L’Amortentia n’est pas à son premier évènement mais c’est la première fois que la blonde travaille parmi eux pour un projet d’une telle ampleur. Bien sûr, il n’est pas question de recevoir des acteurs du film. Dans ce cas, elle aurait obligé sa patronne à embaucher des gardes du corps pour éviter les émeutes et avoir un entretien privilégié avec les célébrités. Les clients seraient interdits de rentrer dans l’enseigne. Oui, Eoh Yu Jin a le sens de l’égoïsme et des priorités quand il est question de ses passions. Enfin, cette journée chargée en activités va pouvoir lui permettre de se changer les idées. C’est que ces derniers temps, le destin lui a joué des mauvais tours et la pauvre se l’est certainement mise à dos en prenant la meilleure décision pour son bien-être. Elle aurait aimé faire autrement mais leur amitié est révolue. Elle aurait vraiment aimé le croiser dans d’autres circonstances sans qu’il exprime sa colère sous n’importe quelle forme de violence. Elle aurait aimé qu’il s’excuse, qu’il soit plus clément avec elle. Il n’arrivera donc jamais à s’apprécier autant qu’elle a pu le faire à son égard, dans le passé. A croire que la blonde n’a pas réussi à atteindre son âme, à passer outre sa carapace ou mur de conneries. Qu’importe, elle ne peut pas s’éterniser plus longtemps. L’étudiante a du travail, beaucoup trop de travail. Dans la précipitation, elle a oublié de ranger la boîte de colorants. Celle-ci traîne sur une table qui aurait dû être nettoyée avant le grand service.

Les gens sont assoiffés, meurent de faim après cette course de relais. S’ils ne devraient avoir plus d’énergie après s’être autant dépassé, certains clients restent exécrables. Yujin a l’habitude de les gérer mais il est vrai qu’elle peine à suivre la cadence. Avec sa tenue de la maison des serpents, elle tient leur faire honneur. Faisant des allers-retours entre l’atelier et la salle, la pauvre n’a pas une minute pour souffler. Apparemment, l’équipe a sous-estimé l’événement. Ils leur manquent des bras, c’est évident et elle n’a aucune solution à proposer. Elle ne peut pas contacter quelqu’un à la dernière minute, au même titre que sa patronne. Et puis, il faut avoir quelqu’un qui peut assurer un service. Ce n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Noter les commandes, connaître les desserts proposés par la boutique... Si seulement un client fidèle serait prêt à mettre sa journée entre parenthèses pour eux. En préparant un thé glacé, elle entend une question. Vous ne connaissez personne dans la salle ? Le menton relevé, elle est à deux doigts de faire tomber les glaçons à côté du verre quand les yeux de Yujin se posent sur lui. Son sang ne fait qu’un tour. La question lui revient en tête. Vous ne connaissez personne ? L’étudiante ne veut plus aller vers lui mais elle n’a pas d’autres choix. Sans rien dire, elle récupère un chiffon et s’approche discrètement de sa table. Yujin le regarde à peine. “ Tu sais te servir d’un chiffon ? “   

Se Jun n’est pas un stalker, il le jure. C’est un hasard s’il est là aujourd’hui. Un drôle de hasard, certes. Funeste, selon le point de vue. Inespéré pour d’autres.
Quand il est rentré dans ce café, à la thématique bien connu, sorcier, magie, balais, il venait de finir une course dans le coin. L’argent honnêtement gagné dans les poches, il a trainé puis, attiré par la vive animation, s’est échoué à l’Amortentia. Curieux, il a regardé ces gens un peu trop fan, arborant les différentes couleurs des fameuses Maisons. Il songe vaguement que s’il se joignait à ce carnaval, il serait en vert. Serpentard. Il a fait le test, une fois. Il y a longtemps. Poussée par celle qui a été son amie… et qu’il ne s’attendait bêtement pas à recroiser ici.
Quel idiot. Comment n’y avait-il pas pensé ?
Il est là, installé à cette table dans cette pièce censée reproduire le dortoir des Gryffondor. Plutôt pas mal fait si on prend les films en référence. Il a commandé une Bièraubeurre - la fameuse. Celle qui le sert porte un uniforme jaune et noire. Il est déjà venu ici, par le passé. Il ne se souvient plus quand, ni avec qui… peut-être avec la même qui lui a fait passer le test. Il aurait dû s’y attendre… et pourtant…
Son coeur loupe un battement quand il l’aperçoit traverser la salle. La petite tête blonde qui se pare des couleurs vert et argent. Elle ne l’a pas remarqué. Lui ne voit plus qu’elle. Chacun de ses pas résonnent un tambour assassin dans sa poitrine. Un douleur sourde et silencieuse.

