J’avais l’impression d’être un cinglé en voyant son air surpris. Il ne s’attendait sûrement pas à ce que je lui montre mon ventre. Je ne pensais pas le faire non plus, j’avais agi sur un coup de tête. Je grimaçais en entendant le mot parfait. Ça venait d’un quasi inconnu alors peut-être qu’il le pensait réellement, mais j’avais beaucoup de mal à l’accepter. De mon point de vu, j’étais bien loin de la perfection. J’allais devoir me regarder un peu plus souvent dans le miroir, apprendre à m’accepter comme j’étais et surtout réussir à voir ma véritable image et pas celle que je m’étais construite. En effet, je ne pouvais pas y arriver seul. J’avais bien les cartes en mains, mais j’avais besoin d’être poussé, qu’on m’oblige à me bouger. Et il était ça pour ça. Ma peinture avait pris un tout autre aspect après son intervention. S’il était capable de sublimer des tableaux, alors pourquoi pas moi ?

« Au début c’était simplement physique et puis c’est devenu psychologique. On m’a tellement répété que j’étais minable que j’ai fini par y croire. »

J’étais jeune, fragile et extrêmement influençable. J’avais fini par penser que j’étais un garçon inutile, idiot et qui ne méritait pas l’amour des autres. Bien sûr que j’avais des kilos en trop, mais j’étais tout aussi intéressant et intelligent que les autres. Les enfants étaient cruels et je n’avais pas eu assez de courage pour me défendre et m’assumer. Je voulais faire partie d’un groupe moi aussi, avoir des amis, participer aux anniversaire. Ce n’était pas beaucoup demandé, mais c’était déjà trop.

« Je voulais pas essayer de me tuer… je voulais juste, me faire des amis, arrêter d’être seul. Et à partir du moment où j’ai commencé à perdre du poids, on s’est intéressé à moi. »

Le physique était bien trop important, mais c’était les Etats Unis, et là-bas, il n’y a rien d’autre qui compte. J’espérais vraiment qu’il allait pouvoir m’aider, me sortir de ces abysses dans lesquelles je m’engouffrais chaque jour de plus en plus. Si seulement je pouvais regarder mon reflet sans me dégoûter. Ce serait une grande étape, mais je me disais que je pouvais y arriver. Il était là pour m’aider et puis il y avait Chung Jae, mais il était trop impliqué, son avis était forcément troublé par la relation qu’on entretenait. Il ne voulait pas me blesser. On était trop proche.

« Je sais pas si ça va marcher, mais je peux toujours essayer. »

Je rougissais en entendant ses mots. Il m’aimait bien comme j’étais ? Je me sentais assez flatté et touché. Je n’avais pas l’habitude qu’on me le dise. Mais j’avais du mal à croire que j’étais doué pour ce type d’art. Je posais mon pinceau pour attraper la tasse de thé. Je me réchauffais les mains, j’avais toujours froid, sûrement parce que j’étais trop mince. Mon rêve ?

« C’était un rêve idiot et sans vraiment d’ambition. »

J’avais rêvé d’être un grand danseur, mais mon accident avait ruiné toutes mes chances. Mais ce n’était pas ce qui m’avait le plus tenu à cœur. Bien sûr que je voulais maigrir, mais ce n’était pas le plus important. Je me mordillais la lèvre, un peu gêné. J’avais honte de ne pas avoir de plus grandes envies, de plus grands rêves. Mais j’étais comme ça. Simple.

« Je rêvais de faire partie du groupe avec le garçon le plus cool de l’école. »

A la place, il m’avait torturé toute mon enfance et mon adolescence. Mon rêve s’était transformé en cauchemar. Devenir astronaute était un rêve beaucoup plus sympa et qui m’aurait sûrement causé moins de problème. Je faisais rouler la tasse entre mes mains, un peu perdu.

« C’est un peu nul je sais, mais je l’admirais beaucoup. Je voulais être comme lui. Mais aujourd’hui je suis content d’être moi, parce que c’est un vrai crétin. »

Je ne voulais pas devenir une brute sans cœur qui se pensait tout permis parce qu’il avait de l’argent. Je buvais un peu de ma boisson chaude pour me détendre. Parler de lui me rendait un peu trop nerveux.

« C’est mieux que chez le psy ici. »

Je riais légèrement. C’était un peu ma nouvelle thérapie et c’était beaucoup plus simple de lui parler. Je ne me sentais pas jugé. Et c’était rare.

Il avait raison. Les gens avaient toujours été effrayés par la différence. On ne pouvait pas avoir le corps que l’on voulait, aimer qui on voulait, manger ce qu’on voulait. Il fallait rentrer dans le moule et suivre les autres. Se démarquer, ce n’était pas bien vu, encore moins dans ce pays. Les Etats Unis, le pays de l’excès par excellence n’acceptait pas un gamin un peu rondouillard alors que la moitié de la population dépassait le poids limite. Ce n’était pas ma faute si j’avais été un peu gros, mais il devait bien y avoir quelque chose chez moi qui agaçais mes camarades pour qu’ils me détestent à ce point et me fassent vivre cet enfer. J’étais discret, je ne parlais pas beaucoup, et j’avais de bonnes notes à l’école. Alors où était le problème ? C’était simplement physique ? J’avais toujours eu un peu de mal à comprendre cette cruauté. Ma frustration je la canalisais, je ne passais pas mes nerfs sur les autres sans aucune raison valable. On m’avait toujours dit que j’étais trop gentil, mais je l’avais toujours pris comme un compliment. Ça voulait simplement dire que j’étais idiot.

