14h15.
Installé à son bureau, tout au fond de l’aile des langues étrangères de Yonsei, le professeur Kim annotait quelques mots dans la marge d’un très bon travail. C’était celui d’une de ses meilleures étudiantes et il va de soit que ce genre d’essai était toujours agréable à corriger. Très peu de fautes, une grande utilisation des kanji pour laisser peu de place aux syllabaires, une écriture rigoureuse et soignée, un sujet intéressant pour lequel il y avait visiblement eu beaucoup de recherches faites... Décidément, si tous ses étudiants étaient ainsi, Jae Wook serait comblé ! Malheureusement, c’était loin d’être le cas et à cette pensée, il a un petit regard découragé pour les trois maigres feuilles de choux qu’il devait corriger depuis quelques heures déjà mais qu’il avait laissé de côté pour les faire plus tard. Rien que leur aspect chiffonnées et par endroit tachées d’un peu de graisse laissait à désirer. Il savait très bien qui était cet élève et il se demandait comment il avait fait pour arriver jusqu’au cours de japonais avancé... Pas fameux, non. Et il avait mal au crâne rien qu’à regarder la feuille sans même essayer de lire encore.

Il soupire tout en replaçant correctement le long devoir qu’il venait de lire et corriger, le glissant à nouveau dans la chemise dans laquelle il lui avait été donné. Il est en train de la poser sur la pile des essais corrigés lorsque soudainement, un petit poing discret s’abat doucement contre sa porte en trois coups réguliers. Un peu surpris, n’attendant personne à cette heure, Jae Wook relève la tête vers la porte. Peut-être un de ses élèves qui psychotait un peu à propos de cet essai à rendre. Ils auraient les notes dans une semaine, parce que c’était très long à corriger, mais plusieurs essayaient déjà de connaître leur note. Ce que Jae Wook ne leur donnait pas, bien sûr ! Ça le fatigue d’avance et si ce n’était pas des règles scolaires qui lui interdisent de laisser la porte de son bureau fermée à un de ses élèves, peut-être qu’il n’aurait pas eu beaucoup de scrupules à faire comme s’il n’était pas là ! Mais il était consciencieux dans son genre et de fait, il élève la voix pour se faire entendre de l’autre côté du battant en bois.

« Entrez. », invite en japonais la voix grave et rauque. Si rauque qu’on croyait sûrement qu’il fumait comme une cheminée et pourtant, ce n’était pas le cas ! Sauf que ça ne bouge pas... et fronçant les sourcils, le professeur Kim reprend cette fois en coréen. « Entrez ! »

Oui, peut-être avec une petite note d’impatience dans la voix. Il ne comprenait pas pourquoi la personne n’avait pas poussé la porte la première fois. Celle-ci s’ouvre enfin... et il comprend un peu mieux en voyant apparaître devant lui une étudiante qu’il ne connaissait pas. S’il savait qu’elle étudiait ici, c’était parce qu’il l’avait déjà vu quelques fois sans vraiment s’y arrêter. Une belle jeune femme au look qui la distinguait, mais avec goût. Normal qu’il l’ait déjà remarqué. Jae Wook ne louchait généralement pas sur les élèves, mais il restait un homme, quoi. Il est surpris, certes, mais n’oubliant pas ses bonnes manières, il a un signe de main vers un des deux fauteuils placé là pour les visiteurs.

« Ferme la porte derrière toi et prend un siège. », propose l’homme. Certes, il ne sourit pas, mais n’est pas non plus complètement antipathique. Il était seulement d’un naturel très sévère et peu souriant, ses traits durs renforçant cette image. « Je suis surpris d’avoir la visite d’une élève qui ne suit pas mon cursus. Qu’est-ce que tu étudies ? »

En tout cas, pas le japonais ! Ou du moins pas en cursus régulier. Peut-être en optionnel ? Il optait pour la négative à ce sujet aussi. Mais qui sait. Sans se presser, mais sans prendre son temps non plus, Jae Wook range tous les devoirs qu’il était en train de corriger, histoire de préserver la confidentialité à ce niveau. Il se lève donc, histoire d’aller porter les travaux dans un classeur qu’il referme à clé, puis replace un peu son complet sur mesure avant de venir s’assoir à nouveau. Certains professeurs poussaient le vice à venir enseigner en jeans et t-shirt, mais ce n’était absolument pas son style. Le regard de Jae Wook se pose à nouveau sur la jeune femme.

« En quoi puis-je t’être utile ? », demande finalement l’enseignant, histoire de briser la glace. « Envie de changer de cursus ? Si c’est le cas, je te redirigerai vers l’administration. »

Lui ne s’occupait pas de ça !