Est-ce un coup du destin ? Est-ce qu’il est du genre à croire à ces conneries ? Non. Mais elle est là, Yu Jin. Comme un fantôme qui le hante. Comme une erreur qu’il n’arrive pas à rayer. Si nos chemins se croisent, ne m’adresse plus la parole ! L’erreur c’est lui. C’est lui qu’elle veut rayer de sa vie. Elle a raison.
Ca résonne encore en lui. Ne m’adresse plus la parole. Il ne l’avait pas fait. Il n’était pas parti non plus. Son cul est vissé sur la chaise. Ses yeux, fixés sur celle qui poursuivent ses aller-retours entre la foule. Elle se mêle au staff qui s’agite, grouille entre les tables. Se Jun ne s’occupe plus de l’effervescence autour de lui. Des activités qu’on propose. Il a tout oublié jusqu’à sa boisson qu’il n’a toujours pas goûter. Les minutes s’écoulent.
Qu’espère-t-il ? Que Yu Jin le remarque et vienne vers lui en souriant pour s’excuser d’être si brusquement parti la dernière fois ?
… Abruti. S’excuser ? Elle ne lui doit rien.

Il mâchouille l’intérieur de sa joue. Pourquoi ça lui pèse autant ? Il y a trop souvent pensé ces derniers jours, ces dernières nuits. Pourquoi après toutes ces années où il avait presque oublier Yu Jin, cette dispute le ronge autant ?
Cette simple pensée l’agace. Ses doigts martèlent la table. Le brouhaha couvre le bruit nuisant.

Il vaut mieux qu’il parte avant qu’elle ne le voie. Qu’il esquive une nouvelle discussion. Qu’il épargne les coeurs.
Mais il est incapable de bouger… et les choses prennent une tournure inattendue.
C’est lorsqu’il la perd de vue qu’elle réapparait, d’abord comme une ombre, puis le regard planté dans le sien qui manque de le faire sursauter.
« Quoi ? » Il entend sa voix venir d’ailleurs. Se servir d’un chiffon ? Se Jun dévisagea celle qui venait de prononcer la phrase la moins attendu de sa part. Il aurait compris un “Qu’est-ce que tu fais là ?” ou encore “Arrête de me coller aux bask’ !” mais là… Confus, il ouvre la bouche sans quitter la Serpentard des yeux. « … Pourquoi tu me demandes ça ? » Si c’est une farce, elle est bizarre. Il regarde autour de lui comme si quelqu’un allait lui venir en aide. Il note vaguement l’agitation autour et croit comprendre… Le monde ne désemplit pas et les serveurs peinent. Mais qu’attend-elle de lui ? De l’aide ?
Il remarque qu’on l’observe, un peu plus loin. Deux serveuses qui parlent tout bas, il n’entend pas l’une d’elle dire qu’ils ont une robe de sorcier pour lui. « … Vous êtes désespérés à ce point ? » Il pourrait presque en rire mais il craint que cette fois, il n’échappe pas à la gifle. Pire que ça, cette fois, Yu Jin ne lui adresserait vraiment plus jamais la parole…
  

