Ah ! vous dirai-je, maman,
Ce qui cause mon tourment ?

Jeudi 19 Juin 1997,
Jour 1

Les médecins sont formels, il s’agit bien d’une leucémie. Une leucémie aiguë lymphoblastique, pour être plus précise. Ils nous ont assurés que son stade n’était pas encore trop avancé mais ils veulent la garder dès aujourd’hui pour commencer le traitement le plus vite possible. Je ne sais plus quoi penser. Je suis complètement perdue. Nous l’avons amené à cause d’une fièvre persistante et de ses saignements de nez qui se faisaient de plus en plus fréquents, et ça ne m’inquiétait pas plus que ça. Mais, eux, ils ont compris. Tant mieux dans un sens, tant mieux. Mais Ya Wen n’a que cinq ans… Elle ne comprend pas ce qu’il se passe, pourquoi ils lui font passer tous ces examens, pourquoi ils lui expliquent qu’elle va devoir être courageuse, pourquoi papa et maman ont l’air si triste. Elle n’a que cinq ans, et sa vie ne tient déjà plus qu’à un fil.


Vendredi 27 Juin 1997,
Jour 9

Plus d’une semaine a passé déjà, neuf jours que je ne peux voir mon bébé que pendant les heures de visite de l’hôpital. Nous n’avons pas pu nous résoudre à lui dire ce qu’elle fait là mais elle semble avoir compris que quelque chose cloche. Je suis allée la voir aujourd’hui. Le traitement, en plus de la maladie, la fatigue énormément. Quand je suis rentrée dans sa chambre, elle était allongée sur son lit, immobile, les yeux fermés. Elle semblait paisible et… ailleurs. La panique s’est emparée de moi et mon cerveau s’écriait qu’elle était morte, que tout était fini. Je suis tombée à genoux, prête à implorer ce Dieu que j’ai toujours renié, quand sa petite voix a résonné dans la pièce. Assise sur le rebord du matelas, son sourire m’a ramené à la réalité, m’accueillant de sa petite fossette. « Pourquoi tu pleures maman ? » Je n’ai pas su quoi lui répondre.


Jeudi 25 Décembre 1997,
Jour 182

Noël a un goût amer cette année. Je ne me sens pas de faire la fête et pourtant, nous voilà à l’hôpital, entourés d’enfants malades, observant de loin Ya Wen jouer avec ses nouveaux cadeaux. Elle s’amuse, inconsciente du fait que ce Noël pourrait bien être le dernier pour elle. Mon mari me dit que je suis trop pessimiste, que je devrais profiter du fait qu’elle soit encore là, au cas où… Mais je n’y arrive pas. A chaque fois que je pose les yeux sur son visage aminci, sur son crâne que la chimiothérapie a dépourvu de tout cheveu, mon cœur se serre et mes pensées sombrent dans le sinistre. Je me suis même surprise à penser, un jour, qu’il serait peut-être mieux pour nous tous qu’elle s’en aille pour de bon. Elle ne souffrirait plus, et nous non plus. Son absence marquerait un vide, mais nous pourrions le combler avec le temps. Je ne supporte pas de la voir comme ça, c’est trop pour moi.


Samedi 3 Avril 1999,
Jour 463

La rémission que les médecins nous avaient promise n’a pas duré longtemps. Il y a quelques jours, Ya Wen a fait une rechute. Mon mari l’a trouvée inconsciente sur le sol de sa chambre à la maison, du sang plein la bouche. Pendant combien de temps encore va-t-il falloir qu’elle reste malade ? Qu’a-t-on fait pour mériter ça ? Je n’en peux plus, je suis fatiguée. Nous le sommes tous les deux. Et je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à gérer tout ça. Non. Je veux que tout s’arrête. Qu’on rentre à la maison, tous les trois, qu’on rit et vive gaiement, comme avant. Mais jamais les médecins ne voudront la laisser partir, ce serait trop dangereux, elle en mourrait. Comme si elle n’était pas déjà au bord du gouffre. Ils ont beau me dire qu’il reste un peu d’espoir, je ne les crois pas, je ne les crois plus. J’ai besoin de respirer, de ne plus jamais revenir dans cet endroit qui empeste le désinfectant et le désespoir. Je veux partir, loin. Mais pas seule. Mon mari me suivra dans ma perte. C’est décidé. Nous retrouverons Ya Wen tout en haut, que nous partions avant elle ou non, qu’est-ce que ça change ?