Junwan ne répond rien. Il n’y a rien à répondre. Il a déjà tout dit. Quoi qu’il dise, Lucas continuera à s’excuser. À dire qu’il est désolé d’être son ami. S’il lui interdit de le dire, il continuera à le penser. Il est inutile de répéter ce qu’il vient de dire à l’instant, les mots sont inscrits dans la tête de Lucas et seront utiles au moment venu. Au moment où il sera prêt à les accepter, à changer de point de vue.
Sans rien dire, il le prend dans ses bras quand il pleure, le console en tapotant délicatement son dos quand il parle. Junwan a toujours pensé que tout ce dont Lucas a besoin, c’est de l’amour. L’amour qu’il n’a pas reçu de sa mère, l’amour qu’il ne s’est jamais autorisé à recevoir. Il aimerait que son amour, à lui seul, permette à Lucas d’aller mieux. Mais les choses ne sont pas aussi simples.

Puis l’annonce tombe, celle à laquelle il ne s’attendait vraiment pas, lui qui a toujours cru que Lucas aimait les filles, lui qui a toujours pensé qu’il n’avait aucune chance, lui qui a toujours aimé en silence - mais pas en secret. Les battements de coeur qui se multiplient, l’hésitation sur comment lui dire qu’il n’avait pas compris jusqu’à là.
Il ne veut pas le rendre mal-à-l’aise. Il essaie d’être honnête tout en restant naturel, de lui faire comprendre sans trop le surprendre, mais quand Lucas répond, quand il entend le Huh, puis le Oh résonner dans ses oreilles, il comprend que ses efforts sont vains. Quoi qu’il arrive, la nouvelle le surprend forcément, tout comme il a lui-même été étonné d’apprendre que Lucas aime aussi les garçons.

Si Junwan était du genre à être facilement embarrassé et timide, il réagirait comme Lucas. Il éviterait son regard, baisserait les yeux pour cacher les rougeurs sur ses joues. Heureusement pour lui, il est né avec une aisance particulière pour affronter même les situations les plus gênantes.
Même dans cette situation où il est à quelques centimètres de celui qu’il aime, il peut maintenir son regard sans rougir. Ca ne change rien à son coeur qui s’agite, à la pression qu’il ressent soudainement dans l’air - eux qui à l’instant se serraient dans les bras sans aucun problème.
Le manque du toucher de Lucas se fait clairement ressentir mais il comprend sa réaction. Il se doutait qu’il aurait une telle réaction s’il l’annonçait.
Puis un léger sourire naît que ses lèvres. Il a presque envie de lui demander pourquoi cette annonce le perturbe autant. Junwan n’a pas été aussi perturbé quand Lucas lui a dit. Néanmoins, il ne pose pas la question. Il est à peu près certain que Lucas ne connaît pas la réponse et peut-être même que Junwan ne veut pas entendre sa réponse. Il préfère garder en tête sa réponse à lui.
« Oui, on est quitte » répond-il simplement, d’un ton un peu amusé.

Et la nouvelle question tombe. Le sourire de Junwan s’efface, son regard perd le focus. C’est comme si un poids soudain lui tombe sur le coeur et l’étouffe, Lucas lui tend clairement la perche pour le dire mais il ignore lui-même ce que Junwan est capable de dire.
Puis, il sait que ce n’est pas comme ça qu’il doit le dire. Ce n’est pas de cette façon qu’il veut le dire. Pas en ayant sous les yeux un Lucas larmoyant.
« Mmh... » Il semble hésiter une seconde, puis son sourire réapparaît. « J’ai effectivement autre chose à te dire. Mais je ne te le dirai pas. » Parce qu’il ne veut pas mentir. Il ne veut plus cacher. « Je veux que ça te travailles et que tu y penses souvent. À ce que je dois te dire mais que je ne t’ai pas dit. » Honnêteté peut-être un peu trop importante, mais il n’a pas honte de lui dire qu’il veut être dans ses pensées. 

