La veille, j'ai pris soin de déposer en skred une petite lettre de convocation devant le palier de la porte de la chambre de Shion. Convocation au tribunal, bien entendu. On dit pas mal de choses sur elle, et moi le premier je veux savoir la vérité.

Afin d'avoir la salle pour nous deux le temps d'une soirée, non pas pour développer mes fantasmes malsain mais bel et bien pour mener un interrogatoire, je m'étais permis quelques petits "extras" auprès de mes compères jaunes étudiants en droit... Comme fournir des services supplémentaires en échange d'une réservation. On ne sait jamais qui peut tomber sur nous, les langues peuvent se délier facilement et sans réelle raison. Comme qui dirait, c'est souvent la cage aux folles ce campus quand il est question de ragots, et le dernier que je souhaite entendre à mon sujet c'est celui comme quoi je me farci ma soeur. Dégueulasse. Ma propre soeur, non mais vous n'avez pas honte d'imaginer des trucs comme ça, ça n'arrive que dans les séries américaines.

Quoiqu'il en soit, Shion n'allait pas en rester là. Ma lettre anonyme était formellement compréhensible dans un mélange coréano-japonais. "Rendé-vou au tribunale du canpus pour 1 entre vu skred c importen" Ecrire cette lettre m'avait pris une bonne heure histoire de camoufler mon écriture et garder mon anonymat - d'où le principe de lettre anonyme. Ahlala, j'étais quand même génial de vouloir faire de nos vie des films d'actions de la sorte... Non pas pour la partie baise, arrêtez de vous imaginer que j'vais sauter sur ma soeur, non mais pour la partie tribunal.

Faire entrer Shion, l'inciter à s'assoir sur le banc des accusés et la marteler de questions, qu'elle m'avoue enfin avoir pêché et surtout avec qui. Qui est le saligaud.

À défaut d'avoir la tenue d'avocat, cette grande robe noire ridicule, je porte mon uniforme scolaire -"LOL"- soit ma blouse blanche. Étant arrivé en avance, j'en profite pour régler les lampes et donner une atmosphère assez particulière à la salle. Peut-être que ma chère et tendre soeur va s'imaginer que je suis un admirateur. Faux. Totalement faux. Enfin je l'admire, mais pas avec ces yeux là. L'odeur de mon tabac empreignant légèrement les lieux - le tabac froid c'est une abomination, que voulez vous-, j'en profite pour asperger les lieux de mon parfum, histoire de couvrir l'odeur par une autre odeur. Pas très malin soit, mais bon. J'ai pas trop le temps de réfléchir, parce que je suis arrivé en avance, mais pas trop vous voyez.

J'attend désormais, assis sur le siège du juge, le dossier de la chaise tourné vers la porte pour qu'elle ne puisse voir ma tronche de cake aussitôt.

Je pivoterais alors pour la juger de mon regard sombre et terrifiant... Alors Shion ne pourra pas me mentir. Muhahahahha

Il était encore tôt quand le colocataire de Shion lui avait apporté une petite enveloppe blanche avec son nom dessus. Elle n’était pas sortir de la journée, ayant profité de cours annulés pour s’occuper de sa petite frimousse. Il y avait juste son nom sur l’enveloppe. Étrange. Si c’était une de ses amies, elle lui aurait simplement envoyé un message pour lui parler ou serait venue la chercher. Mais là, c’était une lettre, avec une écriture absolument répugnante. Pendant de longues minutes, elle était restée à fixer son colocataire pour essayer de décrypter son visage. La lettre serait-elle une de ses mauvaises blagues ? Non, il n’était pas vraiment de ce genre.

Comme la lettre n’indiquait ni date ni heure, Shion en avait conclu qu’il fallait qu’elle rejoigne la personne dans la journée. Dommage pour lui ou elle, il avait oublié de préciser l’heure. Alors, elle prend tout son temps pour se maquiller correctement, sans être trop vulgaire ou avoir l’air d’un zombie, et s’habiller d’un beau débardeur noir juste assez petit pour découvrir son nombril et un short en jean. Puisque cette personne n’avait pas daigné dévoiler son identité, elle sentait qu’elle devait se tenir prête à tout. Même à courir. On ne sait jamais. D’où les baskets à ses pieds.

Elle prend la lettre, son téléphone dans sa poche et les clés de la chambre au cas où Jun Wei voudrait s’absenter. En quelques minutes, elle a rejoint le département des étudiants de droit où elle n’a pas l’habitude d’aller. Il lui faut un peu de temps pour trouver ledit tribunal. Quelle idée de créer une telle salle dans une université. Tout en marchant à pas rapides, elle réfléchit encore à l’identité cachée de son… de la personne demandant à la voir. Un admirateur ? Un frisson la parcourt à cette idée. Certainement pas avec un orthographe pareil. Un vieux pervers ? Elle hésite un peu. Non, avec un peu de chance… Et puis le déclic. La salle du tribunal, c’est pour l’interroger ? Et qui d’autre aurait des questions à lui demander si ce n’est son jumeau diabolique ? Elle lâche un long soupire de désespoir et porte une main à son visage un peu brusquement. Comme s’il ne pouvait pas juste demander à la voir. Il fallait qu’il invente tout un subterfuge pour la bloquer quelque part et l’interroger. Note à soi-même : lui rappeler que même avec dix ans d’études, il n’arriverait pas à devenir policier.

