Plus le temps passait, plus la montagne de papiers s’épaississait. De jour en jour elle gagnait en hauteur à tel point que j’en avais le vertige. Des justificatifs par milliers, des lettres, des recommandations, des comptes rendus, des analyses… tout absolument tout y passait. Ma vie entière était désormais consignée noir sur blanc et il fallait que chacune de mes pensées y soient également relayées. Sans lui, sans elle, l’espoir m’aurait sans doute déjà quitté. Les deux personnes sur qui je comptais, celles sur qui je me reposais entièrement pour trouver enfin une issue à cette voie sans issue et qui me soutenaient envers et contre tout. Je m’estimais chanceux d’avoir pu trouver un homme de loi prêt à me tendre la main jusqu’à en devenir un ami, et bien plus encore que l’une de ses connaissances, pourtant encore étudiante, vienne m’apporter le point de vue d’un procureur en devenir. Et ce fut à ses côté que j’entamais une nouvelle soirée placée sous le signe de la relecture de documents avec lesquels je m’emmêlais en permanence. « Ce jargon juridique me donne la migraine… » lâchais-je. Alors qu’elle restait les yeux rivés sur les pages noircies d’encre, je ne parvenais pas à y accrocher mon regard plus de quelques minutes. « Si au moins il y avait des termes militaires… j’en comprendrais peut être la moitié. » Râler ne menait nulle part, et si je faisais preuve d’analyse et d’observations poussées sur le terrain, le monde civil était pour moi un véritable champ de bataille, bien plus complexe que de risquer sa vie.

Las, je reposais sans aucune douceur les quelques feuilles qui gisaient encore entre mes doigts, m’octroyant ainsi une minute de répit afin d’observer les traits sérieux de Saehee. D’une mine souriante et pétillante, elle pouvait passer à un regard froid et sérieux dès lors qu’elle se plongeait dans les textes de lois et autres procédures. Je lui vouais une reconnaissance sans faille, une véritable gratitude tant elle m’avait aidé à naviguer entre les sous-entendus et les non-dits de ce milieu de requin. Et pourtant… un simple merci me paraissait bien fade… Je voyais en elle une amie, une confidente, une conseillère,… peut être plus ? De mes onyx rivés sur elle, je tentais de comprendre ce mélimélo d’émotions embrouillées, mais rien ne vint. Était-ce toute cette pression qui me rendait inapte à la moindre conclusion ? Je l’ignorais, et si dans d’autres circonstance je savais prévoir et anticiper n’importe quelle situation, à ses côté je restais incrédule. Hébété par cette pile de feuille qui nourrissait chacune de nos rencontres. Le soupire m’échappa, éreinté d’avoir encore dû justifier le moindre de mes gestes. « Bon… je pense qu’on peut s’arrêter là pour ce soir ? On a bien mérité un bon dîner ! » Peut être tentais-je le diable en l'invitant si régulièrement... mais je comptais bien tirer au clair cette sensation qui parasitait mes pensées.

Ce n'était plus qu'à quelques mois de toi. De trier une montage de papier, autant d'arbres qu'une forêt autant d'encre que d'eau, de sueur. C'était si proche de toi et si loin. Mais aujourd'hui encore tu travaillerais sur ce dossier presque interminable. Venant à tout connaître d'un homme qui t'était inconnu quelques mois auparavant. Il avait fait face aux pires affrontements et pourtant celle ci semblait être la plus éprouvante. Lorsque ton collègue t'avait demandé de l'aide, tu avais accepté, pour l'expérience. Avant de comprendre toute l'importance de cette affaire d'un point de vue humain. Et maintenant, tu étais pieds et poings liés dans une affaire qui te prenait aux tripes, avec l'envie de réussir, de gagner ce procès. Même si tu n'étais pas spécialisée dans cette branche, tu aimais à te dire que tu participais, que tu aidais à ta façon. " C'est normal, fais une pause sur ça. J'ai passé l'étape des migraines y a environ deux ans. " Riant doucement tu continuais de lire ce papier qui semblait perdre du sens. Pourquoi des papiers ? Pourquoi décider de l'avenir d'un enfant sur des papiers ? " Et c'est moi qui serait perdue. " Avanceriez vous plus vite? Si les termes étaient militaires. Si tout cela n'était qu'un rapport de forces et de stratégies? Dans ce cas tu pourrais botter quelques derrières histoire de faire avancer les choses.