Chacun s’efforce à réduire le temps d’attente des clients. Personne ne pourrait douter de leur bonne volonté mais la serpentard sent des regards braqués sur elle, au point qu’elle n’ose plus tourner la tête vers eux, gênée par le niveau de service. La demoiselle manque d’expérience et elle ne veut pas être un poids pour l’équipe. Une réunion de crise parvient à être organisée à l’arrière où les mines agitées se mélangent dans l’espoir de trouver une solution. Si la source de leurs difficultés est rapidement déterminée par le personnel, les propositions pour trouver une issue de secours sont bien maigrichonnes, au même titre que leur probabilité de réussite. S’ils peuvent demander l’appui d’une connaissance, encore faut-il que celle-ci puisse se débrouiller. Ils ne peuvent pas prendre n’importe qui, au risque de paraître plus ridicule. Cette personne se contentera des tâches des plus ingrates, à défaut d’avoir le temps de la former en direct. Ses yeux finissent donc par se poser sur lui, action remarquée par une collègue qui lui donne un coup de coude pour l’inviter à se bouger. N’ayant pas le choix, elle se dirige vers cette table alors qu’elle ne s’occupe pas de cette partie de la salle. Elle constate qu’il n’est pas servi alors qu’elle est noyée de panique. Il va donc vivre comprendre ses intentions sans qu’elle ait besoin de le supplier, pas vrai ? Elle ne devrait pas le surestimer ou lui faire confiance. Cette pâtisserie, elle y tient. Elle n’est peut-être pas la patronne mais c’est comme une seconde maison pour elle. Lui remettre un torchon paraît simple si la blonde n’était pas envahie par la rancœur. En plus, elle lui a demandé de couper les ponts et donc de l’ignorer. Quel message va t-elle véhiculer en s’approchant de lui ? Yujin décide donc de se contenter de suivre les ordres. Pourquoi devrait-elle le saluer alors qu’ils ne parviennent pas à se quitter avec le sourire ? Yujin lui a déjà donné plusieurs chances. Aujourd’hui ne fera pas exception. Peut-être que le garçon pourrait retrouver des restes de son cœur en miettes sur une table... Peut-être même que Sejun pourrait s’amuser à les piétiner une fois de plus ? Elle fronce les sourcils, oubliant l’amabilité dont elle a toujours su faire preuve. Mais elle n’a aucune raison de conserver sa posture professionnelle en sa présence. Il n’était rien, même pas un client. Yujin soupire. Elle n’a pas la force de se justifier. Il devrait apprendre à observer le monde qui l’entoure au lieu de se contenter uniquement de sa petite personne. Mais même ça, Sejun ne sait pas le faire correctement. Elle crache, un peu vexée par ses répliques. “ Laisse tomber. Je ne sais pas pourquoi je suis venue te demander. “ Elle s’apprête déjà à faire demi-tour alors que ses collègues semblent surprises par sa réaction. Il aurait pu se contenter de lui répondre par la négative au lieu de s’exprimer une énième fois avec ses commentaires déplacés, sa célèbre marque de fabrique. “ Je vais leur dire de s’occuper de ta commande. “    

Se Jun retient presque sa respiration tandis que les pupilles ardentes de la blonde brûle son épiderme. Il voit bien qu’elle ne lui parle pas de gaité de coeur. En fait, il se demande même lequel de ses collègues l’a poussé autant à bout pour venir chercher de l’aide auprès de lui. Il jette un oeil autour de la salle. Il y a des tas d’autres personnes ennuyantes qui seraient certainement plus à même d’aider. Moins pénible pour elle… Et pourtant, c’est sur sa table que Yu Jin a jeté son chiffon. Il nage dans l’incompréhension et en même temps, une part de lui se met à s’imaginer de drôles de choses. Comme, peut-être, le fait que son ancienne amie lui donnerait une seconde chance. Celle qu’elle a semblé lui refuser l’autre jour. Ou peut-être même avant face à cette porte fermée.
Mais Se Jun est davantage spécialiste pour gâcher ses chances plutôt que les saisir. Et la colère s’embrase dans les iris et la voix de Yu Jin. Mauvaise réponse, comprend-t-il. Il se tend, figé sur sa chaise comme si elle venait de lui hurler dessus. Mais non, c’est pire. Son ton sec lui claque plus encore au visage et il se prend à se demander ce qu’il a fait de mal. Il l’insupporte à ce point ? Dans ce cas, lui aussi se pose la question : pourquoi être venue lui demander à lui ? Mais il retient ses mots. Il pince fort les lèvres parce qu’il comprend que Yu Jin n’a aucune envie de les entendre. On l’en féliciterait presque…

