J’arrivais alors à la boutique avec ma pochette sous le bras. Je n’étais pas très à l’aise à l’idée d’entrer et de déranger Jinkyung directement à son travail alors qu’on aurait pu en parler tranquillement dans un café sur son temps libre. Puis ça me gênait un peu de parler ouvertement de mes dessins avec lui s’il y avait des clients dans la boutique. J’avais pas spécialement envie qu’on sache que c’était certains de mes dessins sur certaines planches, surtout si ces dernières ne se vendaient pas. Même si de ce côté-là, je faisais confiance à Jinkyung pour les vendre coûte que coûte. De toute façon, avec sa belle gueule et la passion qui émanait de lui quand il vous parlait, il arriverait à vendre un skate à n’importe qui. À quelques mètres du SB Ride, je vérifiai que j’avais dans ma pochette tous les dessins que je voulais lui montrer, histoire de ne pas être venue pour rien. Puis je me décidai enfin à entrer dans la boutique. Voyant mon ami occupé avec un client, Je le saluais d’un simple geste de la main et j’en profitais pour faire le tour du magasin, en attendant qu’il finisse. Je n’étais jamais monté sur un skate de ma vie avant d’arriver en Corée mais j’avais tout de suite apprécié ce sport. Sentir les reliefs sous mes pieds malgré la planche. Tout contrôler par le simple mouvement de son corps. Le genre qui me correspondait bien : simple, pas trop élaboré. Juste un skate et c’était suffisant. En parlant de skate, j’observais d’un œil attentif les différents modèles proposés en me disant qu’ils avaient un choix assez incroyable. Il y en avait vraiment pour tous les goûts. Je remarquai un de mes dessins sur une des planches présentées. C’était la première fois que je voyais le rendu. Et honnêtement, c’était plutôt pas mal. C’était le genre de design qui attirait automatiquement mes yeux normalement. Et le genre de choses que je continuais à dessiner, que ce soit pour Jinkyung ou non, avec quelques variances. J’en avais des carnets pleins au dortoir. La pochette que j’avais dans la main ne représentait d’une partie infime de mon travail. J’avais décidé de ramener des choses assez variées aujourd’hui, alternant ma culture avec des choses plus modernes, alternant traits au stylo et à la peinture. Je continuais de faire le tour du magasin en pensant déjà aux prochains dessins que je pourrais faire, quand je remarquais que Jinkyung était maintenant libre. Je me dirigeai alors vers lui. « Comme promis, me voilà ! » lui dis-je joyeusement en secouant dans ma main ma pochette de dessins. J’espérai sincèrement qu’ils allaient lui plaire.

Être gérant d'une boutique n'était pas de tout repos. Avec mon meilleur ami, nous devions être sur tous les coups et c'était parfois compliqué pour des novices. Heureusement, nous commencions à avoir une clientèle fidèle depuis quelques mois. Ainsi, je tâchai à être un amour avec ces personnes-là pour pouvoir les garder. Nos planches se vendaient plutôt bien et le nom du SB Ride se diffusait de plus en plus. Toutefois, il m'arrivait d'être tout seul à certaines heures de la journée pour des raisons diverses: la vie étudiante, le travail ou tout simplement l'heure de manger. Dans ces moments-là, je me sentais bien inutile mais rapidement, je me rappelais que j'avais du travail en atelier. D'ailleurs, c'était là où je me trouvais quand j'entendis le bruit déclenché par l'ouverture d'une porte. Me nettoyant les mains à une vitesse lumière, je me dirigeai vers le client pour le renseigner. Ce dernier voulait acheter des produits pour prendre soin de sa planche. Il faut dire que ce jeune homme utilisait sa planche très souvent. Combien de fois je l'avais vu ici ou encore au skate park à côté de la boutique ? Je ne comptais plus, de peur de me tromper dans les nombres dont la valeur était bien trop supérieure. J'échangeai avec lui pendant plusieurs minutes. Mais, je fus encore interrompu par l'arrivée d'une nouvelle personne. Une femme plus que charmante. Reconnaissant directement mon amie, je lui adressai un sourire poli avant d'encaisser les produits. Je lui donnai les derniers conseils d'utilisation pour ceux-ci. Quelques secondes plus tard, je saluai et remerciai le client qui prit le chemin de la sortie. Cette scène n'avait pas échappé aux yeux de la belle sango. En effet, Aliyyah se dirigea vers moi. « Tu as fait vite. Je suis content de