Lucas avait envie de s'enterrer dans un trou. Il avait l'impression que Dieu se foutait de sa gueule et jouait avec sa vie, tout le temps, constamment. En fait, ce n'était pas une impression. Depuis sa naissance, Dieu jouait avec sa vie comme s'il était sa pièce favorite de l'échiquier. Lucas était convaincu que Dieu n'existait pas, il n'y croyait pas mais quand il faisait face à ce genre de situation, il se disait qu'il devrait peut-être y croire, car sa propre vie était une preuve que Dieu existait et que Dieu était cruel, très cruel.
Ou peut-être que c'était l'inverse.
Peut-être que Dieu était gentil, très gentil.
Lucas ne savait plus où se donner la tête.

Junwan avait l'air si peu secoué par la nouvelle que le garçon remit en question sa propre réaction. Pourquoi est-ce qu'il réagissait comme ça ? Ce n'était pas comme si Junwan lui avait avoué ses sentiments ou quelque chose du genre, il n'y avait absolument rien de romantique. C'était juste lui qui avait dit à son ami qu'il était bisexuel et cet ami qui avait répliqué qu'il était homosexuel. Ça revenait au même que s'il avait dit à une fille qu'il était bisexuel et qu'elle avait répliqué qu'elle était hétérosexuelle.
Non ça ne revenait pas au même.
La différence entre être avec une fille hétérosexuelle et un garçon homosexuel, c'était que la société acceptait les relations garçon-fille. Que donc, Lucas avait déjà eu des expériences avec des filles. Il avait déjà embrassé des filles, était déjà sorti avec, les avait déjà aimé sans qu'il n'y ait le moindre problème. Mais les garçons, c'était différent. Aimer les garçons c'était un secret qu'il avait profondément enterré dans son cœur car ce n'était pas bien vu. Et puis, lui qui était bisexuel, il s'en sortirait très bien sans dévoiler sa sexualité au monde entier puisqu'il lui suffira de choisir une fille.
Ah, si seulement la vie était aussi simple.

Le regard rivé sur le sol, les mains cachant ses oreilles rouges, Lucas préféra changer de sujet et demander si Junwan avait autre chose à lui dire, puisque lui venait littéralement de lui dire ses deux plus gros secrets. A vrai dire, il ne s'attendait pas à ce que son ami ait quoi que ce soit à lui dire. Il lui avait déjà dit qu'il était homosexuel et il pensait que ce serait donc son seul secret. Les gens n'avaient habituellement pas plusieurs secrets, comme lui en avait.
Mais il s'était trompé.
L'américain releva son regard sur son ami d'un air surpris.
Il avait autre chose à lui dire.
Il ne lui dira pas.
Car il voulait que Lucas y pense.
Que ça le travaille.
Lucas ne sut pas quoi répondre. Il se contenta de le fixer du regard, ahuri. Il ne s'était pas attendu à ce que Junwan ait effectivement quelque chose d'autre à lui cacher et surtout, qu'il ne veuille pas partager ça avec lui. Pourquoi ? Pour que Lucas pense souvent à son secret ? Lucas ne comprenait pas ce qu'il voulait dire et pourtant, il avait l'impression que si, vu la façon dont son cœur se chauffait de nouveau.
« Oh, » dit-il lorsque le silence s'étala un peu trop longtemps. « D'a... D'accord. » Il n'avait pas vraiment d'autres choix que de coopérer. Il l'aurait probablement taquiné sur le sujet en le mitraillant de questions pour essayer de lui tirer les vers du nez si la situation était normale. Car là, Lucas se sentait trop timide, trop secoué, pour tenter d'agir comme un ami normal avec Junwan. Ils étaient toujours amis, leurs aveux ne devraient rien changer et pourtant, c'était comme si tout avait changé pour Lucas.