« Attends… » Il se lève. Cette fois, il n’attrappe pas son poignet. Il n’y a du monde et elle s’est déjà dégagé une fois. Mais il tente quand même sa chance qu’il n’a plus. « Yujin, attends, c’est bon. Je vais vous aider. » Il s’entend comme s’il était loin de son propre corps. Une partie de lui se hait parce qu’il ne comprend pas pourquoi ça lui importe tant, pourquoi il court encore après cette fille qui l’a jeté. A raison. Mais c’est plus fort que lui et les pulsations désagréables dans sa gorge. Parce qu’il se rend compte aussi qu’il détesterait encore plus qu’elle s’en aille maintenant, plus dégoûtée de lui que jamais.
Qu’est-ce qu’il essaie de prouver ?
« Dis moi ce que je dois faire. » Il y a sûrement trop à dire. Mais le brun s’est emparé du chiffon. Il repère des tables inoccupées qu’on a pas eu le temps de débarrasser. Pour montrer sa bonne foi, il se dirige vers l’une et récupère les verres vides et les assiettes. Puis il lance un regard vers Yu Jin comme s’il cherchait son approbation et la suite des instructions. Où doit-il foutre tout ce merdier ?
Ca l’emmerde. Mais peut-être qu’il arrivera à lui parler après… entre deux tables à nettoyer. Quelle connerie.. !

  

Pas spécialement enchantée de lui demander un service, sa réponse lui fait perdre toute crédibilité. La jeune femme prend la remarque pour elle. Est-elle si désespérée pour mettre son orgueil de côté ? Elle serait prête à lui parler de nouveau juste pour essuyer quelques tables ? Apparemment, oui. Elle s’en veut d’avoir écouté ses collègues de travail. Leur dernière altercation aurait dû lui faire comprendre qu’elle ne connaît pas vraiment Sejun. Alors les autres ? Ils ne sont pas mieux placés pour dire leur avis, et pourtant... Elle qui cherche à l’ignorer plus que quiconque, les autres ont rapidement compris qu’elle le connaissait. Pourquoi a-t-elle autant l’impression d’être pathétique quand il est dans les parages ?  S’apprêtant à faire demi-tour, la blonde tente de garder son calme et son professionnalisme. C’est un client. Elle ne peut pas lui en tenir rigueur. S’il s’est rendu ici, ce n’est pas pour jouer aux garçons de café. Toutefois, Yujin se demande s’il déciderait de quitter les lieux afin de la laisser tranquille. Elle ne saurait dire ce qu’elle préfère, comme d’habitude quand il est dans les parages. Il réveille ses pires défauts et une profonde contradiction.

Malgré le bruit présent dans le salon, elle l’entend son prénom sortir de sa bouche. Elle se retourne et fait face au garçon qui se tient désormais debout. La surprise l’empêche de prendre la parole. Pourquoi ce revirement de situation ? Est-ce qu’il ne va pas changer d’avis au bout de cinq minutes ? Alors, Yujin le regarde prendre les devants. Il est armé d’un chiffon avant de récupérer les couverts sales. Elle finit par s’approcher de lui. “ Suis-moi. ” Elle s’occupe de la table à côté pour gagner du temps et ils vont tous les deux dans l’arrière-salle. “ Je ne pense pas que tu dois connaître la carte... Tu n’as qu’à t’occuper de laver les tables et de les dresser. Si tu peux essayer de te charger le nettoyage si tu as cinq minutes... Placer des bouteilles d’eau aussi. Ça t’irait ? “ Elle ne veut pas le surcharger, ni le voir casser de la vaisselle. “ Et si quelqu’un t’interpelle pour un dessert ou je ne sais quoi, tu peux toujours venir me voir. “ Yujin lui montre où il peut trouver les couverts et tout ce dont il a besoin pour l’exercice de ses nouvelles fonctions. “ Quelle est ta maison préférée ? “ S’il va être difficile de trouver une tenue complète de sorcier, elle peut lui prêter une écharpe. Elle sort de nouveau son carnet et lui adresse un “ Merci ”.

Le spectacle doit continuer et Yujin se concentre sur son service en jetant des coups d’oeil réguliers vers Sejun pour vérifier si tout se passe bien. Quand le rythme commence à ralentir, elle prépare une boisson qu'elle lui tend à l’arrière. “ Ta boisson. “ Elle racle sa gorge et dit : “ Désolé de t’avoir dérangé... L’équipe te propose de dîner avec eux, si tu veux, quand la boutique sera fermée. Si tu en as envie... “ Avec eux. Pour le coup, elle ne s’est pas encore comprise dans le lot.  