Je soupirais. Aucun rêve n’était stupide, mais le mien ne volait pas très haut. Ce n’était qu’un rêve de gosse, mais il était toujours d’actualité. Je n’avais pas besoin d’être populaire, d’avoir des gens à mes pieds. Je voulais simplement passer du temps avec la personne que j’aimais, et c’était vraiment compliqué. Toute ma vie avait tourne autour de lui, j’étais devenu dépendant et maintenant que j’étais seul, je ne savais plus quoi faire. Son absence me pesait de plus en plus. J’étais étonné la facilité avec laquelle je lui parlais de moi. J’avais toujours été un peu secret concernant ma vie privée. Je lui souriais gentiment.

« Tu le fais très bien. J’ai jamais été très à l’aise chez le psy. C’est intimidant et j’ai toujours cette horrible impression de me faire juger. »

J’étais étonné par sa question. Chung Jae avait dû lui demander une faveur, ce qu’il ne faisait pas souvent. Notre relation pouvait sembler ambiguë, mais c’était ce qui en faisait sa beauté. On était un peu trop fusionnel, mais j’avais besoin de ça. Parce que lui et moi, ça avait été un coup de foudre. Un de ceux qu’on ne pouvait pas expliquer, parce que ce n’était pas de l’amour, c’était bien plus que ça.

« On sort ensemble. »

Je laissais planer le doute quelques instants en gardant mon air sérieux, avant de rire de bon cœur. Bon ce n’était pas une super blague, mais je me demandais ce qu’il aurait pensé de cette relation. Je ne savais pas comment lui expliquer notre relation, je n’avais jamais mis de mot dessus.

« On peut dire qu’on s’est sauvé mutuellement et qu’on est assez proche. Mais rien de bizarre. C’est platonique. »

J’avais besoin de préciser qu’il n’y avait absolument rien de pervers. Je gardais mon sourire sur mes lèvres en pensant à lui. J’avais peut être eu un petit coup de cœur, il y avait Damon et personne ne lui arrivait à la cheville.

« Tu le connais bien ? »

J’aurai aimé être élève de Chung Jae, mais je n’étais pas certain qu’il puisse rester objectif avec moi. Alors ce n’était pas si mal que je ne puisse plus danser. Je me demandais aussi quelle relation il entretenait avec lui. J’étais un peu curieux. Parfois trop.

J’étais du genre taquin, mais j’avais un peu perdu mon envie de rire ces derniers temps. Je ne devais pas me laisser aller. Disons que cette petite séance m’avait donné du baume au cœur, je me sentais même un peu plus léger. J’étais arrivé sceptique et effrayé, mais je ne le regrettais pas maintenant. Je ne pensais pas que peindre me donnerait envie de parler. J’espérais que tout ce que j’avais partagé avec lui resterait entre nous. Je lui faisais confiance, Chung Jae ne m’aurait pas envoyé vers quelqu’un capable de me trahir. J’en avais assez d’être aussi fragile, de toujours marcher sur un fil et de ne pas savoir quand j’allais tomber. Je faisais de gros efforts ces derniers temps, mais ce n’était jamais suffisant. Je souriais en l’entendant. C’était bien plus que de l’attachement. Tellement plus.

« S’il m’a envoyé ici, c’est pour une bonne raison. Tu es doué. »

Je me disais que je pourrais sûrement recommencer, que ce serait bénéfique pour moi. Parler ne changeait pas le passé, mais il me permettait de faire face à mes démons, je devais arrêter de fuir et de me cacher. J’avais des amis, j’étais bien entouré, mais il y avait toujours ce vide en moi que je n’arrivais pas à combler. Je jouais avec ma tasse encore chaude. J’avais toujours les mains froides. Je relevais la tête un peu surpris par sa question. Je soupirais légèrement en me demandant ce qui se serait passé si j’étais resté en contact avec lui. Est-ce qu’il se serait passé quelque chose entre nous ? Est-ce qu’il m’aurait jeté et fait comme si rien n’étais jamais arrivé ? Je me posais trop de questions, alors que je n’aurais jamais les réponses.

« Non, ça fait deux ans que je l’ai pas vu ou que je lui ai pas parlé. »

Je me massais la nuque, et j’essayais de me convaincre que c’était une bonne chose pour moi, que j’avais fait le meilleur choix. J’avais du mal à y croire. Je n’avais pas cessé de penser à lui, je n’arrivais pas à rencontrer quelqu’un, à ouvrir mon cœur et encore moins à me laisser toucher. J’avais un blocage émotionnel que je n’arrivais pas à dépasser. Il fallait que je le vois absolument pour régler tous ces non-dits. Il y avait eu quelque chose entre nous mais j’étais incapable de mettre des mots sur ce qui nous liait.

