Vraiment, tu aimerais savoir ce qui t'est passé par la tête... ce n'est pas tous les jours que tu envoies des sms à ton petit frère. En théorie, c'est même... heu... deux à trois fois par an, max ? Et encore, souvent c'est sur la conversation familiale, où tu ne mets les pieds qu'aux fêtes pour lâcher un aussi fade qu'impersonnel "Joyeux Noël" ou autre message pseudo-festif du genre. Le reste de l'année, la conversation est sur mute. Tu ne checkes même pas les réponses. Peut-être que tu envoies dans le vide, peut-être que tu es la seule encore sur cette convo. Tu sais pas. Y a des années où tu envoies des messages à tes frères et ta soeur pour leur anniversaire, même si souvent tu "oublies" ou tu prétexte t'en être rappelée trop tard et étant sur un autre fuseau horaire, ça n'avait plus de sens.
Mais malgré tout ça, ce n'est pas pour autant que tu ne penses pas à eux de temps de temps, te demandant comment ils vont, ce qu'ils font, avant de te rappeler que ça ne changera rien à ta vie et que tu es bien mieux dans ton coin. Tu as déjà bien assez à faire avec ton doctorat et ta catastrophe ambulante de promoteur.

Et pourtant... c'est au détour d'un magasin que tu es tombé sur " l'objet ". Au début, tu n'y avais jeté qu'un vague coup d'oeil, intéressée par d'autres choses dans la boutique, mais tes pas n'avaient fait que te faire tourner autour, et tu avais craqué. Tu t'étais penchée un peu plus précisément sur l'objet. Il s'agissait d'une sorte de lampe de chevet, constituée d'un socle de bois et d'une sorte de boule en verre posée dessus. La boule était gravée au laser à l'intérieur et dans les modèles proposés, il y en avait plusieurs sur le thème des étoiles et des planètes, ce qui t'avait fait penser à Rhys et sa passion pour l'astronomie. Voyant ton intérêt, un vendeur s'était immédiatement approché et tu n'avais pas eu le temps de l'envoyer bouler avec ta gentillesse si caractéristique qu'il t'avait dévoilé la fonction cachée de cette étrange lampe : en mode veilleuse, celle-ci projetait au plafond une carte du ciel. Oh.
Sans trop savoir pourquoi, tu avais fini par acheter la lampe, dans son joli kit avec plusieurs globes de verre interchangeables.

Pourquoi tu as fait ça, vraiment ? Bon, au point où tu en es... le texto part, lui donnant rendez-vous à l'extérieur de son dortoir. À l'heure convenue (enfin, fixée sans autre forme de procès par toi-même), tu sors de chez toi. Ah non, il ne fallait pas espérer que tu sois à l'heure, hein. Pas pour ta famille. Tu pars de chez toi à l'heure où tu es censée arriver, ni plus ni moins.

Tu es accueillie par ton petit frère visiblement très peu ravi de te voir. Au moins c'est réciproque. Devant son impolitesse crasse, tu relèves un sourcil, ton expression à la limite du mépris. « Parle mieux à tes aînés. » La seule chose qu'il ne puisse contrer : le fait que tu es plus âgée que lui. Si tu avais parlé de votre lien familial, tu sais qu'il aurait démenti, et ça ne t'aurait même pas blessée.
Enfin, tu supposes.

Tu lâches la boîte sur ses genoux, absolument pas désolée de drop plusieurs kilos de trucs fragiles sans alerte. « Joyeux anniversaire, tu rajoutes d'une voix agacée. » Comme si on t'avait obligée à lui faire un cadeau. Comme si tu n'avais pas fait l'autruche le jour de son anniversaire pour ne pas le lui souhaiter, alors que tu avais contacté ta petite soeur.

Mais il a décidé de jouer avec tes nerfs en plus, ce sale môme ? Tu le toises, clairement peu impressionnée par son tantrum. « T'es encore coincé là-dessus ? Sérieusement ? Grandis un peu. » Quelle maturité venant de ta part ! (Non). Tu es juste incapable, parfaitement incapable de t'excuser pour les mots cruels que tu as autrefois prononcés. Non, ils n'étaient même pas cruels... ils étaient juste inhumains. Et à l'époque, rongée de colère et de jalousie, tu les pensais réellement. Puis de toute manière, même si tu t'excusais... est-ce que ça changerait réellement quelque chose ? Non. Alors pourquoi te rabaisser à ça ?