Au fond, il enrage un peu. Parce qu’il n’a aucune vraie raison qui le pousse à lui rendre service. A part se racheter… mais de quoi ? D’être un con ? Dommage pour Yu Jin, il risquait de l’être encore. Mais partir comme ça et risquer de ne plus la voir après l’avoir plantée… Si ça faisait une belle vengeance, Se Jun n’est pas sûr d’en vouloir. En fait, il ne sait pas vraiment ce qu’il veut mais il a quand même décidé de l’aider. Ce stupide chiffon à la main.
Et puisque Yu Jin ne semble pas s’y opposer, il s’occupe d’une table pour prouver sa bonne volonté. Il se maudit à chaque couvert ramassé mais plus encore en prenant conscience de son soulagement lorsque la blonde lui dit de le suivre. Il le fait bien sûr. Il hoche la tête quand elle lui donne les consignes. Il retient son sarcasme, se contente d’un « Je m’en occupe », concis sans fioriture au cas où elle interpréterait mal ses paroles. Il ne sait toujours pas pourquoi il fait ça mais il sait nettoyer une table et y poser des bouteilles. Quand elle l'autorise à la solliciter en cas de dessert, il la considère quelques secondes et se demande si ça ne sera pas trop pénible pour elle de lui adresser la parole… mais il chasse cette idée et hoche la tête à nouveau. Il a décidé de l’aider et c’est elle qui est venue le chercher… Tout n’était pas perdu.
« Serpentard. » Il regarde celle qui aborde parfaitement les couleurs de sa maison. Le vert va bien à sa beauté froide. Lui, il sait qu’il va bien à la maison.
Il la suit du regard et accuse son remerciement. « De rien. » Et il songe qu’avec si peu d'échanges entre eux, il ne doit pas espérer grand-chose…

Le service est musclé mais Se Jun s’en sort étonnamment bien. Il débarrasse vite les tables et les nettoie pour laisser s’installer d’autres clients. Il va de table en table avec des bouteilles d’eau à la main. L’équipe l’a affublé d’une écharpe verte ce qui déçoit un peu le bénévole. Quitte à servir dans un café Harry Potter, il aurait préféré avoir une cape. Mais il fait le job jusqu’à se retrouver à nouveau près d’elle. Se Jun marque une pause tandis que la blonde lui tend une boisson. « C’est mon salaire ? » Il tente un petit sourire mais il a clairement l’impression de marcher sur des oeufs. Franchement, ça le dépasse… pourquoi il se prend autant la tête ?
Il pose son plateau et s’autorise une pause en sirotant la boisson magique. Ses yeux trainent sur Yu Jin avant qu’elle ne reprenne la parole. « Tu seras là ? » L’équipe est sympa, même s’il n’a pas vraiment eu le temps de leur parler. Mais il ne tient pas plus que ça à se faire de nouveaux amis même s’il est plus sociable qu’il en a l’air. Yu Jin, en revanche, elle ne sort pas de sa tête. Et il ne sait pas trop ce qu’il espère… « On peut manger un bout ensemble si t’as envie. » Ou continuez à ne plus s’adresser la parole… c’était sûrement ce qu’elle préférait.


  

Serpentard ? Ce n’est pas vraiment étonnant. La serveuse l’envie un peu de pouvoir redorer les blasons de cette maison. Si elle porte la tenue verte pour travailler ici, le test en ligne avait fait d’elle une gryffondor. Face à ce résultat, la blonde avait pris un sacré coup de massue, provoquant des pleurs pendant une heure. Elle a été incapable d’avouer sa vraie nature à ses amis, fans de la saga. Parmi toutes les maisons, elle est tombée sur la pire. C’est ainsi qu’elle a décidé de tricher à la vue de tous, seule source de réconfort qu’elle a pu trouver. Dans certaines discussions avec les clients, on peut l’entendre se vanter d’avoir des cheveux à la couleur de ses personnages préférés. Est-ce sa faute si elle s’est trouvée une attirance pour le Malfoy ? Toutes les filles de son âge avaient subi le même sort. Un enchantement qui avait touché toute une génération et Eoh Yujin n’a pas fait exception.  Elle prête donc une simple écharpe au nouvel employé, signe d’une jalousie injustifiée. Qui dit qu’il a navigué sur le site Pottermore ? A tous les coups, il a un patronus Orang-Outan. Ri-di-cu-le. Heureusement, l’agitation dans le café occupe toutes ses pensées et apaise les tensions.  