te voir. » confiai-je tout en lui souriant. Puis, mon regard se posa sur sa pochette que je m'empressai d'ouvrir. « Tu as pu voir la planche avec ton design ? » demandai-je avant de me concentrer sur ses dessins. Son travail était toujours aussi méticuleux. Un air réfléchi sur le visage, certains de ses croquis seraient vraiment intéressant à travailler : cette fleur avec comme des espèces de bulle autour pourrait être un élément secondaire, d'autres à la forme bien plus originale pourraient créer une ambiance particulière sur la planche, quant à ces lions, je pourrais les placer au centre d'une planche sans une once de doute. Et ne parlons pas des couleurs choisies pour ce ciel et cette forêt. « Ils sont splendides mais tu sais que je ne peux pas en exploiter certains ? » Je ne remettais pas en cause leur beauté mais ils ne m'inspiraient pas réellement. « Le premier dessin avec le lion, tu l'imaginais avec quelles couleurs ? Au début, je pensais à des tons rappelant le feu... Mais à ta façon de mettre ses coups de crayon, j'ai bien envie de faire l'inverse comme si l'animal était prêt à surgir d'un buisson lors d'une nuit froide. Cela vient peut-être de son masque.. »

« Hm. Je voulais le faire avant d’oublier. ». Fallait dire que je me promenais avec cette pochette depuis plusieurs jours déjà. Et malgré les occasions, je n’avais pas pu lui remettre. Entre les matinées où j’avais juste le temps de le croiser alors que je courrais pour arriver à l’heure en cours ou les entrainants de foot où il filait directement à la douche après, il n’y avait pas eu de situations idéales pour lui donner et en parler. Alors je profitais d’un moment de répit dans ma semaine pour me rendre directement à sa boutique. Là, j’étais sûre de le trouver et comme j’avais évité l’heure de pointe, il allait avoir au moins de deuxième de minutes à m’accorder. Je le laissai prendre ma pochette pour regarder mes dessins alors je m’empressais de lui faire part de mon joie en voyant la planche en question. « Oui ! Elle est vraiment superbe ! Je ne pensais vraiment pas que ça rendrai aussi bien ! ». Je le laissai ensuite analyser mes dessins dans le calme. On voyait qu’il prenait ça très au sérieux vu l’air concentré qu’il avait lors qu’il regardait les dessins. J’étais pratiquement sûre qu’il était déjà en train de voir lesquels on pourrait associer sur une planche ou au contraire, ceux qui seraient inutilisables. Je n’avais pas encore la main pour arriver à savoir si ce que je dessinais aller couler ou non pour le design d’un skate alors pour le moment, je me contentais de dessiner ce qui me passait pas la tête et je laissais Jinkyung choisir ceux qu’il pourrait utiliser. « Splendides, je sais pas… mais merci. Et t’en as plusieurs pour choisir justement ! ». J’enchainais rapidement en riant, assez embarrassée Je n’aimais pas tellement qu’on ne complimente sur mon travail, que ce soit en dessin, sur mes performances en sport ou même au travail. Ça me gênait plus qu’autre chose et je n’avais jamais vraiment su remercier les gens pour leurs compliments. Un ‘merci’ sortant de ma bouche, c’était toujours bizarre combien même je pouvais remercier infiniment intérieurement. J’essayai à mon tour de me concentrer sur mes dessins. Je l’écoutais commencer à débattre sur les couleurs du lion que j’avais dessiné il y a quelques temps. J’allais intervenir quand Jinkyung me dit qu’il pensait à mes couleurs chaudes. Dans ma tête, ce dessin avait des couleurs froides, bleu, violet, voire sombres, noir, bleu nuit. Mais il ne m’en laissa pas le temps enchainant sur ma propre idée. Je le regardai plutôt surpris qu’il ait pensé à la même chose que moi. « À vrai dire… C’est étrange pour un animal de jour et qui aime le soleil comme le lion, mais je le perçois aussi dans des couleurs sombres. Je n’arrive pas à l’imaginer autrement. ». Peut-être parce qu’il renvoie une image triste, comme un animal enfermé, condamné, derrière ce masque. « Tu as d’autres dessins qui t’inspirent ? Si tu veux je dois avoir plusieurs autres animaux pas forcément dans le style de ce lion. Mais tu peux regarder si tu veux ? J’en dessine beaucoup en ce moment. ». Je commençais à fouiller dans mon sac pour trouver la bonne pochette. Une fois la pochette trouvée, je lui tendais. « C’est pas du grand art mais tu peux peut-être trouver un truc qui te plait. »

