Ok Yusuke, faisons comme si elle n'avait rien dit. Ses conneries c'était juste pas possible. Moi raconter du charabia ? Et elle alors ? Ah. Bon sang. Bon. Écoutons ce qu'elle avait à nous dire sur la copie. Peut-être que là ses paroles seraient un peu plus censées. Je retins un soupir lorsqu'elle m'annonça que selon elle j'étais bien jeune pour enseigner. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire ? J'étais rentré plus tôt au lycée, et j'avais en plus de ça sauté une classe, c'était pas ma faute si j'étais plus doué que certains après tout. «Je suis jeune ouais... » Jeune ou pas jeune de toute manière dans deux ans je serai plus là alors qu'elle commence pas à me casser les couilles sur mon boulot. Finalement je repris ma feuille, l'examinai une dernière fois et notai un beau 20 sur la feuille. 20/100 c'était pas mal non ? Après tout on pouvait pas tout avoir dans la vie hein. Elle écrivait mal, c'était pas ma faute. Ça lui apprendra à rédiger comme un pied. La prochaine fois elle se rappellera que les fautes et moi ça fait deux. J'attrapai un stylo puis notai en haut de la feuille « Quitte à avoir un cancer j'aimerai que celui-ci ne soit pas oculaire, merci de bien vouloir soigner votre orthographe et votre syntaxe » Qui a dit que je n'avais pas d'humour ? J'en avais. J'étais juste le seul à le comprendre. Après avoir rangé ma pochette et mon stylo, je relevai la tête vers la jeune femme qui repris la parole. Ah bah tiens...Voilà qu'elle me parlait de ses études...Je bu une nouvelle gorgée de mon café et avalai difficilement en entendant la nouvelle d'Eunhye. Ah...carrément. Elle n'avait même pas mis les pieds à l'université ? Mais...Donc elle comptait faire caissière toute sa vie c'est ça ? «T'as vraiment aucun diplôme ? » Elle devait sans doute me prendre pour un mec arrogant qui ne pensait qu'au mérite des grandes facs, et aux diplômes. Ce n'était pas le cas. J'estimais simplement qu'un canon de beauté pareil, aurait quand même pu faire autre chose que simple caissière. Hôtesse de l'air tiens. J'arquai un sourcil quand cette fois-ci elle me demanda de deviner son âge. Elle croyait sérieusement que j'avais le temps de jouer aux devinettes ? Je soupirai puis me grattai doucement le menton en réfléchissant. J'avais envie de dire le même âge que moi, mais puisque c'était une fille, valait mieux pas la vexer. «On va dire...23 ans » tout ça prononcé sans grand enthousiasme puisque j'étais presque certain qu'elle était plus âgée. Non pas qu'elle faisait vieille, loin de là, mais elle avait une carrure, des traits sur son visage, qui montraient une certaine maturité. Tout le contraire de son cerveau en d'autres termes. Quoi qu'il en soit, qu'elle ait 18, 22 ou même 40 ans elle restait particulièrement belle. Mais c'est pas possible bordel...elle en fini jamais avec ses questions ? Mon quartier préféré...Si c'était pour venir y roder tous les jours de la semaine, c'était inutile...mon quartier préféré....Ma chambre. Haha. Définitivement pas Hongdae et ses boîtes de nuits, ni Gangnam. « Yeouido, c'est sur les bords du fleuve Han...c'est assez spacieux et surtout...calme » Quelle campagnarde celle-là, c'est à moi qu'elle demandait des renseignements sur Séoul ? Franchement fallait le faire. «Insadong aussi c'est sympa...Mais il y a pas mal de monde. Non franchement vers le fleuve c'est plutôt cool. Pour faire du vélo...ou juste...lire » continuai-je en haussant les épaules. Pourquoi je racontais ma vie à cette fille sérieux ? Je regardai par la fenêtre, la pluie semblait s'estomper. C'était l'heure de mon départ, surtout que j'allais bientôt avoir ma séance de kiné. «Tu habites loin d'ici ? » Non elle ne m’intéressais pas. Je voulais juste savoir si je devrais me la coltiner encore longtemps, même sur le chemin du retour. 