Il se racla la gorge et se leva. Ils n'allaient pas rester toute leur vie dans les vestiaires. Et puis, Lucas avait un peu trop chaud, là. Il remettait la faute sur la chaleur et puanteur des vestiaires alors qu'il savait très bien que ça ne venait pas de ça. « Je vais me changer. » Puisque Lucas s'était directement endormi lorsqu'il s'était dirigé vers les casiers, il ne s'était même pas changé, était resté dans ces vêtements puants de sport. Maintenant qu'il y pensait, il ne devait ressembler à absolument rien et ne même pas sentir bon. Oh, quelle honte...
Et pourtant, Junwan l'avait quand même pris dans ses bras.
Il se força à penser à autre chose alors qu'il sortit ses vêtements de ville de son sac. Il se douchera au dortoir comme il avait l'habitude de faire après le sport. Il enleva son t-shirt de sport et prit celui de ville quand son regard traîna un peu trop vers la gauche et qu'il croisa les yeux de Junwan. Ce n'était pas la première fois qu'ils se retrouvaient à se changer ensemble puisqu'ils étaient tous les deux du club de volley. La différence c'était que là, Lucas était en train de se changer seul. Et surtout, que Junwan n'était plus qu'un ami comme les autres.
Lucas détourna vite le regard et mit son t-shirt avant d'enchaîner avec ses autres affaires parce que la tension dans l'air l'étouffait, et il ne savait même pas d'où elle venait. Peut-être qu'il se mettait la pression tout seul. Il avait hâte de sortir de ces vestiaires et de reprendre l'air frais.

Il attrapa son sac et le mit sur son épaule. Ses yeux eurent l'intention de regarder Junwan dans les yeux mais pour une raison inconnue, il avait l'impression qu'il n'arriverait pas à supporter son regard. Alors il se contenta de fixer le sol sale. Juste à côté de lui. « C'est bon, allons-y. » Lucas fut le premier à pousser la porte des vestiaires et à sortir, puis prit une grosse bouffée d'air frais. Il était censé travailler ce soir mais il n'était pas sûr de pouvoir se concentrer sur ses formules de physique, là.

Jun Wan sait pertinemment que sa réplique est mal un peu tordue. Il a parfaitement conscience qu’ici, il fait preuve d’égoïsme en voulant que ce secret qui les sépare torture les pensées de Lucas, que ça surgisse dans ses pensées de manière imprévue, que ça tourne en boucle et que ça ne soit pas chassé même quand il essaiera de passer à autre chose. Néanmoins, il n’y peut rien, Jun Wan reste un homme amoureux, un homme imparfait, et aussi égoïste cela soit-il, il veut que Lucas pense à lui presque aussi souvent que lui pense à Lucas.
Le rouge sur les joues de Lucas le rend particulièrement adorable aux yeux du cadet. Il n’a pas souvenir de l’avoir déjà vu aussi embarrassé en sa présence, aussi conscient de lui. Parce qu’il essaie peut-être de le cacher, mais Jun Wan lui en lit comme dans un livre ouvert : il peut presque entendre les pensées dans la tête de Lucas tellement il le connaît.
« Je t’en prie » répond simplement Jun Wan avec un ton un brin moqueur. Il s’éloigne de son ami pour ne pas le perturber davantage - c’est adorable à regarder mais un peu cruel aussi - et sort son téléphone pour ne pas que Lucas se sente observé pendant qu’il se change. Ils se sont changés pendant des années sans que cela ne cause le moindre problème, mais dans l’immédiat, avec les révélations qui viennent d’être faites, Jun Wan est à peu près certain que s’il regardait Lucas se changer, il deviendrait aussi rouge qu’une tomate.
Au bout de plusieurs minutes, Lucas lui annonce qu’il a terminé et Jun Wan range son téléphone dans son sac. Il le suit dehors et il a déjà oublié pourquoi il était rentré dans les vestiaires de base. Il n’a plus du tout envie de faire du sport. « Bon, vu l’heure, je vais te laisser, j’ai quelque chose à faire. Je te laisse rentrer au dortoir par toi-même ! » dit-il en souriant. Et Jun Wan se dirige vers la direction opposée aux dortoirs, non pas parce que comme il l’a dit, il a quelque chose à faire mais simplement parce qu’il se doutait que, dans l’immédiat, Lucas préférerait faire le trajet seul qu’avec lui. Il rentrerait un peu plus tard, après avoir fait une petite balade.