Shion-sama, attendez moi à l'Arizona dans la zone ouest de la ville, j'arrive, je ne vous ai pas oublié.

Le SMS est envoyé et le petit brun lève légèrement les yeux à l'heure sur son mobile. 15h45. Il est vrai qu'il a "peut-être" oublié de mentionner à sa soeur qu'il l'avait oublié, les yeux rivés sur la cuvette. Mais ce n'est pas comme si Takuya était à court d'argument pour justifier ce probable oubli. Une raison faussement réellement qui expliquerait l'asymétrie d'information, comme le simple fait qu'il est en train de vivre un "lendemain de soirée difficile", plus qu'il ne l'avait imaginé pour être honnête.

Il lui reste approximativement 10 minutes pour être à l'heure au rendez-vous qu'il a lui même fixé quelques jours plus tôt pour offrir un cadeau à sa soeur. Un cadeau qu'il avait racheté après être tombé du haut des talons de Moeko... Un cadeau qu'il avait déchiré dans sa chute. Ce n'est pas que Takuya n'aime pas jeter les affaires, même celles qu'il considère comme inutilisable, mais cette jupe déchirée était un souvenir de "choses à ne jamais reproduire".

Quoi qu'il en soit, un bref jet d'eau et un brossage de dent intensif ne lui permettront pas d'ôter les odeurs de clope froide et de whisky qui ont imprégné sa peau. Il attrape le premier sac au vol sur le bureau de sa chambre commune avant de se jeter littéralement dehors pour rejoindre sa soeur.

Oubliant son téléphone.
Oubliant le bon paquet.

Takuya ne sera définitivement pas à l'heure, et quand bien même il remarque qu'il a oublié son téléphone lorsqu'il arrive au bout de la rue, il a la décence de ne pas faire demi tour pour retourner le chercher. Le japonais arrive tant bien que mal, une bonne vingtaine de minutes plus tard, au lieu de rendez-vous. Hors la loi, il descend du bus dans lequel il est monté clandestinement - sans prendre de titre de transport - et fait son cent mètre inhabituel pour arriver dans le salon de thé. Entrée fracassante de l'homme le moins élégant du monde en ce jour.

Une chose à faire : retrouver sa soeur dans la boutique, en espérant qu'elle n'est pas partie.

Agglutinée à son téléphone mobile, Shion ne faisait pas exception à la règle en restant plusieurs heures devant l'écran de son téléphone. Elle était connecté sur ses réseaux sociaux en cueillette d'informations inutiles sur la vie des gens. A vrai dire, elle avait cherché à prendre des nouvelles de son frère jumeau sans passer par la case, je lui envoie un message il m'répond ou il m'répond pas ou encore le bouche à oreille.

Se faire ignorer de la sorte aurait pu la soulager, mais la colère rongeait dans ses entrailles. Il devait encore traîner on ne sait où, à fêter et autre débauche qui emplissaient son quotidien d'étudiant. Puis sans ne plus attendre de ses nouvelles, elle reçut un message. Il se déroulait dans un vibrement devant ses yeux. Réaction stupide, la jolie japonaise ferma les yeux, le cœur battant à la chamade. Elle n'osait lire. Ok, elle avait l'habitude des absences rares de son frère, mais qu'il revienne toujours de la sorte avec un misérable message la blessait. Elle soupira et cliqua finalement sur la petite enveloppe sur l'écran tactile avant de se mettre à la lecture.

Elle n'allait pas lui répondre, quelle utilité ? Au pire, elle fermait les yeux et faisait mine de n'avoir rien reçu mais il lui manquait. Énormément. Tout avait été trop calme durant ces semaines. Et son petit doigt lui disait que encore une fois Takuya avait fait une connerie et qu'elle allait devoir l'aider, encore une fois.

Soupirant d'exaspération, elle rangea finalement son cellulaire dans la poche arrière de son jean et choppa la lanière de son sac avant de sortir de son petit studio. En chemin, elle croisa son voisin qui lui faisait un peu du rentre de dedans avec des sourires en coin. Qui pouvait l'ignorer ? Une aussi belle créature, même les traits de son visage déformés par la colère de son frère la rendait irrésistible. Mais elle ne s'en formalisa pas et grogna en descendant les marches de la cage d'escalier, direction l'Arizona.

