Sôji & Areum

Elle ne refusa pas sa veste lorsqu'il la lui proposa, et il dut se retenir de pousser un cri de soulagement, qu'il fit passer pour un toussotement viril. Non pas qu'il voulait lui cacher ses sentiments, mais il ne tenait pas à ce qu'elle le voie se dévoiler autant. Depuis le temps qu'ils ne s'étaient pas vus, c'était encore un peu maladroit. Il se sentirait bizarre de s'avancer sur sa propre personne avec son ex, qui comme le nom l'indique, est quelque chose du passé, et non du présent. Mais Sôji avait juste besoin d'une nuit pour tourner la page. C'est ce qu'il se répétait comme un mantra au fin fond de son esprit, en ressortant de la boutique. Une nuit, et tout serait fini après cela. Il pourrait oublier Areum, ranger leurs souvenirs dans une jolie boite en carton dans son esprit, et enfermer le moindre sentiment qu'il lui resterait pour elle dans un placard, à double-tour. Un peu comme dans Harry Potter, avec cette histoire d'epouvantard. Il était plus que temps pour lui d'avancer dans sa vie, de ne pas laisser ses pieds être éternellement attachés aux boulets de son passé. Ils avaient tout deux faits des erreurs, des erreurs qui ne pouvaient pas être effacés. Et il n'y aurait pas de seconde chance pour eux.

Mais quitter quelqu'un que l'on connaissait par cœur, sur le bout des doigts, était la chose la plus compliquée au monde. Et il était encore plus difficile de continuer à les voir sans entreprendre quoi que ce soit avec eux. Sôji ne se sentait pas l'âme d'un héros de ce coté-là, il ne se sentait pas pousser des ailes concernant leur relation d'aujourd'hui. Il ne savait pas ce qu'Areum ressentait encore pour lui, si elle ressentait bien quelque chose. Le japonais se rendait compte, au fur et à mesure qu'il reprenait ses repères en ce monde, qu'il était confronté à différentes versions de ses souvenirs, et qu'il était régulièrement amené à choisir entre deux versions de sa vie. Et que ce choix affecterait considérablement son futur. « C'est sûr, tu est aussi sportive qu'autrefois.» se moqua-t-il gentiment, sans éviter son coup de coude, pas bien méchant non plus. Elle était essoufflée à cause de leur course, même si lui reprenait déjà sa respiration. C'est sûr qu'être yakuza et pratiquer des activités dangereuses et mortelles quelques-fois à coté de son train-train quotidien, ça changeait considérablement la donne.

Le duo poursuit sa route dans une ruelle animée par des lumières de festival, et des stands ouverts en plein air. Cette ville ne dort donc jamais, songea Sôji avec un sourire espiègle au coin de la bouche. Il aimait ce style de ville, qui vivait aussi bien le jour que la nuit. Lui qui était généralement un oiseau nocturne, il adorait ça. Mais, dés qu'ils s'engagèrent dans une autre ruelle, les lumières disparurent, et les conversations animées aussi, laissées derrière eux. Son sourire s'effaça rapidement, comme Areum reprenait la parole, en lui disant qu'elle ne s'attendait pas à le revoir ici ce soir.  « Crois-moi, tu n'est pas la seule. Ma sœur la première a été la plus surprise, » ajouta-t-il d'un ton amer, avec un rire qui n'avait aucune conviction. Il savait qu'il n’apparaissait pas sincère dans ses mots, mais il ne l'était pas. Parce que savoir qu'on l'avait déclaré comme mort pendant tout ce temps l'avait blessé autant que les gens qui croyaient à sa mort. Il l'observa allumer une cigarette, et en tirer une bouffée. Puis, il la saisit de ses doigts pour se servir aussi, avant de la lui rendre. Un arrière-goût de menthe fraîche lui grattait la gorge. Les vieilles habitudes ne changent jamais. Ils s'étaient désormais arrêtés dans une rue vide, elle penchée contre un poteau au bord de la route, lui adossé au mur juste en face. « Dis-moi tout. Qu'est-ce que t'as fait de beau, durant tout ce temps ? »

