Bunker #2

Lorsque la sirène a retenti, mon cœur a fait un énorme bond dans ma poitrine. Même depuis la salle de bain, avec mes écouteurs dans les oreilles, j’ai pu entendre ce bruit oppressant. J’ai recraché mon dentifrice, rapidement nettoyé ma bouche avant de courir hors de la pièce en demandant à tous mes camarades ce qu’il pouvait bien se passer. Je me suis mise à paniquer en les voyant s’agiter dans tous les sens, certains étaient en larmes, d’autres tellement concentrés qu’ils me bousculèrent sans crier gare pour aller voir ce qu’il se passait dehors. Pendant un moment, j’ai cru à la fin du monde. Mon premier réflexe fut de courir dans ma chambre, me mettre sous mes draps et appeler mes parents. Aucune réponse. Je sentais les larmes me monter aux yeux et mes camarades hurlant autour de moi ne me rassuraient vraiment pas. Je ne comprenais plus rien, je n’arrivais même plus à déchiffrer le coréen, rien. C’est un membre de la fratrie, lui aussi japonais, qui m’a tiré hors de ma couche pour m’annoncer qu’il s’agissait d’une alerte à la bombe et qu’il fallait évacuer les lieux pour nous rendre dans des bunkers. J’avoue que je n’étais pas sûre d’avoir bien compris sur le coup, j’avais l’impression que même mon japonais me laissait tomber, que tout me laissait tomber. Je n’étais plus qu’un être humain voulant sauver sa peau. Je suis donc sortie, entraînée par la foule pour me retrouver sous une pluie torrentielle et face à des centaines de gens courant comme si leur vie en dépendait. Et pour le coup, c’était vrai. Je me suis mêlée à tout ce monde, courant aussi vite que possible en essayant de suivre quelques sangos. J’étais seule, seule dans un pays étranger loin de ma famille et j’allais peut-être mourir ici. Mes larmes se mélangeaient à l’eau de pluie inondant mon visage, mes pieds m’emmenaient dans un lieu que je ne connaissais pas, je contournais des voitures abandonnées là en plein milieu de la route, des motos renversées sur le sol. J’ignorais les gens, j’ignorais la voix qui s’adressait à nous par les interphones, j’ignorais tout et c’est ce qui fait que je me suis brusquement retrouvée par terre. Trébuchant sur un vélo abandonné là, j’ai atterri tête la première sur le béton. Plus de peur que de mal, je me suis retrouvée avec l’arcade sourcilière ouverte et des éraflures aux bras et aux jambes. Cela ne m’a pas empêché de me relever et de courir pour rejoindre les bunkers. Une course si intense que je me suis tout bonnement laissé tomber sur le sol une fois entre les quatre murs, à bout de souffle. Et j’ai encore pleuré. Le peu de coréens qui venaient me voir pour s’assurer que j’allais bien se retrouvaient face à une muette, une muette qui fixait la porte blindée comme si elle attendait qu’un miracle se produise, les bras entourant fermement ses jambes ramenées le long du corps. « À l'aide... » ai-je alors murmuré dans ma langue natale, complètement déboussolée.