Journée shopping + Sunny + Danny = combo gagnant. Ça, c’était le genre de formules que Naomi gérait à merveille, un petit miracle sachant que pour elle Mat(hs) était à juste titre associé à Échec. Talons qui claquent au même rythme, lunettes de soleil style mouches de luxe, armes aux bras – des dizaines de paquets qui se superposaient au creux de leurs coudes (penser qu'elle devrait se débrouiller pour tout rendre avant de repartir en Corée lui fendait déjà le cœur, mais soit) –, elles avaient tout l’air d’une version chix du trio légendaire d’Athos Porthos et Aramis. Le cliché des fashonista prises en flagrant délit de dilapidation de sous, de quoi tirer des larmes aux accro aux causes humanitaires… mais après tout, chacun ses addictions ! Et pour le prix et le nombre de mois de travail qu'avait coûté ce voyage, la brune était bien décidée à profiter jusqu'au bout. Depuis le début de leur séjour, elles avaient dévalisé les boutiques au moins une fois par jour. Et pour cause : en Californie shopping rimait avec art. Passer par le Rodeo Drive de Beverly Hills était quasiment un pèlerinage incontournable — leur acte de foi avait d'ailleurs été récompensée, puisqu'elles y avait remarqué des visages célèbres cachés derrière des lunettes surdimensionnées. Et ces rencontres s'étaient soldées par des photo aux côtés des dites stars, avec pour fond les enseignes des maisons de haute de couture à la Armani ou D&G. So chic.

Autant dire qu'elles avaient fait suer les vendeuses à force de jouer les difficiles (standing élevé oblige) et s'était pavanées dans les rues marchandes comme si la Californie tout entière leur appartenait (si on leur demandait leur avis elles affirmeraient sans doute que c'était le cas) ; à présent, elles s’accordaient une pause bien méritée lorsqu'une vue de mauvais goût vint perturber l’horizon.

Naomi fronça les sourcils, repoussa sa boisson, fit glisser la monture de ses lunettes sur son nez et cligna des yeux à quelques reprises. Une moche à 100 % dénuée de swag s’était installée à la table d’en face, son jean explosait au point de donner une vue plongeante déplaisante sur la raie de ses fesses tout juste recouverte par un bout de ficelle griffé. Franchement, ce genre de spectacles passait rarement bien, et pour le coup il cassait complètement. « Traumatisme oculaire de niveau deux à 1h », annonça-t-elle à ses comparses juste au moment où la concernée se levait, sans doute pour passer commande. Et là, deuxième choc. « Haaaan l’arnaque. C’est pas juste un thon en string Gucci, c’est un mammouth perché sur des Louboutins ! » Et non contente de faire cette dénonciation – judicieuse et plus que méritée à son goût – à voix haute, elle pointait la coupable d’un index accusateur, la mine outrée. Forcément, les regards commencèrent à migrer de leurs côtés, alertant la malheureuse au passage sans que Naomi n’estime qu’il était temps pour elle de se taire. C'est qu'elle n'avait même pas pensé qu'elle pouvait aussi parler en coréen pour ne pas être comprise. De toute façon, à quoi bon bitcher si elles n'étaient que trois à savoir ce qu'elles disaient ?

Sous le poids des murmures qui s’élevaient autours d’elle la femme fit un tour sur elle-même pour essayer de comprendre, un peu déstabilisé par le poids de ses bras musculeux. Et comme si ce n'était pas suffisant, Naomi en remit une couche : « C’est quoi cette blague de mauvais goût ? Oh Musclor vacille sur ses talons aiguilles. » La remarque qui avait ponctué le mouvement de la concernée attira son attention droit sur les trois potiches qui la détaillaient du regard comme un animal de foire, et l’ébullition fut instantanée. « Un problème ? », demanda-t-elle furieusement, rouge pivoine. Étonnée par la question, Naomi répondit sur le ton de l’évidence – « Bein, toi Peggy. Tu n’as pas de swag. »