Sôji & Areum

Tout avait l'air tellement plus simple, elle penchée contre son poteau, lui adossé au mur. Ils avaient presque l'air de deux étudiants sortant des cours, à discuter des profs et des dernières notes obtenues. L'ambiance se transformait à chaque mot qu'ils énonçaient : soit elle était chaleureuse et accueillante, soit froide et amer. Personne ne se douterait que ce soir, ils s'apprêtaient à faire le grand saut, à faire un pas en arrière, à tirer un trait sur quelque chose auquel ils tenaient tant, encore aujourd'hui. Sôji aurait donné n'importe quoi, pour pouvoir rester ici un peu plus longtemps, pour oublier qu'il avait un clan à protéger, une sœur à surveiller, des responsabilités à assurer. Ici, dans cette petite ruelle bien silencieuse, il y avait des mots en suspens, des gestes dissimulés. Pourtant, c'était le meilleur endroit du monde, à ses yeux. On étaient jeunes et cons, et on l'est encore aujourd'hui. Et ça fait mal de te regarder et de me rendre compte de ce que j'ai perdu. Alors peut-être devrais-je fermer les yeux, pour ne pas avoir à faire face à mes erreurs passées.

Lorsqu'elle lui répond, il s'applique sur les expressions de son visage, pour faire en sorte qu'aucune émotion ne transparaisse dans ses yeux ou sa bouche. Parce qu'il a toujours été un garçon trop expressif physiquement, et que ça lui a valu préjudice bien trop de fois jusqu'ici. Pourtant, les mots d'Areum l'atteignent vraiment, plus qu'il ne le pensait. Parce que lui aussi il l'avait manqué, lui aussi il avait cru mourir. Et il avait bien failli, en fin de compte, quelques mois plus tard. Si seulement elle savait, songea-t-il, ses poings se serrant à ses cotés. S'il n'avait pas à lui cacher sa vie de yakuza, alors peut-être, peut-être qu'ils seraient encore ensemble aujourd’hui. Alors quoi, doit-on dire que c'est le destin qui les as séparés, et que c'est ce qui devait arriver ? « Toi aussi. Tu m'as manqué.» lâcha-t-il dans un souffle, un murmure presque inaudible et happé par le vent. Il a presque peur de laisser libre cours aux sentiments enfouis au fond de son cœur, ceux qu'il lui offrait autrefois.

Parce que désormais, Sôji a changé. Il a retrouvé celle qui a réussie à le dompter après sa torture chez les chinois, après qu'il se soit transformé en une véritable bête. Et il ne pensait pas que quelqu'un d'autre ne puisse être capable d'en faire autant. Que ce soit une inconnue rencontrée un soir, ou une ancienne petite amie de son enfance. Sa bouche s'ouvre avant qu'il ne le lui ordonne.  « Je suis heureux. J'ai retrouvé ma petite sœur, mon meilleur ami. Et des amis qui avaient disparus avec le temps. Et...j'ai retrouvé l'amour. » dit-il sur un ton hésitant, ses yeux cherchant la moindre réaction blessée sur le visage de la jeune femme. Parce qu'il sait que le dire de la sorte n'est pas subtil ou délicat, et que ça va tout de même lui faire un choc, qu'elle ait réussie à tourner la page ou non. Mais il ne savait pas comment le dire autrement, après tout. Il se sent soudainement faible et lâche, et envahit l'espace personnel d'Areum, pour la serrer contre lui, sans même faire attention à la cigarette près de son épaule. « Je suis désolé. » Et il l'est, vraiment. De l'avoir abandonnée autrefois, et de l'abandonnée une fois de plus aujourd'hui.