Le voilà qui rattrape in extremis le cadeau que tu lâches sur ses genoux. Tu ne peux pas t'empêcher de souffler du nez, profondément agacée par les attitudes de gamin de ton petit frère. Ouais, t'es en retard, il est vraiment obligé de le souligner ainsi et d'en faire un drama ? C'est toi la drama queen de cette famille, bon sang ! Désormais libérée de l'encombrante boîte, tu viens croiser les bras, le toisant avec dédain. « C'est bon, tu as fini de faire ton caliméro ? Je sais parfaitement bien quand vous êtes nés, Rylee et toi. » Après tout, on n'oublie jamais le jour où l'on devient grande soeur, après avoir occupé la place de petite soeur de son propre jumeau. Mais, again, aucune excuse de ta part pour ne pas le lui avoir souhaité le bon jour. « Et après tu t'étonnes que tu me donnes envie de t'insulter, quand tu te comportes comme ça ? » Et voilà, tu as perdu ton calme, tu es à deux doigts de le remettre violemment à sa place, à l'aide d'une de ces phrases cruelles dont tu as le secret.

Le voilà qui se lève, ton cadeau dans les bras, et tu relèves un sourcil quand il... te chasse ? Oui, c'est bien ce qu'il est en train de faire. Et après il ose se plaindre que tu le traites comme une merde, hein ? « Mais tu veux que je t'en claques une, toi ? T'es vraiment qu'un ingrat, tu siffles en lui lançant ton regard le plus noir que tu aies en stock. Ouvre cette putain de boîte, Rhys. Je ne partirai pas avant. » Tu t'es fait chier à trimballer ce truc jusqu'ici, et tu as l'intuition que dès que tu seras hors de vue, il jettera la boîte sans même l'ouvrir. Il le fera probablement même après l'avoir ouvert, mais tu auras au moins l'illusion que ça lui fera quelque chose de jeter à la poubelle un truc pareil, parce que tu es absolument certaine d'avoir choisi quelque chose qui aurait pu lui plaire si ça lui avait été offert par n'importe qui d'autre.

À la mention d'une fête de famille, tu fais la grimace. Quand tu es arrivée à Séoul, en sachant pertinemment que tu rejoignais ainsi le reste de ta famille, tu n'avais pas pris en compte ne fait qu'on tenterait de t'attirer à nouveaux dans les réunions. Tu as réussi à les dodger jusqu'à présent, prétextant du travail urgent, des empêchements divers... parfois la vérité, mais souvent des mensonges.

Ton téléphone vibre dans ta poche et tu le sors immédiatement, lâchant ton petit frère des yeux pour les poser sur le message qui s'affiche sur ton écran. Soupirant avec agacement, tu lances un regard en coin. « Tu te dépêches, oui ? J'ai encore du travail, moi ! » Bon, en réalité, tu es en congé mais l'équipe du jour au labo vient de t'informer que les résultats de tes derniers essais viennent de tomber et que c'est prometteur, et tu as très envie d'aller voir ça de tes propres yeux... toi, mariée à tes éprouvettes ? Nah. C'est Jinwoo, ça. T'es pas à ce stade là. Pas encore.

Pourquoi tu t'infliges ça, déjà ? Ah oui, ta culpabilité familiale, ce sentiment insidieux qui te dit que tu devrais tenter de revenir dans le cocon familial, à tes racines, alors que tu as tout fait pour t'en extraire.

Tu restes digne sous la salve de reproches, parce que tu ne peux pas réellement le contredire. Oui, il est certain que tu te plaindras de tes "efforts" gâchés suite à cette désastreuse rencontre, parce que c'est dans ta nature de te draper dans ta fierté pour ignorer tes blessures. Blessures que tu t'infliges toute seule comme une grande, by the way. « Il n'y a que les gamins pour chouiner de la sorte parce qu'ils reçoivent un cadeau d'anniversaire en retard. » Est-ce que tu viens d'ignorer royalement la moitié de son monologue ? Absolument.

Décidément, il n'y a que ton petit frère pour te faire à ce point perdre ton sang-froid, même Jinwoo et ses mots maladroits ne parviennent pas à faire naître une telle colère en toi. Les mots t'échappent et voilà qu'il se retourne. Quelque chose s'est définitivement brisé entre vous, tu le sens, tu le vois. Il se rapproche et tu réprimes ton mouvement de recul instinctif alors qu'il est pratiquement collé à toi. À ses mots, tes yeux s'écarquillent et tu serres les poings à en avoir les jointures complètement blanches. C'est ça ou craquer et lui foutre une tarte, mais tu t'es toujours jurée que jamais, jamais tu ne lèveras la main sur ton frère, ni sur personne d'ailleurs. Mais ton frères est prioritaire dans la liste, parce que tu sais que ce serait irrémédiable et non seulement tu perdrais ton petit frère, mais probablement le reste de ta famille aussi. Et tu restes là, comme une idiote, à le regarder d'un air mi-horrifié, mi-atterré. C'est donc vraiment ça, votre relation aujourd'hui ? Lui, persuadé que tu serais capable de le frapper ?