Le stress du service est derrière elle quand elle tend enfin la boisson commandée par Sejun, au concerné. Il est vrai que la situation dans laquelle il se trouve n’est pas vraiment légale. Un coup de main n’a jamais tué personne mais il mérite certainement quelque chose de plus qu’une boisson. Pour autant, ce n’est pas la demoiselle qui est capable de prendre de telles décisions. C’est la faute de ses petits camarades s’il a été embarqué dans cette histoire. Le truc, c’est que la jeune femme prend facilement les choses au premier degré avec Sejun. “ Oui, et figure-toi qu’il y a une prime de risque incluse. Ce n’est pas simple de travailler pour des sorciers qui utilisent de la magie noire. “ Si sa boisson contient un soupçon de sirop de cerise, sa réponse, elle, contient une pincée d’ironie. Pourtant, c’est un sourire amusé qui finit par prendre possession de ses lèvres, trop fière de sa vanne. Mais si le jeune homme n’aura pas le droit à un vrai salaire, il est invité pour un bon buffet. Elle qui pensait qu’il serait ravi de manger gratuitement, Yujin a du mal à cacher sa surprise. Il est venu pour l’évènement ou pour elle ? La question est prétentieuse. “ Non, je vais partir. Je crois que j’ai rempli mon quota et que j’ai vu trop de personnes pour une seule vie. “ Elle n’a rien contre les gens mais elle est simplement fatiguée. Ses collègues comprendront car, apparemment, Sejun a lui-même été capable de deviner la réponse. La blonde le fixe et réfléchit. A-t-elle le choix ? “ Je crois que je t’en dois une. “ Elle tend la main vers lui, non pas pour lancer un h5 étrange mais pour récupérer l’écharpe soigneusement prêtée. “ Laisse-moi le temps de me changer et on se rejoint devant. “ Yujin se dirige vers les vestiaires, au fond du couloir, avant de saluer l’équipe, qui regrette son départ. Et puis, elle rejoint le point de rendez-vous, se demandant s’il serait encore capable de la laisser en plan, par habitude ou par vengeance. La danseuse met ses mains dans les poches de sa veste et tue le silence directement. “ Je ne savais pas que tu étais fan d’Harry Potter. “ Une simple remarque pour le commun des mortels et un moyen pour elle de comprendre le motif de sa visite à l’Amortentia.

De longues secondes, Se Jun contemple sa boisson. Son salaire. Un rire sec lui échappe. Il ne comprend toujours pas ce qu’il fout encore là ni pourquoi il s’est plié à la demande de Yu Jin. Ses yeux glissent vers elle tandis qu’elle parle de prime de risque et magie noire. Il s’en fiche un peu, en fait. Mais un vague sourire habille le coin de ses lèvres. Parce qu’elle lui parle alors qu’elle lui a demandé de ne plus jamais le faire. Parce qu’elle est là alors qu’elle l’a planté la dernière fois. Comme quoi, les choses changent vite.
Alors rit en silence avec elle. Comme si ça ne s’était pas passé. Comme s’il ne s’était jamais disputé.
Et il songe, alors, que c’est sa chance. Il ne sait toujours pas trop ce qu’il doit ou peut espérer… Mais il n’a pas envie qu’elle disparaisse une nouvelle fois et il n’a pas envie de faire le piquet devant ce café dans l’espoir qu’elle lui adresse à nouveau la parole un jour.
Il mordille sa paille alors qu’elle exprime son désir de calme. L’intérêt de ce repas après service disparaît totalement sans la présence de la blonde. « Je connais bien quelque sort pour ça mais… même pour une serpentard, c’est trop dark. » Nouveau sourire sarcastique alors qu’il n’ose se lancer. Il n’y a qu’elle qui l’intéresse dans ce café. Il a déjà oublié le nom de tous les autres. En revanche, il n’est pas sûr de pouvoir se réjouir qu’elle l’accompagne uniquement pour le remercier….
Mais elle aurait pu dire non.
Alors il hoche la tête… Avant qu’une grimace ne déforme sa bouche. Elle veut qu’il lui rende l’écharpe ? « Quoi ? Je peux pas la garder ? Je l’ai mérité, non ? » Il n’a fait qu’une après-midi et il est probable que même les employés n’aient pas le droit d’emporter les costumes mais puisque Se Jun ne travaille pas là, il n’aurait aucun scrupule à voler l'accessoire. « J’vois pas le soucis de se balader avec ta cape. Elle te va bien. » Il sourit. L’image l’amuse mais il termine sa boisson, hausse les épaules et, comme elle lui a demandé, sort devant le café pour l’y attendre. A moins qu’il n’y ai une sortie à l’arrière, Yu Jin ne peut pas se dérober.