C'était bien sa veine ce jour là. Pour cause, elle avait eu un devoir sur les systèmes judiciaires, et leur application face aux cartels et autres joyeusetés. Bon... Elle se destinait a du privé à la base hein, mais ce module était resté... obligatoire. Et donc elle avait hérité de ce sujet. Du coup, elle avait longuement hésité entre le Mexique, la Russie et le Japon. Mais la distance, la langue et les problèmes d'information récurrents des deux premiers l'avaient découragée, et au final, elle avait opté pour le Japon. En prime, une amie qui suivait les cours de Japonais à l'université l'avait redirigée vers un jeune professeur de l'université, dont la distance qu'il tenait a poser entre lui et ses élèves n'avait d'égal que son apparence très agréable à l’œil. Et bon... Toujours selon les dires de son amie, il saurait surement beaucoup mieux lui donner des informations et l'orienter qu'un bibliothécaire municipal.

Du coup, elle avait foncé. Et elle avait écrit une synthèse du système judiciaire mais... pour les mafias, c'était impossible a résumer dans son ensemble. Et elle avait décidé d'appliquer le conseil donné par son amie. Puis, quelque part ça l'intriguait qu'on dise ça d'un prof. Il devait être jeune non ? Elle se demandait donc si il était si calé que ça, vu les rumeurs qui circulaient à son sujet. Non pas qu'elle était au courant de ses activités ou autres, mais que les élèves féminins en disent tous la même chose... ca posait des questions n'est ce pas ? Bref, quelque part, le défi l'amusait. Elle allait faire son devoir, et voir si les rumeurs étaient vraies au passages. Enfin c'était le plan initial ça.

Après avoir posé des questions sur une feuille, et pris ses maigres notes sur les mafias japonaises, elle se décida a aller se préparer. Pantalon noir, chaussures a talons, avec un haut beige un peu décolleté . Elle songea un instant a mettre une chemise, mais elle se ravisa, après son devoir, elle allait sortir, et elle aurait la flemme de se changer, alors... Elle prit son sac a main et son bloc note, et se décida a frapper à la porte du professeur. Après une marche dans la fac, elle se retrouva face à sa porte, frappa, et entendit un mot qu'elle ne comprit pas. Probablement du japonais, ca lui semblait logique. Puis il répéta. Avant de dire d'entrer en coréen. Et c'est ce qu'elle fit. Elle avait entendu une intonation bizarre dans le entrez, comme s'il était assez curieux de voir qui c'était. Mais qu'importe, le devoir ava.... Oh. Oh. Oh. Après un regard sur celui qui allait répondre a ses questions, elle oublia momentanément son devoir. Elle se figea un bref instant détaillant son visage. Elle se mit une claque mentale avant de voir qu'il désignait deux fauteuils, avant de lui dire de fermer la porte et de prendre un siège. Pas un sourire, rien. C'était neutre. C'était ça la fameuse distance dont tout le monde parlait ? Elle eut un sourire amusée lorsqu'elle l'entendit dire qu'il était plutôt surpris de voir quelqu'un qui ne suivait pas son cursus. Et de lui demander ce qu'elle étudiait. Elle eut un rire gêné. Il était observateur,  assez pour savoir qui suivait son cours.

« A vrai dire, j'étudie le droit en majeure, et langues étrangères en mineures...Vous avez tout à fait raison, je n'étudie pas le japonais. »

Et pendant qu'elle pârlait, elle le suivait du regard ranger ses copies, réajuster son complet, et s'asseoir . Elle eut un sourire en coin, le personnage en lui même avait l'air drôle. Mais qu'est ce qu'un mec comme ça pouvait trouver de drôle a enseigner a des gens ? Avec un physique comme ça, si elle avait été un mec elle aurait du mannequinat. Ou quelque chose du genre, histoire d'épargner un maximum... Et le voilà qui se rasseoit, en la fixant. C'était étrange. Surtout quand il reprit en lui demandant en quoi il pouvait être utile et si c'était pour un changement de cursus, elle devrait aller voir l'administration. Elle eut un sourire amusé, avant de secouer lentement la tête.

« C'est bien vous que je voulais voir. J'ai besoin d'informations sur la société Japonaise pour un devoir.... Et je pense que vous êtes le plus à même de me donner des aides... J'ai déjà fait une partie du travail concernant le système pénal, mais j'ai besoin d'informations sur les clans mafieux, leurs activités connues... Et le comportement de la police par rapport a eux. Internet n'est pas le plus pratique, et la bibliothèque ne dispose pas des informations dont j'ai besoin... ou du moins rien de bien récent... »

Et la voilà qui sort son bloc note, avant de reprendre

« Donc je venais pour savoir si vous pouviez répondre a quelques questions... Ou si vous pouviez me conseiller....quelques sites internets ou livres à jour? »

Ne pas trop le fixer dans les yeux allait devenir sa devise, elle avait eu le malheur de lever le regard a ce moment là, et elle avait un peu bugué. Ce qui aurait pu passer pour de l'hésitation, mais même. D'abord le devoir, le reste après. Si reste il y avait.