Le soleil californien, quel merveille ! Et ce n'est pas Yoon Daeun qui dira le contraire. Lunette de soleil au bout du nez, elle se pavanait avec ses deux amis de toujours comme si la Californie leur appartenait. Cela faisait à peine deux jours qu’elles étaient arrivées et la bande des 3 avaient déjà sillonner toutes les rues de Beverly Hills comme pour les marquer au fer rouge, pour informer tout le monde de leur présence et bien sûr, pour dévaliser tous les magasins. Chacun son truc, certains préféreront découvrir les alentours et visiter des musées mais jouer les touristes pour la team de choc voulait dire vider leurs comptes en banques dans des boutiques de luxe. Quelques heures avant le désastre, les trois amies se promenaient dans les rues huppées de Beverly H. comme tous les jours depuis leur arrivée sur le sol américain, plusieurs sacs au bout des bras façon pretty woman, satisfaites de leurs précédents achats comme si elles avaient accomplis quelque chose d’exceptionnel. Seulement, faire du shopping, ça fatigue et elles décidèrent donc de faire une pause et de s'assoir autour d’un verre. On ne dirait pas comme ça mais faire les magasins, c'est aussi éprouvant que de faire du sport. Ca devrait d'ailleurs en être un, de sport. Attention, pas le shopping en mode rapide, non, on vous parle là du shopping niveau avancé, du shopping de compétition qui dure toute une journée et laissez moi vous dire que ces filles là sont loin d’être des amatrices dans ce domaine.


Naomi était la première à l’avoir vu. L’horreur. Une espèce d’épave moche, dont le pantalon baissé de façon à laisser voir sa raie, était tranquillement installée en face d’elles et le pire dans tout ça, c'était qu'on pouvait voir que son string était soi-disant un "Gucci" : le cliché même de la prostipute so cheap et vulgaire au possible. C’était tout simplement moche, si elle voulait qu’on voit son string, elle aurait pu le faire avec swag au moins, ça aurait permit d’oublier que son corps avait les mêmes proportions que celles d’un hippopotame. Il était impossible que Danny et ses amies passent à côté de ça, il fallait qu'elles fassent quelque chose. Telles des justicières, elles se lancèrent un regard que seules elles pouvaient comprendre et qui signifiait qu'il était temps d'agir.


Danny manqua de s’étouffer avec son thé en jetant un coup d’oeil tout sauf discret vers miss Piggy. C'était outrant et elle n'avait plus d'appétit face à une telle vision. Cette fille manquait cruellement de swag. Ayant pitié de sa tortue de compagnie dont elle ne voulait pas salir les yeux innocents face à ce spectacle, elle plaça cette dernière dans son sac à main en lui disant de ne pas s’inquiéter, que tout allait s’arranger grâce à «maman». Parler aux animaux, ça c’est swag. Et quand elle pensait que le thon face à elles ne pouvait pas faire pire que ça, second choc ! La baleine était debout sur des louboutins -surement des faux- et marchait comme si elle était LA fille à regarder. Certes, elle était à regarder mais pas pour les bonnes raisons. L’association string cheap 'Gucci' + louboutins made in China, c’en était trop, la brune enfila sa cape invisible de super héroïne, bien décidée à mettre les points sur les i et les barres sur les t. Cependant, Naomi la devança, l’air outrée, en pointant du doigt le mammouth sans swag qui se retourna immédiatement, pendant que les autres clients murmuraient entre eux. Danny ne put s’empêcher de rire face à la franchise de son amie. Vous savez, ce rire de garce qu'on entend en fond sonore dans les films américain quand la chef des cheerleader humilie la geek ultra moche et que ses potiches s’esclaffent comme des folles ? Et bien la coréenne riait de cette manière, sans se gêner, écrasant sans pitié la dernière once de dignité du mammouth. «Swag swag swag, tu n’as aucun swag swag swag» , chantonna-t-elle en se trémoussant légèrement. Elle ne disait que la vérité, après tout. La "sans swag" était affreusement gênée, comme le montrait son teint rouge pivoine. Satisfaite de l'effet qu'elle avait eu sur elle, Danny en remit une couche, un énorme sourire aux lèvres.  «TU n’as aucun swag» ajouta-t-elle en la pointant du doigt à son tour. La baleine bouillonnait, il était clair que le trio l’avait énervée parce qu’à voir comment elle avançait vers elles, les poings serrés, elles allaient avoir de sérieux problèmes, surtout que mammouth faisait surement le poids des trois coréennes additionnés. Mais bon, s’il fallait une confrontation pour régler ce problème de fashion terrorisme, alors Danny était prête à se battre.