Sôji & Areum

Il peut la sentir se raidir légèrement contre lui lorsqu'il la prend dans ses bras, parce que ça fait longtemps, parce que maintenant, c'est étrange de se retrouver pressée contre sa poitrine de la sorte. Parce qu'aujourd'hui, elle se retrouve dans ses bras en tant que proche amie, et non petite amie, et cette différence de rôle suffit à tout changer dans leur relation. C'était frustrant de constater à quel point le regard et l'attitude des gens changeaient considérablement lorsqu'ils devenaient autre chose pour vous. A croire que la société de nos jours n'est plus basée que sur des jugements et des préjugés. Quelque part dans leur étreinte, la cigarette mentholée tombe et s'écrase au sol, en répandant sa cendre sur le béton sec. Mais aucun des deux ne s'en préoccupent, ils sont encore en train de réaliser que tout change ce soir, et ce pour de bon. Cette fois-ci, il n'y aurait pas de retour en arrière, de changement d'humeur. Ils débuteront tous deux une nouvelle vie, l'un sans l'autre.

La réponse d'Areum le saisit directement au cœur, et frappe ses sentiments du premier coup. Dans le mille, songe-t-il en resserrant ses bras autour d'elle. Parce que ce qu'elle dit semble si sincère, et si triste. Parce qu'il se rend compte que ses mensonges et ses cachotteries l'ont réellement détruites, autrefois, et qu'elle avait du se relever à chaque fois, courageusement, couvrant ses blessures à chacune de leurs rares rencontres pour faire comme si tout allait bien. Lorsqu'il était plus jeune, il n'avait pas l'impression de lui nuire autant. Parce qu'il était très insouciant, et que sa tête était emplie des leçons du clan Katô, de ce qu'on lui apprenait au niveau des armes. Bien sûr, il aimait Areum, mais c'était quelque chose qui ne lui effleurait l'esprit que lorsqu'il était trop tard. Puis, elle lui dit qu'elle est elle aussi avec quelqu'un d'autre, désormais, et qu'elle va bien aussi, et un soulagement intense envahit le corps du japonais. Tout va bien, ces trois mots, pourtant si simples, lui font du bien. Il n'avait jamais su comment se pardonner, après leur rupture. Ce n'était que lorsqu'ils s'étaient quittés qu'il avait pris conscience de son comportement, et il avait ruminé de longs mois à cause de ça. Ils restent encore quelques minutes dans les bras de l'autre, des minutes qui s'éternisent rapidement, et finalement, la jeune femme est la première à s'écarter. Sôji se contente d'acquiescer à ses paroles, presque inaudibles tant sa voix est faible, et la suit en silence. Ce soir, la distance commence lentement mais surement à se dessiner entre eux. « Je m'excuse quand même. J'ai toujours eu un train de retard, n'est-ce pas ? » murmura-t-il sur le même ton qu'elle, le visage soudainement peiné, ses yeux plissés comme s'il souffrait. Et c'était le cas. Il souffrait de ne pas avoir su être un bon homme pour cette femme.

Avant qu'elle ne parle à nouveau, il chasse la tristesse de son visage et de son cœur, et la dépasse en courant. Il y a un dernier endroit ou Sôji souhaite se rendre, à présent. Arrivé à la pharmacie du coin, il jette un coup d’œil derrière son épaule, pour s'assurer qu'Areum le suit et ne l'a pas perdu en chemin, et entre dans la pharmacie, après lui avoir fait signe d'attendre dehors. Il espérait qu'ils vendent encore ce qu'il cherchait, et il passa en revue les rayons avec anxiété et stress, le cœur battant à ses tempes furieusement. Enfin, il les trouva dans le rayon des enfants, et un grand sourire éclaira son visage lorsqu'il prit dans sa main. « Bingo. » Il se dépêcha de payer à la caisse, et ressortit. Areum l'attendait sagement devant, et dés qu'il sortit, il lui tendit la boite de pansements qu'il venait d'acheter, sur lequel figurait des dinosaures bleus familiers. « Tiens. Tu en auras surement besoin à l'avenir. » plaisanta-t-il en lui mettant la boite dans les mains, son sourire figé sur ses lèvres. Pour qu'il reste un peu de lui près d'elle, et un peu d'elle près de lui.