La tête penchée sur des papiers que tu avais pourtant relu une bonne dizaine de fois tu cherchais la faille, ou le point fort. Surlignant, entourant tout ce qui pouvait vous aider, tout comme tu triais les documents avec minutie. ta main venait remettre une mèche dérangeante derrière ton oreille tandis que tu venais murmurer quelques mots des plus "diplomatiques". " Bandes de trou du cul" Une menace pour ceux que tu allais affronter, ceux qui empêchaient le droit d'un père de voir son enfant. Levant doucement la main tu lui fis un signe de "un" avec un doigt, griffonnant alors quelques mots avant de relever la tête. " Faisons ça. " Un soupire t'échappa à ton tour tandis que tes membres venaient doucement se détendre; s'étirant comme un chat avant de te lever. "Ah Oh .. les fourmis. " Tu allais tomber ? Peut être. Te rattrapant dans une force que tu ignorais encore possible. " Allons manger avant que mon corps ne grogne. " Riant doucement tu rangeais un minimum pour enfiler ensuite ton pull et ton manteau. " Tu veux manger quoi ? " Le regard tourné vers lui tu le regardais enfin, c'était presque étrange de voir un humain après tant de mots. " T'as pas trop mal au crâne? " Que tu renchérissais t'inquiétant tout de même pour lui.


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À façon de pester contre les hommes aux cols blancs qui avaient rédigé chacun de ces papiers, je ne pus réprimer le sourire. Et c’est finalement fatigué et agacé des pages de ce dossier interminable que je lui proposais un bon repas. Si d’ordinaire j’aimais passer mon temps entre les quatre murs de mon appartement, à cet instant je ne rêvais plus que de quitter l’endroit qui ressemblait davantage à des archives qu’à mon foyer. Mais, ankylosée d’avoir passé bien trop de temps dans la même position, je retenais le bras de Saehee qui vacillait sur ses pieds. « Je pourrais manger un éléphant ! » répondis-je. « Mal au crâne ? J’ai l’impression qu’on vient de me le scier en deux ! » ajoutais-je. D’un geste, je l’enjoignais à attraper son manteau et ainsi fuir l’invasion de papier. Je profitais de ce moment de calme, loin des injonctions réglementaires et légales, pour poser mon regard sur elle, en quête du moindre indice quant à ce lien que nous avions développé au fil des semaines. Je profitais de la proximité de l’ascenseur pour tenter de ressentir ce qui me poussait d’ordinaire à agir, en vain.

Et ce fut en poussant la dernière porte du bâtiment que j’éprouvais enfin cette liberté tant convoitée. J’inspirais à plein poumons l’air pollué de la capitale, avant d’initier le premier pas. Une idée derrière la tête, je l’emmenais vers le restaurant à la lumière tamisée le plus proche. L’un des nombreux que j’avais pu échauder à de nombreuses reprises. J’en poussais le battant en verre pour faire entrer la brune quelque peu étonnée. « Ils ont une carte très variée. » la rassurais-je. Je la testais, volontairement pour enfin mettre des mots cette relation qui dépassait les limites du professionnel. Je m’improvisais alors gentleman et tirais sa chaise pour qu’elle s’y installe avant de prendre place à mon tour. D’un signe de la main, je saluais le serveur que je connaissais bien avant de jeter mon dévolu sur la carte pour y choisir de quoi combler le creux de mon estomac. « Tu veux boire quelque chose ? Vin ? Bière ? »