Aujourd'hui il avait été question de mettre le monde à leurs pieds comme c'était le cas à chaque sortie officielle du trio de Pyobeom. Comme toujours, la mission avait commencé par une tournée des magasins les plus chers de la petite ville. Entre caprices de diva et gestes de Drama Queen les trois filles s'étaient assurées de laisser un souvenir indélébile à chaque vendeuse qu'elles croisaient. Lorsque l'une se plaignait de la lenteur des employés à réagir à leurs demandes une autre hurlait au scandale devant le sac rouge alizarine qu'on lui proposait alors qu'elle avait demandé un rouge garance. Ce n'était qu'au bout d'une après-midi complète que les trois filles avaient décrété qu'il était temps d'une pause cocktail pour clore en  beauté leur séance. Autour d'une table et à l'ombre d'un parasol, les trois Jeo sirotaient à tour de rôle leurs cocktails tout en maintenant une discussion animée et ponctués par ci par là de « nooon, tu déconnes ? » ou « j'y croooois pas » aigus. Pendant que l'une racontait une anecdote les deux autres commentaient et les rôles s'inversaient toutes les cinq minutes dans un ballet de rires non retenus. Jusqu'au moment où leur routine fut interrompu par l'arrivée d'un phénomène poissonèsque que Naomi ne manqua pas de repérer. Dans l'exacte cliché de trois bimbos américaines les Pyobeom s'arrêtèrent de parler pour dévisager la chose. De son ongle manucuré, Sunmi baissa de quelques centimètres ses lunettes de soleil pour l'observer plus attentivement ; un string où le logo d'une marque connue était imprimé dessus dépassait d'un jean trop serré qui semblait sur le point de craquer. La rouquine laissa échapper un rire sonore à l'écoute des remarques de sa pinco et fut plus que ravie de voir la principale concernée par leurs moqueries se tourner vers elles... ou presque. Dans un geste théâtrale, Sun ouvrit en grand la bouche et prit un air scandalisé aussi subtile qu'un acteur de Plus Belle La Vie : « Wow, c'est dingue. Elle est encore plus moche de face que de dos notre Miss Peggy. » Les hostilités étaient lancées pour toute la troupe alors la rousse posa son cocktail et décroisa les jambes pendant que Danny se chargeait de l'instant karaoké du jour avec son couplet : «Swag swag swag, tu n’as aucun swag swag swag» Sunmi claqua des mains pour encourager la chanteuse mais arrêta son geste lorsque Peggy se posta devant leur table pour leur crier dessus un « Fermez-là ! ». Oh, c'est que madame commençait à s'énerver suffisamment pour que ça devienne intéressant. Sunmi arqua un sourcil en voyant la grosse main de la baleine se lever pour renverser un de leurs trois cocktails sur la table. La rouquine laissa échapper une plainte en sentant un liquide froid couler sur ses jolies chaussures et sans attendre l'étudiante se leva en faisant grincer sa chaise. La baleine, sans doute satisfaite de son geste leur tourna le dos pour partir, pendant que Sun secouait ses stilettos. Durant leur altercation plusieurs clients avaient déjà prit soin de se déplacer plus loin tandis que d'autres avaient carrément quitter la terrasse. « La garce ! » Les derniers téméraires comprirent au moment où la rousse releva la tête pour vriller du regard l'inconnue qu'il était vraiment temps de bouger.  En trois secondes, Sunmi se retrouva avec une main dans la tignasse décolorée de l'amicale Peggy, elle l'agrippa et tira de toute ses forces jusqu'à la faire basculer en arrière ; le combat se jouerait à celles qui auraient les Louboutin les plus résistantes.