Ah eh bien voilà. Jae Wook avait de ces mémoires qui font pousser des soupirs aux gens. Il pouvait se rappeler avec exactitude de bien des choses et le visage de ses élèves entrait non seulement dans ce genre de choses, mais aussi celui des autres élèves de japonais. D’une façon ou d’une autre, on ne pouvait pas vraiment le prendre au piège dans ce domaine. Il a un sourire pour la jeune femme malgré tout. Un sourire peut-être bref et peu chaleureux, mais pas complètement froid non plus, histoire de l’encourager. Si elle était là, c’est qu’elle avait besoin de quelque chose et même si elle n’était pas une de ses élèves, ni même une élève de son cursus, il heureux qu’elle vienne le voir. Il s’intéresse d’ailleurs un peu à elle alors qu’elle lui annonce son propre cursus, pas par effort mais parce qu’il est réellement curieux.

« Quelles langues étudiez-vous ? », demande-t-il tout en observant la jeune femme avec curiosité. « Probablement une seule, puisque c’est une option ? Vous vous spécialisez en une branche précise de droit ou avez projet de le faire ? »

Le droit pouvait revêtir de nombreuses casquettes, certaines plus intéressantes que d’autres ! Puis, la jeune femme lui explique ce qu’elle venait chercher dans ce bureau aujourd’hui.. et Jae Wook a un moment de silence qui, pour certains, aurait pu être éloquent en soit. C’était quand même ironique qu’elle vienne auprès de lui chercher des informations sur les activités récentes de la yakuza. Il ne se cachait pas particulièrement mais était d’un naturel discret dans tout ce qu’il entreprenait et même ses élèves ne savaient pas grand chose pour ne pas dire rien de sa vie privée. Et il considérait l’aide qu’il apportait à son frère comme une des nombreuses facettes de sa vie privée malgré le caractère professionnel que ça prenait.

« Vous avez conscience que j’enseigne le cours d’histoire du Japon pendant la grande période de la guerre ? Miss...? », demande-t-il, incluant dans sa phrase une invitation à ce qu’elle se présente, ce qu’elle n’avait pas fait. « Pour l’histoire moderne, ce sera plutôt Moritaka sensei. »

Toutefois, il ne bouge pas de sa place alors qu’il aurait dût se lever pour l’escorter jusqu’à la sortie. Il reste plutôt assis là, observant cette menue jeune femme qui ne devait pourtant pas laisser sa place. Elle lui semblait polie et posée mais lorsqu’on étudiait en droit et surtout lorsqu’on avait idée de s’attaquer à un sujet comme la mafia japonaise, on n’était généralement pas doux de caractère. Peut-être son regard se fait-il un peu trop insistant. Jae Wook a l’impression pendant un moment qu’il met la jeune femme mal à l’aise. C’est peut-être juste une impression aussi, de fait. Il prend une petite inspiration avant de finalement reprendre la parole et encore une fois, pas pour clore la discussion et l’envoyer auprès de cette Mme. Moritaka.

« Bien. Qu’est-ce qui vous intéresse vraiment ? Leurs activités au Japon ? Dans le reste de l’Asie ? Ou encore aux États-Unis ? Les yakuza sont presque plus présents à Hawaï qu’en Corée du Sud. », explique-t-il tout en s’adossant plus confortablement à son fauteuil. Il croise ses jambes et pose soigneusement ses mains contre ses cuisses sans quitter l’élève du regard. Et en même temps, c’est à elle qu’il s’adressait ! Elle n’était d’ailleurs pas désagréable à regarder, loin de là. « La Yakuza est une grande cellule mafieuse et le restera notamment parce qu’elle est socialement acceptable au Japon. Contrairement à nos jopok, qui sont ici souvent mal perçus et critiqués, là-bas la yakuza a pignon sur rue. Ses membres font partis de défilés culturels très importants et ils sont considérés comme nobles de par leurs origines de samouraïs, même si en fait ce sont plutôt d’anciens ronins devenus criminels. Vous devez comprendre que le sujet que vous comptez aborder est extrêmement complexe et que synthétiser pour un simple devoir sera complexe. Il serait préférable de vous attarder à un seul aspect de la yakuza, de fait. Une époque ou encore un pays... »

C’était un peu comme s’il faisait un cours théorique particulier, il en avait bien conscience et de fait, il fini par se taire pour ne pas assommer la jeune femme de parole. Mais si le sujet l’intéressait, elle se plairait à cet entretient, non ? Quoi qu’il en soit, d’un geste de la main il l’invite à lui poser toutes les questions qu’elle voulait. Il y répondrait du mieux qu’il le pouvait. Et même si elle ne le savait probablement, il le pouvait très bien...