Le jeune homme devait être surpris par ma formation très légère. Pour de nombreux coréens, l’université était synonyme d’avenir. Beaucoup de personnes se mettaient une pression énorme pour réussir. Contrairement à eux, je n’avais jamais cherché à m’inscrire dans une faculté plus ou moins prestigieuse. A cette époque-là, mon futur était déjà tout tracé et je ne m’en plaignais pas. Je connaissais déjà la sévérité du métier d’agriculture. Mais à vrai dire, cela avait le don de me plaire. J’étais toujours fière de moi après une longue journée de dur labeur. Toutefois, je soupçonnais certains citadins de ne pas être très ouverts d’esprit. Et mon petit doigt me disait que j’étais tombé sur l’un d’entre eux. Je m’abstins de faire une quelconque remarque à ce sujet. Personne ne nous obligeait à raconter tous les détails de nos vies. « Non aucun. A part le Suneung. » J’étais instruite et oui… Je n’étais peut-être la plus douée mais peu importe, j’avais réussi à obtenir un diplôme. J’avais juste oublié d’en profiter pour continuer mes études à l’université. Lui demandant son avis quant à mon âge, le jeune homme me donna 23 ans, avec son air peu emballé. Apparemment, sa mâchoire était incapable de provoquer un sourire. C’était assez déprimant de voir une personne aussi froide mais je comptais bien le réchauffer un peu. Lâchant un léger rire, je repris la parole. « Raté. Tu vas devoir me payer un autre café. Je vais faire sur mes 26 ans ce qui fait de moi ta noona ?! » Je lançais des paris toute seule. Lui forcer la main n’était certainement pas la meilleure solution mais le voir tirer la gueule avait le don de me faire rire, maintenant. Je m’amusais à le juger un peu, dans mes pensées les plus obscures. Je relâchai mes épaules et décida d’aborder un tout autre sujet. Monsieur n’avait pas eu la délicatesse de répondre à mes questions s’agissant de son emploi. Je pensais qu’il allait se la péter en mode : je dirige tout un groupe de professeurs et j’ai 50000 étudiants mais même pas ! Allez savoir ce qui se passait dans sa petite tête. « Oh, j’adore Yeouido ! » déclarai-je comme si j’étais une gamine heureuse d’avoir  trouvé un point en commun avec oppa. « Le parc est vraiment sympa, surtout l’été. On s’amuse là-bas. » J’avais découvert ce parc lors de mes premiers jours à Séoul et je devais avouer que cette journée me poussait à en garder un bon souvenir. De ce fait, je n’étais pas certaine d’être très impartiale. « Tu fais du vélo ? Ah ah, tu vas finir par rejoindre les rangs des écolos. Le vert t’irait bien au teint. » Me moquai-je un peu. Je me découvrais presque des talents de fashionnista. « Tu fais d’autres sports ? Personnellement, je n’en ai pas besoin. Faut dire que la mise en rayon muscle. D’ailleurs, je me demande si on n’a pas le droit d’obtenir des coupons pour les salles de massage. Il y en a quelques-uns à Hongdae. Mais je ne sais pas ce que ça vaut. » Déblatérai-je comme si mon discours était très profond et intéressant. Puis, son regard bascula vers la fenêtre. Etait-il pressé de partir ? Fronçant doucement les sourcils, je me demandai si cette manifestation était finie pour de bon. Je risquais de finir avec la crève et le directeur de la supérette allait sûrement râler. « J’habite au nord de Daegu. » répondis-je, pensant qu’il parlait de mes origines. Mais à son regard, je compris très vite où il voulait en venir. Lâchant un rire nerveux, je me trouvais bien conne. « Tu n’arrêtes pas de me poser des questions, tu ne vois pas que tu me troubles ? » OUAIS. Si je disais des conneries, c’était de sa faute, n’est-ce pas ? « Tu n’es même pas fichu de me répondre quand je te parle de la faculté. Pourquoi je te donnerai mon adresse, hein ? » Je secouai la tête, faussement contrariée.

