Cela fait plusieurs fois que tu passes devant la vitrine de cette toute nouvelle librairie fraîchement installée en centre ville de la Digital City. Et si, jusque là, le féru de lecture que tu es n'a malheureusement jamais trouvé le temps de s'y arrêter, c'est un sourire ravi qui vient légèrement étirer le coin de tes lèvres quand tu pousses enfin la porte de la boutique. D'ailleurs, à peine à l'intérieur, tu es immédiatement accueilli par une jeune femme d'à peu près ton âge - à vue d’œil mais t'es un peu nul pour deviner l'âge des gens, donc tu n'en mettrais pas vraiment ta main à couper – et une expression des plus surprise s'empare de ton visage lorsque celle-ci se présente à toi comme étant la propriétaire des lieux. C'est que tu ne t'attendais pas à ce que la gérante d'un tel endroit soit si jeune. Car faut dire ce qui est - même si c'est un peu cliché - mais généralement, quand tu vas dans une librairie, la personne se trouvant derrière la caisse a bien souvent l'âge de tes parents, si ce n'est plus. Pour autant, une fois l'étonnement passé, tu lui adresses un sourire, avant de t’engouffrer dans le premier rayon sur ta droite. Ni plus ni moins que le rayon réservé aux polars et aux thrillers. Et après plusieurs minutes à piocher au hasard quelques livres par ci par là, à la recherche de celui qui pourrait te tenir compagnie durant tes prochaines soirées, ton regard est attiré par le titre de l'un d'entre eux dont tu te mets aussitôt à lire la quatrième de couverture, intrigué...

C’est une habitude d’auteur ou peut-être l’expression de son égo… Nijirō aime traîner en librairie pour essayer d’y trouver son premier roman. Parfois, ça l’aide à réaliser qu’il a vraiment publié ce livre… Alors qu’il est en pleine écriture d’un second ouvrage et autant dire que tout ne se passe pas comme prévu. Le syndrome de la page blanche est lui aussi bien réel. Il faut dire que tout est compliqué dans sa vie en ce moment. Difficile de se poser pour coucher une histoire sur papier, façonner des personnages crédibles et attachants, ficeler une intrigue haletante pour les lecteurs. Avec tout ça, il ne prend plus le temps de lire non plus. C’est peut-être ça aussi le problème. S’il reprenait de bonnes habitudes de lecteur, peut-être que l’envie de créer reviendrait, que la machine de l’inspiration se mettrait de nouveau en route… Alors, en sortant du travail, sans traîner pour une fois, il décide de passer en librairie. Cela tombe bien, il entendu dire qu’une nouvelle boutique venait d’ouvrir. C’est aussi l’occasion d’être curieux. Ce qu’il lit en majorité, ce sont des thrillers et des polars. Comme ce qu’il écrit en fin de compte. Alors c’est dans ces rayons qu’il va fureter. Il ne s’attendait pas à tomber nez-à-nez avec quelqu’un en pleine lecture de la quatrième de couverture de son propre roman. Parfois ce qui intrigue, c’est que son nom soit japonais. On s’attend à ce que l’ouvrage soit une traduction, mais non, il a bel et bien écrit en coréen. Ce n’est pas sa langue maternelle, mais il a longtemps vécu à Séoul, vivant actuellement dans cette capitale, il a fait ce choix. Ce qui lui a aussi permis de travailler activement sur la traduction japonaise, qui pour le coup est sa langue maternelle. De concert avec un professionnel du domaine évidemment, la traduction n’étant pas son métier, mais il avait un droit de regard.

- Si j’étais vous, je ne prendrais pas ce roman, il lance pour attirer l’attention du jeune homme, d’abord pour plaisanter, mais… Il constate qu’une partie de lui le pense réellement.

Le syndrome de la page blanche a visiblement amené un ami avec lui, le syndrome de l’imposteur… Parfois, Nijirō ne se sent ni capable, ni compétent pour écrire un deuxième roman...