Finalement elle pousse la porte du tribunal, qui est bien trop lourde à son goût, et entre. Lumières tamisées, odeur infâme de tabac. Pas de doute, non seulement c’est bien lui mais en plus, il a imaginé une vraie mise en scène. Sans attendre, elle s’avance.

« M’envoyer un message, c’était vraiment beaucoup trop demandé ? »

Elle se plante alors au milieu de la salle, presque à la place de la bar des témoins, et se tient bien droite, les bras croisées sur sa poitrine. Elle parcourt la salle des yeux, tentant d’apercevoir sa silhouette malgré les ténèbres ambiantes.

Etais-je en avance ou en retard ? En fait, je ne sais pas, juste que l'attente était interminable, tellement interminable que j'en somnolais dans ce fauteuil bien rembourré, dos aux lumières. Asperger les lieux de mon odeur avait quelque chose de "comme à la maison", surtout que les tribunaux et moi avons toujours été de bons amis durant ma jeunesse. Un détail que j'avais oublié. Les souvenirs reviennent les uns après les autres, ce n'est qu'une question de temps avant que le silence ne m'emporte dans les bras de Morphée.


...

« M’envoyer un message, c’était vraiment beaucoup trop demandé ? »

C'est comme recevoir un coup Mes lourdes paupières s'ouvrent difficilement. Il me faut quelques secondes pour réaliser l'endroit ou je suis. Du revers de la main, j'essuie la bave au coin de ma bouche. Bordel, il est quelle heure ? Je manque de me casser la figure en voulant me redresser du fauteuil étant donné que j'avais légèrement glissé dans ma phase de sommeil. Sainte mère de dieu, quel pitoyable juge je fais.  Prenant soin de ne pas me retourner tout de suite, je racle ma gorge pour ne pas trahir le fait que je viens d'émerger d'une phase de sommeil léger. Shion est là et j'imagine qu'elle ne sait pas vraiment à qui elle à affaire. Un léger sourire s'affiche sur mes lèvres.

« Katō Shion — I'm glad you came. »

Je force ma voix pour obtenir un ton grave et dramatique avant de me pivoter ma chaise afin de lui faire face avec mon regard sombre et terrifiant. Pardon. Sombre et fatigué du fait d'émerger. Le cou relevé, j'observe attentivement et silencieusement ma petite soeur pendant de longues secondes du haut de mon fauteuil, tentant de lui mettre cette pression. Il va falloir la faire craquer ce soir. Pas craquer pour moi, craquer devant mes questions, qu'elle avoue tout. « Alors... Surprise de voir ton vieux frère dans cette salle de tribunal ? Il faut qu'on parle... » Entamais-je fier de mon plan, quel génie je fais, peut-être pourrais-je travailler dans les forces spéciales pour faire un agent double ou autre ? Parfait.

Mon derrière se lève enfin quand j'estime n'avoir plus aucune chance - ou malchance - de tituber pour trahir mon manque d'assurance. Les réveils sont toujours difficile pour moi. D'un geste digne d'Albator, je remet en place ma blouse blanche avant de contourner le bureau. Je suis Albator et Shion est Mime. « Mais avant... » continuais-je en m'approchant d'elle doucement, toujours dans cet état d'esprit dramatique. La pression monte, je peux la sentir - ou pas du tout, après tout je me fais toujours des films, si ça se trouve, Shion n'a rien à se reprocher mais je dois en avoir le coeur net. Je veux savoir qui sont ces hommes qui la regardent et qui... URGH, mes mains serreront leurs petits cou et ils finiront à l'hôpital tandis que moi je quitterais le pays direction les bahamas.
Une fois en face, je me retient de sourire. C'est difficile. Ma soeur est tellement jolie, je voudrais la croquer, lui pincer les joues mais je ne peux pas. Ça ne colle pas au personnage du méchant flic. « Dis moi, ta tenue n'est pas très adapté à un tribunal, ou est la blouse orange ? Enfin bon, si tu veux bien t'installer sur le banc des accusés,.... Si vous pouvez vous installer.... Katō-san» Je tente de plaisanter un minimum mais... Non, je dois rester méchant. Sans un mot, j'imite sa position de bras croisés genre je suis badass et je montre que j'ai pas peur. Détrompes toi Shion. Ton frère sait tout de toi.