Je regarde mon téléphone fixement,  allongé sur mon lit , relisant les deux seuls sms que j’ai envoyé à Tasyr aujourd’hui. Est-ce le bon choix ? Aurais-je dû y réfléchir un peu plus ? Mais les mots de cet odieux homme me reviennent en tête comme un coup qu’on m’infligerait. Tu n’es qu’un incapable, un ingrat ! Et pourtant tu es mon fils ! Penses-tu à ma réputation ?! Je serre inconsciemment mes poings, et aussi mon portable. Puis je relâche et me redresse d’un coup. Oui, j’ai fait le bon choix. Je dois le rejoindre au dortoir maintenant. Parler à Tasyr. Partager mes problèmes avec quelqu’un. J’attrape ma veste et mon paquet de clopes récemment acheté. Oui, je suis passé aux clopes. Oui, aujourd’hui je n’ai pas fumé un seul joint mais j’ai besoin d’un truc dans la bouche. Si je m'occupe pas la bouche, je vais péter un câble. Vous vous imaginez bien dans l’état que je suis.

D’un côté, j’étais fier d’être un incapable, de lui ruiner les plans de carrières qu’ils concoctaient. Mais de l’autre… Ses mots ont été beaucoup trop durs pour qu’ils me laissent de marbre.  J’ai cru que j’allais pleurer au téléphone. D’ailleurs pourquoi je l’ai appelé ? Pour avoir maman. Elle n’était pas là, il en a profité. Pour me descendre en flèche. Parce que je ne suis pas digne de reprendre sa putain d’entreprise. C’en était trop. Point de non-retour.

J’arrive au dortoir. J’espère ne pas trop avoir inquiété Tasyr avec mon sms. Mais là, il fallait que je fasse quelque chose. J’ai un besoin urgent de parler. Alors voilà, je me suis tourné vers lui. Parce que, au fond, c’est un petit peu mon petit frère ce gamin. Ouais bon, on a fait beaucoup de conneries mais je mets ça sur le dos de l’alcool. La porte est ouverte. Par contre, je ne le vois pas. Bon. J'entre quand même et vais m'asseoir. Clope à la bouche. Regard un peu perdu. J'attends sur le lit.

Au fond, j'suis qu'un gosse en mal d'amour.

Tasyr, c’était certainement un des sango dont je me sentais le plus proche. Même si on pourrait se dire que je suis proche de tout le monde dans ma fraté, que je m’éclate avec tout le monde. Mais voilà. Avec Taz…. Je ne sais pas. C’était différent. Une alchimie différente. Peut-être dû à l’âge.  En tous les cas, c’est avec lui que je fais plein de conneries. Et à force il me connaissait, il savait comment je pouvais réagir à différentes choses. Mais la face que j’allais lui montrer maintenant, il était loin de la connaître. Je n’étais pas dans mon assiette et je le montrais.

Ça m’amuse, ça m’éclate de gâcher ma vie en quelques sortes. J’ai pas de rêves d’avenir, je sais pas ce que je ferais si je me plongeais dans les études. S’il croit que c’est facile, s’il croit que je ressens pas de la honte parfois. J’aime bien ma petite vie comme elle est pour l’instant. Il ne manque plus que ma sœur pour combler le tout. Cette sœur dont je ne sais pas à quoi elle ressemble… Alors qu’il me foute la paix avec son entreprise à la con. Je la reprendrais pas. J’ai pas envie. Mais les mots qu’il a dit, c’était quand même douloureux.

J’entends Tasyr arriver. Je réagis pas. J’suis perdu dans mes pensées, les mêmes phrases qui redondent dans mon esprit. J’ai encore envie de pleurer. Je sursaute à sa voix. J’lai inquiété, j’suis sûr. Mais bon, je m’y attendais. « Je suis là, t’inquiète. » C’est pas habituel, rien n’est habituel. J’attrape le  paquet qu’il me tend en le remerciant d’un petit sourire. Faut que je mange avant. Des oréos. Très bien. Je croque dans le biscuit lacté lentement, tranquillement. Puis, je jette un regard à l’adolescent. « Tu vas bien ? » Pose-moi des questions. Demande-moi. Je sais pas par où commencer.