Oublier ? Pouvait-elle être aussi tête en l’air ? Décidément, je commençais à croire qu’elle avait pas mal de points en commun avec un de mes plus proches amis, Jae Hwan. En tout cas, j’étais heureux de savoir que la belle avait tout fait pour apporter ses croquis le plus rapidement possible. En plus,  il n’y avait pas pour l’instant un chat dans la boutique. Ainsi, on allait pouvoir parler de tout et n’importe quoi. J’aimais particulièrement parler d’art avec la jeune femme même si je n’étais pas aussi expert qu’elle. Mes capacités ? Je les avais acquises à force d’être dans ce milieu, d’entendre des concepts, jouer avec les couleurs depuis ma tendre enfance. J’avais vraiment appris dans le tas, sûrement trop occupé par mes activités sportives. En tout cas, j’appréciais l’idée que je puisse avoir ma façon de penser quant aux designs sur nos planches, et pour le coup, Aliyyah m’inspirait énormément. Je ne pouvais pas la considérer comme une muse loin de là mais franchement, elle m’aidait beaucoup : ses conseils, ses coups de crayon. La vice-présidente des sangos était très maligne et intelligente au point de me faire regretter de ne pas lui avoir parlé plus tôt. « Ah bon ? Et je dois le prendre comment ? Tu crois que je ne suis pas assez doué pour valoriser une bonne partie de ton travail ? » Elle avait l’inspiration et j’exploitais un maximum – et à ma façon - toutes les ressources qu’elle m’offrait si gentiment. Après, cette activité n’était pas la plus importante dans la boutique. Il y avait tellement de choses à faire. Analysant ces papiers loin d’être immaculés pendant plusieurs secondes, je finis par donner mon point de vue, ce qui avait le don de la gêner la demoiselle. D’ailleurs, je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire lorsque je la vis aussi embarrassée.  C’était à la fois mignon et marrant. Mais soit. La conversation devint un peu plus féroce aux vues d’un lion dont la représentation était relativement originale. Et très vite, j’exprimai mon avis de sauter sur l’occasion pour mettre un terme à l’alliance lion/couleurs chaudes. Apparemment, je n’étais pas non plus le seul à penser de cette manière vu la confession d’Aliyyah. « Oui, le masque lui donne une allure de prisonnier ou d’esclave. Comme si ça retenait en fait sa joie de vivre, ses plus belles qualités. » Tout ce qui pourrait justement être exprimés par des couleurs vives et chaudes. Ces dessins pourraient vraiment être sympas à réaliser sur des planches. Je n’étais pas non plus au bout de mes surprises et pour cette raison, j’affichai un grand sourire ! Oui, Aliyyah avait d’autres dessins de ce genre à me montrer ! « Pas du grand art… Tu dis tout le temps ça et moi je m’emballe à chaque fois. J’aime bien tes dessins avec les animaux, j’ai hâte de voir. En plus, je pense ne pas être le seul. » Je saisis la seconde pochette de dessins et scrutai les croquis supplémentaires en ayant une mine réfléchie sur le visage. Mais, celle-ci disparut à la vision d’un nouveau lion très imposant : « Simba a vraiment l’air d’un petit chaton à côté de celui-ci. » Je lâchai un rire. « Et celui-ci. » commençai-je en pointant le dessin de l’hibou. « Aish, il tire vraiment une tête de déprimé. J’aime bien les couleurs utilisées sur son corps mais j’ai l’impression qu’il manque un détail. Tu sais, je me dis que ça pourrait être à la fois marrant et bizarre de diviser son corps en deux.. Enfin, les traits sont ultra précis sur l'ensemble du corps. Ça pourrait être intéressant de faire une tête plus grotesque comme un contraste ? On pourrait lui donner une allure d’un hibou fou ou un hibou hypnotiseur. Mais, ça changerait un peu trop par rapport à ton dessin. » Et blabla, je parlais, je parlais. « Je peux garder ta pochette hm ? Je devrais réfléchir un peu plus à mon avis. » Le travail le plus compliqué était de trouver un équilibre parfait entre le dessin de base et un potentiel design sur une planche. Les skateurs aimaient le fun la plupart du temps, le soleil et tout. Mais, on ne pouvait pas faire que ça… Alors, je devais réfléchir. « Oh, tu veux peut-être boire un café ? J’aurais dû te le proposer plus tôt pardon. » Et quoi de mieux qu’une boisson pour nous filer un coup de main, hum ? « Au fait, Aliyyah. Tu fais ses dessins quand ? Je veux dire: t’as sûrement un tas de choses à faire, non ? »