Finalement, tu laisses échapper un soupir dépité, tes poings se relâchant, et tu lèves la main à hauteur de son front, avant de lui lâcher ta meilleure pichenette. « C'est bon, t'es content ? Je suis l'horrible sœur qui te frappe, tu pourras montrer ta belle marque rouge à tout le monde pour preuve. » Tu recules enfin d'un pas, croisant les bras devant toi, geste nonchalant mais qui est pour toi une protection. Tu as probablement franchi la ligne de non-retour maintenant. Est-ce que tu regrettes ? Oui. Mais tu n'auras plus à te torturer à te demander si votre relation est réparable, parce qu'elle ne l'est plus, désormais. « Je n'ai jamais voulu ta mort, Rhys, tu siffles avec émotion. Mets-toi ça dans le crâne une bonne fois pour toute. » Tu lances un regard amer à la boîte posée au sol, comme si c'était la Boîte de Pandore contenant tous tes maux. Si tu avais su que craquer pour cette lampe vous mènerait à ça, tu te serais peut-être abstenue. « Oublie le cadeau, jette-le, fracasse-le, je m'en fiche. Je pense qu'on s'est tout dit. » Il est temps de partir. Tu déconnecteras ton téléphone privé en rentrant, tu ne veux pas que Rohan t'accable de reproches, ou lire la déception de Rylee.

C'est dingue comme même Jinwoo ne te donne pas autant envie d'étriper quelqu'un que Rhys, et quand il te traite haut et fort de conne, tu en oublies presque de respirer. Non mais qui l'a élevé, celui-là ? Vos parents ne laissaient pas passer ce genre de chose. Tu ravales néanmoins tes mots acides. Envenimer la situation, encore et encore, n'aidera en rien. Tu éprouveras peut-être cinq secondes de satisfaction à l'idée d'avoir été la pire connasse de la Terre, avant qu'il ne te rétorque un truc de son cru et que tu te sentes à nouveau comme la pire qui soit. Pas que ça te dérange particulièrement en général, hein. Mais face à Rhys, tu as toujours ce petit pincement au coeur après avoir lâcher ton tout venin.
Mais bref. Ce n'est pas ça qui t'a empêché de lui faire les réflexion les plus dégueulasses que tu aies pu imaginer, à l'époque.

Tu roules des yeux devant sa réaction. Bon, au moins il ne s'est pas mis à chialer comme un môme, à te traiter de tous les noms. Tu détestes juste cette sensation de perte, l'idée d'être en train de t'écraser devant ton asticot de petit frère parce que quoi que tu dises, il te tournera pour faire de toi la vilaine de l'histoire. Nouveau roulement des yeux, tu vas bientôt finir par développer la capacité à faire un 360° avec tes globes oculaires. Ton agacement et ton profond ennui se montrent clairement sur ton visage et tu retiens à grand peine ton envie d'inspecter tes ongles (parfaitement manucurés, n'en déplaise aux règles débiles du laboratoire) pour bien marquer à quel point tu te moques de ce qu'il raconte. Ce serait trop cliché comme attitude. « Je ne reviendrai pas sur les choses que j'ai dites, tu énonces comme si c'était naturel. Cela ne veut pas dire que je les pensais. Ou que je les pense encore. » Tu n'épilogueras pas là-dessus, de toute manière il ne t'écoutera pas.

Un petit reniflement dédaigneux t'échappe alors qu'il te congédie sans la moindre grâce. « T'as survécu jusqu'ici contre toute attente, tâche de ne pas crever lors de ta prochaine compétition, cafard. » Parce que comme les cafards, il semblerait que Rhys soit immunisé à la mort. Et sur ces mots, le seul aveu approximatif que tu suis les exploits de ton petit frère, tu tournes les talons, te drapant dans toute la dignité et la colère qu'il te reste, t'éloignant. Bon, est-il encore trop tôt (ou tard) que pour te réserver un super week-end wellness à Noël ? Parce que là, tu es sûre que tu ne mettras pas les pieds dans la fête familiale.