Les minutes défilent et il se sent un peu nerveux. Alors il fouille sa poche et comme il ne trouve pas de sucette, s’allume une clope. Il espère que Yu Jin ne dira rien. Ce n’est que du tabac.
Et puis elle apparait, si naturellement que son coeur en oublie de sursauter… mais il est envahi par un stupide soulagement qui le contrarie aussitôt. Pourquoi est-il comme ça ? « Re », balance-t-il seulement en s’efforçant de garder son air détaché. Il souffle sa fumée et se met en route avec elle à ses côtés. « Bah j’aime bien, comme tout le monde. » Fan est un grand mot mais il a vu les films à défaut d’avoir lu les bouquins. « C’est toi qui m’a fait faire le test au lycée. Tu te souviens pas ? » Elle a sûrement oublié. Comme beaucoup de choses avec lui. Légitime. Il écrase sa clope sur le premier cendrier public qu’il rencontre. Puis il indique une petite enseigne au coin de la rue : « Viens, on va là. T’as faim ? » C’est un petit restau de quartier qu’il a déjà fréquenté une ou deux fois. C’est bon, pas trop cher, et surtout pas hyper bondé. Parfait pour eux. Alors il entre, salue et s’installe à une table au calme. « Tu travaille depuis longtemps dans ce café ? » Ce n’était pas la première fois qu’il y allait mais la première fois qu’il y voyait Yujin…



  

Le nouveau sorcier fait dans l’humour et Yujin serait la première à en rire. Pour autant, elle n’a pas envie de lui offrir ce plaisir. “ Tu peux en trouver à 7 000 wons sur Amazon. En plus,  je parie que tu n’es même pas un vrai Serpentard. “ Sauf si la complimenter sur sa tenue est une technique de manipulation. Elle devrait le deviner si elle était une vraie Serpentard, elle aussi. Au moins, il n’osera pas l’amener sur ce terrain glissant. Il est méconnu de tous, et même si Sejun a eu l’occasion de rencontrer Yujin plus jeune, le garçon a clairement perdu la main depuis tout ce temps. Dans le cas contraire, il serait incapable de faire preuve autant de maladresse en remettant sa maison en question. Quoi que, ça serait peut-être surestimé la capacité mentale des hommes en général. Enfin, compte tenu de leur relation, tout est périlleux quand ils se retrouvent ensemble. Bref. La journée de travail a été longue et elle est un peu fatiguée. Un bon repas ne lui fera pas de mal et lui permettra de récupérer une bonne partie de son énergie. C’est bien pour cette seule raison que la blonde décide de le rejoindre dehors. La belle se sent aussi obligée de lui tenir compagnie, maintenant qu’il a sauvé la mise à l’équipe. Néanmoins, elle ne compte pas lui faciliter la tâche après leur dernière altercation. Elle se fait la promesse de garder cet objectif en tête avant de faiblir à la première opportunité. Pour sa défense, elle déteste les blancs et surtout, elle ne veut pas prendre le risque de mener la conversation. Yujin jette un coup d'œil sur sa cigarette. Alors, il fume ? Son éducation a du mal avec ce concept. Fumer, c’est mal. Fumer, c’est pour les mauvaises personnes. Si elle ne le juge pas ouvertement, elle n’est pas ravie non plus. Sa mère n’est-elle pas partie à cause d’un cancer ?  “ Non, je ne m’en souviens pas. Mais ça ne m'étonne pas non plus… J’ai fait de la propagande pendant quelques années. “ Elle se rappelle de leur conversation à l’intérieur du café. “ T’étais tombé sur Serpentard ? “ Pourquoi se faire du mal ? “ Oui ! “ L’étudiante se laisse guider et rejoint le petit restaurant de quartier. Ils s’installent tous les deux à une table et elle relève aussitôt le menton pour regarder les pancartes positionnées en haut des murs. Ils proposent souvent les mêmes plats dans ce type d’endroits. Son choix ne sera pas original. “ Hm, je pense que ça doit faire un an maintenant. Quelque chose comme ça. “ Elle jette un coup d’oeil vers la propriétaire, qui ne s’attendait pas forcément à voir des nouveaux clients à cette heure. Dommage pour elle. “ Je n’avais pas d’expérience mais la patronne a été patiente avec moi. Ça se passe plutôt bien et c’est toujours plus sympa de travailler dans un lieu qu’on aime bien ! “ Bien que comme tout le monde, il y a des journées sans. “ Et toi ? Qu’est-ce que tu fais ? “ Vu qu’ils sont partis prendre des nouvelles de l’autre au lieu de crier dans tous les sens… C’est une nette progression. Sa mère serait fière de la voir aussi polie. “ Je vais prendre du bibimbap. “

