Kanon, c'est un peu la fille que tu vois déambuler dans les couloirs perchés sur ses talons vertigineux. C'est la fille issue d'un film américain, qui ne jure que par ses magazines, son frappucino, et ses lunettes Prada. C'est celle qui est toujours à la limite du retard, parce qu'elle prend toujours son temps, mais qu'elle aime la ponctualité. C'est la fille qui ne boit que du Curaçao quand elle sort. C'est celle qui est toujours au courant des dernières tendances mode. En même temps, vu ses parents, pas étonnant. C'est la fille qui prend les gens de haut, même si elle est toujours petite. C'est la fille qui a un accent hyper prononcé quand elle parle Coréen, mais qui s'en fout. C'est celle dont le maquillage est toujours impeccable. Celle qui ne voyage que dans sa voiture avec chauffeur. Celle qui adore raconter des gossips sur tout le monde, et qui adore détruire les réputations. C'est la fille qu'on n'a jamais vu avec un homme. On ne l'a jamais vu avec une femme non plus d'ailleurs. Mais c'est surtout la fille qui ne parle jamais de son passé, et dont au fond on se sait pas grand chose.

On dit qu'une fée naît de chaque premier éclat de rire d'un enfant, mais que fait-elle ensuite ? Disparaît-elle dans un monde imaginaire et peuplé de ses semblables ? Ou bien reste-t-elle à veiller sur l'enfant à qui elle doit la vie ? La deuxième hypothèse est celle que je préfère. Elle signifierait que nous ne sommes jamais seul, que nous avons toujours quelqu'un pour veiller sur nous. C'est une sensation agréable quand on est enfant, et tout autant en grandissant. Mais aujourd'hui, elle est où ma fée à moi ? Pourquoi ai-je l'impression de couler un peu plus à chaque fois ? J'ai beau regarder autour de moi, je ne trouve aucune prise à laquelle m'accrocher. Je suis née à Kyoto voici vingt ans. Mon père, Nakajima Hiroki est le fils d'un ancien ministre, et issu d'une famille noble. Bien que n'ayant plus de privilèges, il en avait hérité une grande fortune. Il avait alors pris pour femme une jeune styliste du nom de Murakami Kyoko, qui commençait à se faire une place dans le milieu. Quelques années plus tard, les voilà respectivement PDG de la branche japonaise du magazine Elle, et directrice de création chez Kenzo. Au milieu d'eux deux, il y avait moi. Nakajima Kanon. Petite fille modèle, on n'eu jamais rien à me reprocher. Tout aurait dû se passer pour un mieux, sauf que ma fée, elle a décidé de se barrer.

Elle ne s'est pas barrée tout de suite, elle a d'abord décidé de m'offrir la chose la plus magique qui existe : une passion. Celle qui me dévorait tournait entièrement autour de la danse classique. J'étais douée, très douée même, et mon rêve était de fouler toutes les planches du monde, chaussée de pointes. Seulement, ce n'était pas forcément au gout de mes parents, qui voyaient là une menace pour l'avenir qu'ils m'avaient construit. Je crois que déjà à l'époque ils se disputaient mon futur. Ils n'avaient pas les mêmes plans pour moi, et moi j'échappais à tout ce qu'ils pouvaient planifier. Mes professeurs m'encourageaient à suivre ma voix, mais je n'avais pas besoin de leurs avis pour me faire à cette idée. Un jour je serais étoile, peu importe comment. Que cela plaise ou non, ce n'était pas mes affaires. La danse me rendait heureuse, je souriais constamment, je riais aux éclats avec mes partenaires, j'étais heureuse et je croquais la vie à pleine dents. Je remerciais chaque jour ma bonne étoile sans savoir ce qu'elle me préparait.

C'était la veille d'un gala de danse, durant laquelle seraient présent des hauts placés du théâtre national, de Tokyo. Je plaçais bien sûr beaucoup d'espoir dans cette soirée, elle pourrait s'avérer décisive pour mon futur. Il ne restait qu'une seule répétition, qui avait lieu - comme toujours - dans la joie et la bonne humeur, malgré la tension qui commençait à monter. Je ne me souviens pas de tout exactement, je suppose que mon inconscient essaie de m'épargner un maximum. Mais les cicatrices sur mes jambes se chargent de me rappeler l'essentiel : je suis passée au travers les planches, aussi purement et simplement. J'ai passé plusieurs mois à l'hôpital, sans parler de toute la rééducation qui a suivi. Je suppose que c'est là que ma bonne fée a décidé de me lâcher. Je n'ai plus jamais dansé à nouveau, je ne danserai probablement plus jamais. Ce fut le début d'une chute lente et douloureuse.

Aujourd'hui, on peut dire que je suis le pantin de mes parents. Je fais les études qu'ils attendent de moi, je m'habille comme la couverture des magazine de mon père, je fais honneur aux créations de ma mère. Oui, je suis une héritière tout ce qu'il y a de plus cliché, qui ne jure que par les créateurs européens, qui décroche des points extraordinaire à chaque examen, et qui a cet air de dédaigner la plèbe. Pourtant, je ne pouvais plus rester au Japon. J'étouffais. J'avais besoin de m'évader, peut-être de me retrouver ? Non, il était trop tard pour cela. J'avais juste besoin d'un nouveau départ, un an après l'accident qui m'a conduit à abandonner la danse. J'ai alors entendu parler de Yonsei, et je n'ai pas réfléchis plus loin. J'ai fait mes valises, et je me suis envolée pour le pays du matin calme. Loin de tout ce qui pouvait me rappeler mes rêves brisés.