En grand lecteur que tu es, l'énorme bibliothèque qui trône fièrement dans le salon de ton appartement regorge d'un tas de livres en tout genre. Des dizaines de livres - que dis-je, des centaines - que tu as déjà lu au moins une fois. Tous, sans exception. Et parmi eux, certains que tu as trouvé très bons, mais bien plus que tu as trouvé bofs ou passables. Faut dire que tu peux parfois être difficile à contenter, à ce niveau. Ce qui ne veut pour autant pas dire que ces livres sont nuls. Simple question de goûts, voilà tout. Et comme on dit, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Pourtant, si tu sais que trouver un livre qui te plaît ne sera pas tâche aisée, c'est avec confiance que tu te mets à arpenter le rayon thriller de cette librairie. Et une fois ton dévolu jeté sur l'un des romans proposés, ton regard parcourt le résumé de ce dernier, avant de finalement s'arrêter sur ce petit petit encart, tout en bas, réservé à la photo et à la présentation de l'auteur. Auteur que tu ne connais pas, mais justement, c'est l'occasion d'apprendre à le connaître un peu en lisant son roman. Cependant, et alors que ton choix semble être fait, une voix te sort de tes pensées, te conseillant de ne pas prendre ce roman. Et si l'on peut d'abord lire une certaine incompréhension sur ton visage à l'entente de ces paroles, celle-ci laisse rapidement sa place à de la surprise lorsque ton regard fait un, puis deux allers/retours entre la personne qui se tient devant toi et la photo qui orne la quatrième de couverture. Et finalement, un léger sourire en coin vient doucement étirer le coin de tes lèvres. Un sourire amusé, tandis que tu décides de jouer le jeu. « Ah bon ? Pourtant, il m'a l'air plutôt pas mal ! Vous l'avez déjà lu ?! » Question rhétorique, évidemment. D'ailleurs, sans même lui laisser le temps de répondre, tu lui tends la main, tout sourire. « Au fait, moi, c'est Dae Joon ! Ravi de vous rencontrer ! »

Nijirō est toujours fier de voir son roman trôner dans certaines librairies. Il n’est pas vendu dans toutes les enseignes puisqu’il est publié à compte d’auteur, alors le sentiment de trouver son ouvrage en rayon est toujours particulier. Néanmoins, en ce moment, son syndrome de l’imposteur est fortement présent. Il ne se sent pas légitime. S’il n’a pas été publié par une maison d’édition, c’est que son travail n’est pas abouti. Pourtant, ça ne veut rien dire. D’autant plus que Nijirō n’a pas démarché d’éditeurs pour ce premier roman, il voulait le faire lui-même, pour tenter et surtout, pour ne pas dénaturer son récit. Il ne voulait pas qu’on l’oblige à changer des éléments qui lui tenait à cœur. Attention, il ne dit pas qu’une maison d’édition n’est inutile, les commentaires d’un éditeurs peuvent être un atout et un plus pour améliorer son travail. Cependant, pour une première publication… Il voulait tenter en étant à 100% lui-même dans son écrit. Il est loin d’être le prochain Stephen King, mais son thriller horrifique rencontre tout de même son public, à une modeste échelle. Il a déjà fait quelques dédicaces et échanger avec les lecteurs, c’est ce qu’il préfère. Entendre leurs théories, leur avis, ce qu’ils ont aimé… Ou parfois ce qu’ils ont moins aimé. Ça fait toujours mal d’entendre une critique négative, mais si elle est constructive, on essaie de s’en servir pour mieux rebondir.

Toutefois, son rapport à l’écriture reste difficile dernièrement… Nijirō essaie d’écrire un second roman, mais il se heurte à son syndrome de l’imposteur. Sans oublier la page blanche, le cauchemar de tous les auteurs… D’ailleurs, en parlant de lecteur… Un jeune homme semble intéressé par le roman du Japonais. En tout cas, il a pris l’initiative de lire le résumé. C’est déjà un premier pas… Qui sait, peut-être qu’il n’aimera pas du tout et qu’il le reposera ? Un léger rire, c’est tout ce qui lui échappe à la question du jeune homme, qui ne manquera pas de faire le rapprochement puisque la photo de Nijirō est sur la quatrième de couverture. Il se souvient de quand cette photo a été prise et aussi qu’Iseul l’a aidé à la choisir.

- Itō Nijirō, enchanté. Je n’ai pas vraiment eu besoin de lire ce livre. Ou plutôt, disons que je l’ai lu et relu, au point d'avoir envie de le brûler, il rectifie avec un rire.

Les joies des corrections et des relectures…

- Mais je pense que vous avez compris…

Sa conclusion n’est pas du tout présomptueuse, il a juste l’impression que le jeune a très bien compris qui il était. Pas difficile avec la photo sur la quatrième de couverture. Les auteurs savent observer, on les trompe rarement.

