Dans quoi est-ce que je me suis embarqué ? ▬ Je ne la connais ni d'Adam, ni d'Eve. Son prénom m'échappe parfois encore, mais j'accuse le coup et me rattrape par une acrobatique pirouette servie à la sauce de mots doux. Dire que tu aurais pu m'épargner. Dire que j'aurais pu t'épargner. Ce piège m'étouffe, cet étau est trop oppressant pour mon quotidien fait de simples délits. Je ne pense pas être prêt à assumer tout ce que nos mensonges engendrent, tous les océans que nos mots déchaînent. Ais-je le choix ? On l'avait. On l'a perdu. La décision était entre nos mains, on a joué avec le feu. On s'est brûlés, mais parfois la sensation est bénéfique. Mieux vaut faire face à deux que seuls. Tout ça est idiot, l'origine de notre histoire est maladroite et incertaine. Il a fallut quelques langues de vipère pour nous enchaîner l'un à l'autre. Je ne sais pas même qui elle est, je ne pourrais pas compléter ne serait-ce qu'un dixième de sa carte d'identité. Est-ce que ça nous plait ?

Je pense qu'on tente d'apprécier comme on peut notre erreur pour ne pas avoir à en pâtir davantage. Les jeux s'installent là où ils peuvent tenir et être inébranlables. « Tu sais, parfois je suis jaloux, chérie, je n'aime pas que tu regardes les autres hommes. Te plaisaient-ils plus que moi ? ». Ma bouche dit une chose, mes yeux en disent une autre et s'égarent souvent sur les enveloppes charnelles des femmes. C'est quoi, qui nous rapproche ? Si on nous enlève ce socle fragile, amas de rumeurs, de honte et de fausseté, quelque chose nous retiendra-t-il ? ▬  A quoi est-ce que tu ressembles, sous tes faux airs et tes grands yeux ? A quoi tu ressembles, sous tes parures arc-en-ciel ? Dis moi, t'es qui ?

Après un temps qui m'a semblé une éternité, ses mots ont fini par m'impacter. Je plissai les yeux et la dévisageai. C'est courant chez toi de parler autant ? Je soupirai et lissai les plis de mon t-shirt. Je savais pas pourquoi j'avais proposé ce rendez-vous. Je suppose que j'avais souhaité percer enfin le système Sae Hyang, pouvoir mettre des mots sur un visage que j'oubliais bien vite et qui ne marquait pas mon esprit. Je sais pas, m'embrouilles pas dès que j'arrive. Tu veux aller où ? Profite, c'est la première mais aussi la dernière fois que je te laisse choisir. Ensuite, tu te plieras à ma volonté. Conscient d'être un gamin capricieux, mais non pas mécontent de lui ouvrir la fenêtre sur cette facette de ma personnalité, j'étirai mes lèvres en un sourire plein de sous-entendus. Il me semble t'avoir dit que l'amour ne s'achète pas, non ? Je retire, c'est peut-être le cas, mais uniquement lorsqu'on s'appelle Crésus. J'aimais pas parler autant, ça n'était pas dans mes habitudes. Mais je devais avouer que quelque chose me plaisait, aussi malsain que ce puisse être, dans cette situation. Le fait, peut-être, d'avoir carte blanche pour me montrer insupportable envers quelqu'un. T'es très.. jolie. Je lâchai ces mots du bout des lèvres, par pure politesse.

« When you run like a lady. And cry, like a baby » ▬ De mon point de vue adolescent, habitué aux fantasmes les plus complaisants, et de mes yeux d'homme intéressé par les formes généreuses et douces des femmes, dire à semi-mots qu'elle est jolie me semble d'une faute de goût irrévocable. J'ignore si j'aurais pu porter sur elle un regard différent, si la situation n'avait pas été telle, mais les choses font qu'en plus d'insupportable, elle m'apparaît d'une étrangeté singulière et désagréable. Trop fausse dans ses attitudes, et trop colorée. Un paon dépareillé à la roue risible. J'ai un mal fou à supporter ces personnes. Elle me ressemble plus que je ne l'aimerais, par son masque d'antipathie ; je voue une aversion certaines aux gens qui me proposent le reflet de moi-même. Je refuse d'admettre ce que je peux être.  D'un grognement las, je cessai alors de la juger, et reportai mon regard dans ses yeux. Ses changements d'expressions étaient si vifs et soudains qu'ils m'apportaient toujours une pâteuse sensation de surprise et me prenaient au dépourvu. Finalement, elle est plus vivante que moi, plus agitée. Je n'aime pas non plus ceci, mais je trouve que ça lui va bien. Je la préfère ainsi, loin d'être éteinte. ▬ « You are what you are, you did what you did. And I see what I saw »

La fragilité ? Je fronçai les sourcils et pinçai mes lèvres en tentant de dégager mon poignet. Je n'osai pas m'exprimer librement de peur qu'une personne ne laisse traîner ses oreilles là où il ne devrait pas, et ne ruine notre couverture. Qui pue la fragilité, hein ? rétorquai-je méchamment dans une moue enfantine, vexé par sa remarque. J'abandonnai l'idée de me défaire de sa poigne en un soupire et ne prononçai plus l'ombre d'un mot jusqu'à tant qu'elle finisse, m'imaginant déjà dépenser des milles et des cents que je n'avais pas. Je voulais bien faire des efforts ( faux, je n'en avais aucune envie ) mais les moyens ne suivaient absolument pas. Je t'emmène où tu veux, mais ton porte-feuille prendra cher à la place du mien.  T'es pas man non plus. Peu habitué à une remarque du genre, je plissai les yeux avec une once de gêne et détournai le regard en me raclant la gorge, feignant un intérêt soudain pour la faune miniature de l'endroit. Merci.. Du bout des lèvres. 

Le silence régna l'espace de quelques pas, de quelques mètres. Mes oreilles préféraient cette option. Ma main glissée dans la sienne pour vernir notre image du couple modèle, je fixais droit devant moi pour éviter de croiser son regard encore une fois. Pourtant avec elle, la trêve est toujours trop brève. Hm ? Je l'observai du coin des yeux, et haussai les épaules. C'était la première fois, je crois, que nous abordions un sujet concret. Je n'aime pas parler de moi, mais j'avoue que j'étais curieux de savoir ce qui pouvait se cacher sous ces traits originaux. Alors, si une simple et vague réponse pouvait être le prix à payer, il me semblait dérisoire. Non, je ne suis pas né ici.. non. Mon père est coréen, mais ma mère est.. était syrienne, et je suis né là bas. Je suis là depuis deux ans, mais je parlais déjà la langue plus ou moins bien. Tenté de garder un air détaché fut plus laborieux que prévu, et je raclai ma gorge pour cacher l'émotion qui manquait de m'assaillir. Tu as toujours vécu ici ? Je fixai tantôt mes chaussures, tantôt le goudron, tentant de chasser de mes yeux la couche humide qui s'y logeai. Objectif atteint après quelques clignements d’œil effrénés. Une fois chose faite, j'osai à nouveau l'observer à la dérobée. D'ailleurs.. T'as quel âge ? Je me sentais un peu con, de poser la question maintenant, et l'avais chuchoté près de son oreille de sorte que personne ne puisse se douter de la teneur de mon interrogation.