« C’est un peu lui qui m’a mis dans cet état. Et je sais même pas si je suis en colère contre lui ou pas. J’ai toujours été un peu cinglé de toute façon. »

Je riais doucement. Il fallait être fou pour continuer à aimer cet idiot, mais je ne contrôlais rien, c’était plus fort que moi, et j’avais beau essayer de passer à autre chose, je ne pouvais pas tourner la page.

« C’est bête de reste accrocher à quelqu’un qui nous fait souffrir, mais mon cœur s’est lancé en free-lance, il veut plus rien savoir. »

Je haussais les épaules. J’en avais marre de me battre contre mes sentiments, c’était encore plus douloureux que de les accepter. Je faisais enfin quelques progrès. Il avait fallu quelques heures avec lui pour que je me rende compte de ce que je devais faire. Des années chez le psy n’avaient absolument rien changé.

« J’aimerai bien recommencer, la peinture tout ça. Si tu es d’accord ? S’il faut je demanderai à Chung Jae de te payer »

Je m’étais un peu libéré de mes chaines. Le chemin serait encore long, mais je commençais à être prêt. Il fallait que je parle à Damon et j’étais prêt à faire le voyage s’il le fallait.

JJe riais en l’entendant. En effet si Chung Jae avait entendu son conseil il aurait sûrement péter un câble et j’imaginais déjà sa tête. Je ne savais pas comment reprendre contact avec Damon. J’avais changé de numéro et supprimer le sien pour être certain de ne pas essayer de lui parler. Il y avait pourtant beaucoup de choses à dire, beaucoup de choses à expliquer et à mettre au clair. J’étais peut-être enfin prêt pour les entendre. Je savais qu’il avait raison. Mais j’étais un trouillard. J’avais peur qu’il me dise que ce n’était qu’un jeu, que tout se temps passé près de moi n’était que de la culpabilité, qu’il n’avait jamais apprécié ma présence. Il m’avait vu au plus bas, il me connaissait par cœur. Et je ne voulais pas croire que cette idylle n’était qu’une illusion, parce que je me remettais à peine de ma fuite, que son absence continuait de me tuer à petit feu. Il fallait vraiment que je le vois. Et vite.

« Faut que je m’achète un billet d’avion… »

Et s’il me claquait la porte au nez ? S’il avait déménagé ? J’avais vraiment coupé les points, je ne savais absolument plus rien de sa vie. Et je le regrettais amèrement puisque mes sentiments n’avaient pas changé et qu’ils s’étaient même renforcés. En effet, ça ne se contrôlait pas, mais on pouvait au moins essayer de ne pas les laisser nous submerger et gérer notre vie. J’étais faible face à cet homme, je l’avais toujours été. Je n’avais jamais accepté le fait de pouvoir aimer quelqu’un d’autre. Parce que je l’avais toujours su au plus profond de mon âme. Damon était le bon. Le seul. Et je préférais finir mes jours seul plutôt que de laisser d’autres mains se balader sur mon corps.

« Disons que niveau folie, je suis un niveau dessus de la plupart des gens. »

A croire que j’aimais souffrir. Discuter me faisait du bien, je me sentais à l’aise ici, à l’abris. Et j’étais content qu’il soit d’accord pour continuer à me voir. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire suite au surnom.

« Chung Jae m’appelle comme ça aussi…Indie. J’aime bien. »

J’attrapais le bout de papier en rougissant en voyant son numéro sur le bout de papier. Je ne savais pas pourquoi je me sentais gêné, il n’y avait aucun sous-entendus la dessus. Je le rangeais précieusement dans ma poche. Je l’ajouterai dans mon répertoire une fois que je serai retourné dans ma chambre. Il y avait certaines rencontres qui vous touchait plus que d’autres et celle-là avait été un coup de poing en plein cœur. Je ne m’attendais pas à me sentir si bien à ses côtés et surtout je ne pensais pas être prêt à m’ouvrir à un quasi inconnu. J’avais fait un grand pas aujourd’hui. J’allais m’entrainer un peu pour lui montrer que je pouvais m’améliorer en peinture même si ça n’allait pas être évident. Ce serait un moyen de m’occuper l’esprit.

« Je t’enverrai un message pour que tu aies mon numéro aussi. »

Je lui souriais gentiment en plissant le nez. Je me sentais épuisé. Je n’avais rien fait physiquement, mais émotionnellement, j’avais été mis à rude épreuve. Je m’étais même remis en question. J’allais sûrement faire une petite sieste.

« Merci pour tout, on se revoit vite. »

Je lui faisais un petit signe de la main avant de quitter la pièce. Il faudrait que je pense à remercier Chung Jae. Il avait toujours de bonnes idées, je ne savais pas pourquoi je doutais à chaque fois. Je lui faisais pourtant entièrement confiance. J’avais juste hâte de recommencer. Peut-être que je pourrais enfin essayer de parler d’autre chose que Damon, m’ouvrir à d’autres nouvelles choses et aborder des sujets un peu moins tumultueux. Il avait embelli ma journée sans le savoir.