une main dans ses cheveux, espérant ne pas avoir l’air trop fatiguée ou les yeux trop rougis par l’effort de lecture. « Oui je me souviens bien sûr. » Elle afficha un sourire qu’elle espérait chaleureux avant de regarder un peu autour d’elles. « Que faites-vous sur le campus ? » Elle pensa à quelque chose. « Ne me dites pas que la galerie a organisé une exposition dans une des salles d’expo du campus et que je n’en ai pas entendu parler ? » Et elle aurait été vraiment déçue de manquer un évènement du genre. Elle repassa une main dans ses cheveux, hésitant quelque peu. « Je ne voudrais pas vous retenir si vous êtes occupée. Je dois passer au café de toute façon et vous êtes déjà parée. » Dit-elle en pointant le gobelet que tenait la jeune femme d’un geste vague, presque déçue de ne pas pouvoir l’inviter.  

Le plus gros mensonge de l’histoire était la présence de Liên sur le campus universitaire et lorsqu’elle disait ensuite à son entourage qu’elle n’était pas obsédée par cette fille. Ce n’était pas vrai, elle ne faisait que se balader, profitant d’un café froid pour contrer les premières chaleurs de la capitale. Elle profitait du paysage, des autres jeunes femmes qui s’y baladaient mais seulement d’un regard lointain. Les petites étudiantes, bien que très mignonnes n’étaient pas aux goûts de la vietnamienne qui avait toujours préféré les femmes plus mûres. Néanmoins, la vérité était que Liên s’éloignait de plus en plus de Gangnam, le quartier où elle passait la majorité de son temps pour venir sur la digital city. Elle dirait simplement qu’elle cherchait une nouvelle proie, du bon temps ou alors à fuir son patron.

Alors, quel heureux hasard fut-il de tomber sur la charmante demoiselle, avec qui elle avait grandement apprécié discuter à la galerie quelques semaines plus tôt. Elle n’attendit pas plus longtemps et l’accosta rapidement pour lui demander d’abord si elle se souvenait d’elle. Liên savait qu’elle prenait un gros risque et qu’elle n’était pas préparée à la possibilité d’être oubliée par son petit ange. Cependant cette peur fut rapidement effacée alors qu’elle découvrit avec un grand sourire qu’elle était déjà dans la mémoire de Dana. « Je me baladais simplement, profitant du beau temps. » Ce qui était vrai, officiellement. Café dans la main, lunettes de soleil sur le nez, elle montrait ce côté femme fatale et femme d’affaire qui l’accompagnait tous les jours lorsqu’elle était hors de son appartement. « Ne vous inquiétez pas, vous ne manquez rien. Tout est resté à l’abri dans la galerie. » L’idée de préparer un évènement sur le campus ne tomba pas dans l’oreille d’une sourde, au contraire, la vietnamienne le nota dans un coin de la tête. Passer du temps sur un tel projet voulait dire passer du temps sur le campus et ainsi augmentait les chances de croiser son petit ange. Alors, certainement, elle n’oublierait pas cette idée. « Mais promis, si un projet démarre sur le campus, vous en serez la première prévenue. » Elle finit dans un clin d’œil, alors qu’elle s’était discrètement approchée de l’étudiante. Le décolleté de cette dernière n’était pas passé inaperçu et, profitant d’être cachée derrière ses lunettes de soleil, Liên mentirait si elle disait que son regard n’était pas de temps en temps attiré vers cette zone. Il était encore trop tôt cependant, elle elle ne pouvait pas risquer de faire fuir la jeune demoiselle. Alors elle fit un pas en arrière.

Elle ne saurait dire si elle était énervée ou non, ou déçue. Elle désirait avoir une proposition de cette Dana et non un refus de la réalité. Elle voulait qu’elle l’invite, qu’elle sente qu’elle commençait à l’obtenir dans ses filets. « Qui vous dit que je suis occupée. » Son ton restait cependant léger, amusé. « Je ne suis pas contre un deuxième café, vous m’invitez ? » Toujours ce même rire, alors qu’elle remontait ses lunettes jusque sur le haut de sa tête pour dévoiler un regard bienveillant. « Ou alors je vous invite, mais vous me montrez le chemin ? » Sans réfléchir, elle attrapa la main de la jeune femme et emboîta le pas, lentement, doucement, pour ne pas trop la brusquer. « C’est donc ici que vous passez la majorité de votre temps ? » Son regard scanna les lieux, les étudiants pour ensuite se reposer sur Dana. « Ça me rappelle mes années d’études, mais c’est bien loin tout ça. » Une véritable nostalgie, ou simplement un tactique pour sa drague, elle ne saurait dire.