 Donc. Je devais faire abstraction du fait qu'elle avait arrêté les études après le lycée. Ok. Je ne la jugerai pas. Ou alors rien qu'un tout petit peu. Le strict minimum parce que les diplômes à notre époque c'était important. Elle lisait au moins ? Même si elle n'étudiait pas est-ce qu'elle avait ne serait-ce que le temps de s'instruire chez elle comme une grande ? Elle venait de la campagne certes mais y avait des livres là-bas. C'était pas non plus la cambrousse. Et encore. Je suis sûr qu'en cambrousse ils se démerderaient quand même pour lire ou apprendre. Bref. C'était ok pour les études. Après tout il fallait bien des gens au dessus et des gens en dessous. Si tous les étudiants coréens arrivaient à faire Yonsei ou SNU en y ressortant diplômés tout le monde serait cadre. Ce qui n'était définitivement pas le cas. Je me demandais encore comment j'avais pu accepter ce poste de prof. Je n'avais pas l'âme pour enseigner mais c'est tout ce que je pouvais donner de mon vivant : mes connaissances, alors autant que ça serve. Et encore je n'étais pas vraiment professeur titulaire, et ça les élèves l'avaient bien remarqué puisqu'ils ne notaient jamais rien en cours. Sans doute qu'ils pensaient ne pas se faire remarquer mais, avis à tous les étudiants, sachez que d'en bas, on voit tout. Ceux qui font mine de noter sur leurs ordinateurs alors qu'ils se croient en pleine séance de cinéma, ceux qui racontent à leur voisins la dernière discussion Facebook que untel a eu avec untel. On voit tout. On voit aussi ceux en train d'écouter de la musique pendant que je parle. Ou ceux qui se cachent sous la table pour envoyer des SMS. Après tout je m'en fichais. Moi j'avais un salaire qui rentrait tous les mois. Eux le seul salaire qui rentrera ça sera le chômage s'ils continuent comme ça. J'avais beau les pousser rien n'y faisait. Les étudiants coréens avaient ce défaut de faire semblant d'écouter mais de ne rien retenir. Déjà que de base ils ne savaient même pas rédiger plus de vingt lignes d'affilée (faute aux qcm), en plus de ça, ils ne notaient strictement rien. Mais passons. Je n'allais pas m'éterniser sur ces flemmards d'étudiants. Penchons nous plutôt sur cette idiote en face de moi. 26 ans...plus que ce que je lui donnais. Mais ça lui allait bien. Devrais-je l'appeler noona ? Ah ah. Jamais ou alors juste pour l'emmerder. Je hochai donc la tête à sa réponse, sans pour autant émettre la moindre expression d'étonnement sur mon visage. En vrai je m'en contrefichai qu'elle ait 20 ou 26 ans. L'avantage de son âge c'est que j'osai espérer qu'elle soit un peu plus mâture que certains, malgré sa connerie potentiellement superficielle. En fait oublions le côté mâture. Pourquoi commençait-elle a me raconter sa vie comme ça ? oui j'en fais souvent  répondis-je rapidement pour son histoire de vélo. C'était un guide touristique ambulant ou quoi ? Elle me décrivait son quartier comme si elle en avait appris la plaque d'informations par coeur. Manquait plus le gros I en forme de point d'exclamation sur son front.

Un petit coup d'oeil à la fenêtre. Je demandai à ma chère caissière où est-ce qu'elle habitait. Je voulais partir et la pluie commençait enfin à s'arrêter. Daegu ? Mais...C'est pas possible. Elle était conne ou elle le faisait exprès sérieux ? Je me retins sincèrement de rire, me mordillant l'intérieur de la joue mais une remarque de la jeune femme m'interpella. Je la troublais ? C'était bien la première fois qu'on me disait ça. Non pas que je ne troublais ordinairement personne mais qu'on me le dise en face, ça, c'était inédit. Et finalement cela me rendit presque mal à l'aise. Moi la troubler. Haha. Pourtant je n'avais strictement rien fait à part lui demander là où elle habitait. Cesse de vouloir changer de sujet...en plus tu racontes de la merde. Je te demande où t'habites pour savoir si on continue notre chemin ensemble ou pas. J'habite à quelques minutes à pied personnellement. fis-je avant de continuer. Et pour mon histoire de boulot je ne suis pas prof a proprement parlé puisque je suis encore en doctorat. Mais j'étudie la physique et la philosophie à SNU... Enfin c'est compliqué on s'en fiche au pire non ? je n'allais pas lui faire un roman sur ma vie. Puis je risquerai de la perdre en route. J'avais juste eu une chance de cocul de pouvoir être pris en tant que pseudo prof alors que je venais d'une faculté concurrente mais après tout quand on était bon dans ce qu'on faisait hein....

Mon café terminé je me levai et remis mon manteau sur mes épaules. J'avais tout intérêt à me couvrir et à ne pas tomber malade. Surtout qu'à la fin de l'année, j'avais un séjour de quinze jours à l'hôpital qui m'attendait. Un peu avant Noël heureusement.
J'invitai donc Eunhye à emprunter, juste avant moi, la porte de sortie puis une fois dehors je lui tapotai doucement l'épaule. Allez je rentre... A une prochaine fois au rayon légumes  dis-je en lui adressant un petit signe de la main avant de quitter la demoiselle. Conne mais vraiment super belle putain.