J’n’ai pas fumé. J’me suis pas défoncé. J’ai rien pris. Le moral dans les chaussettes. Des chaussettes sans fond tellement cette sensation est indescriptible. J’ai pas eu la force de tirer une bonne latte. J’ai juste envie de me tirer une balle. Non faut virer les pensées noires. Faut tenir bon, c’est pour ça que j’ai direct pensé à Tasyr. C’est le seul à qui je pouvais confier tout ça. Le seul qui pouvait me comprendre. Nous sommes de ceux qui doivent trimer pour vivre correctement. Nous sommes de ceux qui ne doivent jamais flancher sinon c’est foutu. Nous entassons nos problèmes dans un coin, dans un joint. Nous croyons être bien, nous nous inventons un monde pour être bien. Et puis, il y a le dur retour à la réalité. Le miroir qui se brise, l’imaginaire qui prend fin. Et alors, nous réalisons que nous portons tout un poids sur nos épaules. Nous le partageons, pour mieux tenir.  C’est comme si je n’étais qu’un moins que rien sans toi.

Le goût du lait dans ma bouche qui se mélange avec celui du biscuit au cacao. Ils sont un peu mous mais je m’en fous. Je les déguste comme si c’était un repas gastronomique. C’est sucré, ça calme mes nerfs qui sont à fleur de peau. Tasyr, il a bien vite compris que j’allais mal. Je me redresse un peu et plongeais mon regard dans le sien. Long moment de silence. Est-ce qu’il pouvait sentir la détresse que je porte en moi ? Je pose le paquet de biscuit et me rapproche de lui. Besoin de contact. Ma tête tombe sur son épaule. « T’as raison…ça va pas. Ça va pas du tout. » Je ferme les yeux. Une larme s’échappe. Les mots se bloquent dans ma gorge. Plus rien ne veut sortir. J’suis paumé, j’suis perdu, j’ai trop de choses sur le cœur putain.

This is my downfall. Je suis mort. Y'a plus rien dans mon corps, plus âme qui vive, c'est le néant, putain de trou noir. J'suis une coquille vide, ruiné sont tous mes espoirs. Les mots peuvent être blessants, tranchants comme des lames de rasoir. Surtout quand ils sortent tout droit de la bouche d’une personne qui était censé t’aimer. Qui t’a prodigué tout cet amour et toute cette éducation, qui t’as éduqué. Qu’est-ce que je raconte… Il n’en a jamais eu quelque chose à foutre de moi. Il en avait que pour son taff, il était heureux que quand il parlait de ses actions, de son pognon. Il m’a formé pour que je devienne comme lui, aussi lisse que lui. Du moins, il a bien essayé. Voilà le résultat. Voilà ce qu’est ton fils, un bon à rien, un imbécile, un con, un déchet de la société. Un drogué. C’est ce que tu ne voulais pas, c’est ce que j’ai fait. Parce que j’aime détruire tes rêves et j’aime me détruire aussi. J’aime me mettre à l’envers, j’aime foutre le bordel, j’aime être un abruti de première.

Mais les mots m’ont touché. Malgré que je me fiche de mon avenir, il n’avait pas le droit de dire ça. Alors je me suis réfugié dans les bras de Tasyr. Le seul qui est apte à me comprendre. Et je pleure. Je pleure des larmes qui doivent me calmer. Des larmes de colère, de détresse. Ses doigts doux dans mes cheveux en bataille apaisent mes sanglots. Mon cœur est gonflé de rage. Je m’agrippe à lui, comme si j’avais peur de le perdre. Je sais pertinemment qu’il ne m’abandonnera jamais. Qu’on se supportera encore longtemps  l’un et l’autre.  Peut-être que demain ce sera à son tour de venir quémander mes bras pour y déverser des litres de perles salées. « Tasyr… » Je réussis à articuler entre deux sanglots. « J’suis un déchet de la société. J’ferais jamais rien de ma vie. J’ai aucun rêve, j’ai pas d’avenir. Mon père…me l’a fait comprendre…et c’est sans doute vrai… » Je reprends une respiration. Quelques larmes font encore leur chemin sur mes joues. « Est-ce que j’suis heureux comme ça ? Est-ce que ce serait pas mieux de crever ? » J’suis pas bien. Tasyr, j’ai des idées noires, c’est pas ma période. Aide-moi.