Quelles étaient les chances que tu tombes sur l'auteur du livre dont tu viens tout juste de lire - complètement par hasard - le résumé, au beau milieu de cette boutique à peine fréquentée ? Probablement une chance sur un million ! Et pourtant, le voilà, juste en face de toi. Et, sur le moment, t'as l'air un peu bête à faire des allers/retours entre lui et cette photo qui se trouve sur la quatrième de couverture pour bien t'assurer que tu ne te trompes pas et qu'il s'agit bien de lui. Mais oui, c'est bien lui et, une fois la surprise de cette rencontre totalement inattendue passée, c'est un sourire qui vient prendre possession de ton visage face à l'humour du jeune homme. Du moins, tu supposes que cela en est. Tu aurais bien du mal à croire que ce dernier veuille volontairement boycotter les ventes de son propre livre. Un livre dont le résumé t'a – semble-t-il – fait plutôt bonne impression, d'ailleurs. Pour autant, tu ne peux que le comprendre lorsque celui-ci t'avoue avoir eu envie de se servir de son bouquin comme combustible, après avoir dû le lire et le relire plusieurs fois. Un peu à l'image de ces chanteurs qui, après avoir performé une de leurs chansons des milliers de fois, ne peuvent plus se la voir en peinture... « Je me doute que ce n'est pas forcément la partie la plus amusante du métier... » Toi qui aimes pourtant lire, il y a de fortes chances que tu ais aussi envie de brûler un livre si l'on « t'obligeait » à le lire encore et encore. « Mais dites moi, on ne se serait pas déjà croisé quelque part ? J'ai l'impression de vous avoir déjà vu... » Fronçant les sourcils, tu tentes toutefois de te rappeler où, avant de finalement ajouter dans un rire en agitant légèrement le livre que tu tiens : « J'veux dire, autre part que sur la quatrième couverture de ce livre ! »

La coïncidence est plutôt cocasse, d’autant plus que son roman est auto-édité et donc distribué dans peu de librairie. Nijirō a démarché quelques enseignes indépendantes qui pourraient être intéressées pour le proposer. Par chance, certaines ont accepté. Sinon, il est disponible en ligne sur le site officiel de Nijirō. Il ne vit pas de sa plume, mais ce n’est de toute manière pas son objectif. Si cela arrive un jour, tant mieux. Toutefois, il n’est pas certain de ne pouvoir faire que ça de sa vie. Il adore écrire, bien que le syndrome de la page blanche le suive depuis un certain temps maintenant… Néanmoins, Nijirō ressent aussi le besoin de prendre du recul par moment. Il tient à ce que l’écriture reste un plaisir, un moyen de s’évader. Il a conscience que la pression, les dead-line et les commandes d’éditeurs pourraient nuire à sa créativité. Il est fier de son premier polar. Il prend place au sein d’une équipe médicale en chirurgie pédiatrique, à Tôkyô. Étrangement, de nombreux décès sont survenus lors d’intervention à priori sans risque… Pour en savoir plus, il faut évidemment lire le roman. Nijirō Connaît le milieu médical, puisqu’il a été jusqu’en sixième année de médecine. Ça lui tenait à coeur de l’explorer pour son premier écrit, bien qu’il ne soit plus en bon terme avec ce domaine.

- Pas vraiment, mais c’est le jeu aussi. Ce serait dommage de proposer un ouvrage truffé de fautes et d’incohérences à de futurs lecteurs. Surtout qu’en tant qu’auteur indépendant, j’ai moins le droit à l’erreur. Je ne peux compter que sur moi-même pour vendre mes romans et les quelques librairies qui acceptent de les vendre.

Nijirō s’est tout de même entouré d’une petite équipe pour l’aider à corriger son roman, pour la mise en page, la création des couvertures et même pour la traduction en coréen. Puisqu’il vit dans ce pays depuis un moment, il voulait pouvoir proposer son livre en japonais et en coréen. C’était un sacré coût, mais il en est fier. Il y a mis presque toutes ses économies, alors évidemment, il ne peut pas le faire tous les quatre matins. De toute façon, ces derniers mois, il n’arrive plus à aligner deux mots. Pour l’aspect financier et distribution, c’est tout de même pas mal d’avoir une maison d’édition… A l’avenir Nijirō n’est pas fermé à l’éventualité, mais démarcher les maisons d’éditions, ce n’est pas dans ses projets pour le moment. Il faut encore qu’il écrive un manuscrit potable pour un éventuel second roman, à ce rythme, ce n’est pas prêt d’arriver. Nijirō fronce les sourcils.

- Hm… C’est possible. Écrire des romans est une passion comme une autre, particulièrement chronophage et peu économique quand on s’édite soi-même, mais à côté de ça j’enseigne à la Yonsei et dans un lycée… Peut-être dans ce cadre-là ?

Il doit reconnaître que son visage lui semble familier aussi, maintenant qu’il le dit…