Le chemin se passa tranquillement, elle avait prit le bus pour ne pas utiliser trop d'essence avec sa toute nouvelle voiture. Il avait fallu dix minutes tout au plus en sachant qu'il était arrivé en avance. Maintenant, elle attendait sagement en regard autour d'elle, à la recherche de son frère. Ses talons résonnaient sur le parquet boisé du salon de thé. Par politesse, un jeune serveur vint prendre commande auprès de la jeune femme qui refusa d'un geste de main, continuant à faire les cents pas. Pourquoi faire semblant ? Elle était énervé et en plus monsieur se faisait attendre. Franchement pourquoi s'était-elle déplacée ?

Prostré devant l'entrée, il la chercha du regard et elle s'approcha de lui en croisant les bras. Rien qu'à sa tête et à l'odeur nauséabonde qui émanait de son frère, elle comprit qu'il sortait d'un lendemain de soirée.

« Qu'est-ce que tu veux ? »

Shion a toutes les raisons du monde d'en vouloir à son frère. Frère irresponsable et faisant encore preuve d'immaturité. Néanmoins, malgré le fait qu'il est certain qu'elle lui en veut, Takuya est certain qu'elle lui pardonnera d'ici quelques minutes. Depuis le temps, le japonais est certains de connaître sa petite soeur sur les doigts de la main, ou du moins... Presque.
C'est d'ailleurs pour ça qu'il ne va pas la soudoyer avec ce cadeau qu'il tient entre ses mains, mais bel et bien grâce à ce sourire innocent qu'il lui jette lorsqu'elle se retrouve devant lui. Ces bras croisés prouvent son l'énervement de cette dernière et Takuya est désormais certain que son retard a bel et bien joué sur la patience de la belle Shion. Il s'en veut. Temporairement, comme toujours. Il s'en veut de la voir aussi grognon, mais il la trouve toujours aussi mignonne avec cet air renfrogné.
Pas le temps de saluer sa soeur bien-aimée. Cette dernière lui pose une question pleine de sous-entendus. Ce qu'il veut ? Il est temps d'adopter un air de chien battu incompris. Cette question n'a pas lieu d'être et plutôt que de répondre, Takuya attrape lui attrape une main avec celle qu'il a de libre pour tirer la brunette vers une table vacante.

Bébé, est-ce qu'il me faut toujours une raison pour vouloir te voir ?

Bébé. Cela faisait un moment qu'il ne se souciait plus de ces familiarités avec Shion. S'exprimant en japonais sans se soucier des coréens aux alentours, il n'avait pas peur d'avouer, à sa manière, son attachement à la demoiselle. Oui, Shion c'était son bébé, sa moitié quoi que les autres puissent en dire. Il s'assoit, sans la quitter des yeux ni lâcher sa main, cherchant un signe qui finira par lui indiquer que sa soeur se décide enfin à baisser sa garde, qu'elle ne lui en veux plus. Il faudra du temps, beaucoup d'âneries et une dose de culpabilité pour réussir — Takuya est loin d'abandonner. Il a toujours un cadeau à offrir à Shion aujourd'hui.

Je sais que je suis un frère indigne, mais tu veux bien me pardonner pour cette fois ?

Cette fois comme toutes les autres fois, et comme à chaque fois, c'est l'argument qu'il sort. Le japonais sait pertinemment qu'elle va le lui reprocher et pourtant, il lui tend une perche. Peut-être qu'une fois son sac vidé, Shion se détendra : c'est ce qu'il espère. En attendant, il pose discrètement le sac entre ses jambes pour lever cette même main à l'attention du serveur. Qu'il se dépêche songe-t-il, le fait de commander à boire va détourner la conversation, non? C'est d'ailleurs pour ça qu'une fois la main baissée, il tire la carte posée sur la table — toujours tenant fermement la main de sa soeur — pour regarder le type de boisson proposée ici.

C'est moi qui régale. Tu veux quelque chose de chaud ou froid ? Une glace ?

Tentative de corruption en approche. Pourvu qu'elle plonge.