but a real friend wouldn't do that
J’avais suffisamment attendu pour me résigner à quitter mon poste par pur esprit de lâcheté. Les mains fourrées dans les poches d’un long manteau aux imprimés si démodés qu’ils en deviendraient vintage, je soupire en fixant les aiguilles de la grande horloge incrustée dans la pierre de l’université. Je n’ai jamais su dire si elle marchait mais chaque fois que je m’étais fiée à elle, j’avais été en retard. Et d’y penser, ça me ramène à des souvenirs heureux, si heureux parce qu’à l’époque, je pensais avoir enfin trouvé l’équilibre qui manquait à ma vie ; et qu’est-ce que je m'étais trompée.
J’avais tout quitté du jour au lendemain. Mes études ici, à la Yonsei. La fraternité qui m’avait vue grandir et m’épanouir. Mes parents qui m’ont tout donné et à qui je n’ai jamais eu la décence de dire merci. Je n’avais fait mes adieux à personne, parce que sur le moment j’avais pensé que ce serait des adieux et non des au revoir.
Deux ans plus tard, l’anonymat le plus complet me pend au nez mais il me fait autant de bien que l’air frais qui souffle sur la capitale. J’aurais pu planifier un million d’excuses toutes préparées qu’elles n’auraient pas suffit à justifier mon départ si soudain pour Vancouver. Je pensais pourtant pouvoir m’y faire. Bêtement, j’avais pensé que de me détacher de tout ça, dans le fond, ça n’allait pas être compliqué. Jusqu’à un certain point.
Et si aujourd’hui, Eun San refusait de me parler, si elle refusait d’écouter mes excuses et mes explications, comme les autres l’avaient fait en me claquant la porte au nez sans même me donner la chance de justifier mes actes et mon comportement, je l’accepterais sans doute par pur retour de bâton ; en me disant que je l’aurais mérité.
Alors je ne sais plus trop ce que j’attends en me levant des bancs de la faculté d’Histoire. Mais quand je l’aperçois avec son sac à l’épaule, mon sourire apaisé est immédiatement suivi d’une douleur étrange qui me tord le ventre ; un trac incroyable qu’on n’est pas censé éprouver entre amis (ou plus précisément, entre amis qui n’ont rien à se reprocher). Et ce n’est pas mon cas. Des choses à me reprocher j’en ai tellement que je voudrais faire demi-tour. Je suis déjà une menteuse aux yeux de tous, faire de moi une lâche n’en étonnerait pas moins les gens.
Au milieu des tambours qui s’animent dans ma tête, je m’engouffre dans son sillage et récupère au sol un tissu qui ressemble à une écharpe. Nerveusement, je me dis que c’est un signe du destin. C’est stupide. Et je m'élance pour tapoter doucement son épaule. "Excuse-moi ! T'as fait tomber ça en chemin." Je n'aurais pas pu rêver pire comme technique d'introduction après deux années complètes sans donner de mes nouvelles, au-delà de quelques réponses vagues et franchement impersonnelles à ses SMS. "Hey..." Supplément phrase clichée ; histoire de compléter le combo de la bonne vieille amie en carton qui aurait tellement de choses à dire qu'elle n'en dit aucune.