« Bah, askip, si, » répond-il en haussant nonchalamment les épaules. Une moue demeure sur ses lèvres. Il aurait bien aimé garder l’écharpe. Il n’a même pas eu droit à une cape, lui. Mais tant pis, il ne fait pas plus de caprice… D’autant qu’il obtient le plus important : la compagnie de Yu Jin.
Cette importance qu’il y accorde l’agace autant qu’elle l’enjoue. Mais il ne se dérobe pas et ses jambes les guident bien trop vite, lui et la blonde, dans un restaurant qu’il connaît. Comme si, passer la porte d’un établissement réduirait les chances de fuite de l’un des deux individus. Il ne merdera pas cette fois. Il se le promet plus ou moins en écrasant sa cigarette. Ce n’est pas si important. Ou peut-être que si. Mais la simple idée que Yu Jin lui tourne le dos une fois de plus le rend malade.

Et elle ? Que lui accorde-t-elle comme importance ?
Elle ne voulait plus qu’ils se parlent. Elle n’a pas ouvert la porte.
Mais avant tout ça, il y avait les bons moments. Les regards complices, les rires sincères, les courses dans les couloirs, la joie intrépide…
A-t-elle tout oublié ?
Se Jun fronce le nez. Il est vrai, sa réponse le vexe. Parce que lui se souvient et elle non. Parce que lui a gardé ses souvenirs et elle les a jeté. C’est plus compliqué, bien sûr. Tout comme elle aurait raison d’avoir brûlé le moindre souvenir avec Kang Se Jun.Mais ça le blesse et l’envie de se rallumer une clope le démange. Se foutre un truc dans le bec pour éviter de cracher du venin. Il ne dit rien. Sauf quand elle redemande à propos de sa maison. Il s’efforce de lui accorder un regard neutre :  « Bah… ouai… pourquoi ça te choque ? » Le vert ça lui va bien. Il se garde de lui rappeler qu’ils s’imaginaient comme un duo démoniaque dans un monde magique. Peut-être que sa maison a changé, si ces choses peuvent changer. Il n’a plus refait le test depuis le lycée.

Une fois installés, Se Jun scanne rapidement la carte. Il a faim. Faut dire qu’il ne s’attendait pas à taffer aujourd’hui. L’appel de la nourriture apaise un peu son ressentiment et c’est un regard plus calme qui vient se poser sur la belle. La curiosité le pique et Yu Jin répond naturellement. Lui la contemple. Il y a quelque chose qui se serre dans son ventre. Expiration. Il doit se rejouer sa réponse dans la tête pour y répondre, plus vaguement. « C’est sûrement pour ça que je t’ai jamais vu jusqu’à maintenant. Cool pour toi. » Il hoche la tête. Ses doigts pianotent sur la table. « Les boissons sont bonnes. » Celles qu’il a eu le droit de goûter en tout cas. C’est un genre de compliments de la part du mauvais garçon.
Il s’apprête à rebondir mais la blonde lui renvoie la balle et il marque une pause. Le temps idéal pour que Yu Jin se décide. Il garde le silence. Ses yeux retrouvent la carte. « Moi, du porc sauté pimenté. » Mais ce n’est pas la question. Il renifle. « J’ai le garage de mon père. » Pour ce qu’il y fait. « Et je sors des chiens. » Incroyable. C’est bénévole mais c’est mieux que de parler du reste. Il pourrait le faire. Par pure provocation. Mais Yu Jin risquerait de partir, comme elle l’a fait ce jour-là quand elle a compris.
Il jette son dos contre le dossier de la siège. Inspiration. Il sait qu’il a l’air d’un sale gosse. Qu’est-ce qu’il attend au juste ?
De nouveau, ses yeux roulent jusqu’à elle. Il n’a pas envie qu’elle disparaisse encore. La boule dans son ventre s’alourdit. « Et le maquillage ? C’était pas ça ton truc ? » Le café, c’est bien beau, mais qu’en est-il des rêves ?