Il fait toujours beau au-dessus des nuages… Après la pluie, vient le soleil. Ce sont des adages que l’on entend souvent quand on traverse une mauvaise passe. Kikunae n’a jamais été du genre à se laisser abattre. Ses liens peu fusionnels avec ses parents l’ont forcé à s’endurcir et ne compter que sur lui-même. Il ne considère pas avoir eu une vie particulièrement difficile. Il n’a pas grandi dans le meilleurs des foyers, les absences de son père, la lourde évidence jamais énoncée à voix-haute que ses parents auraient probablement été plus heureux s’ils avaient divorcés… Tout cela lui a aussi appris à enfouir ses émotions au plus profond de son cœur. Une poignée de personnes seulement peut se targuer d’avoir été témoin de la sensibilité de Nae. C’est bien pour cela qu’il s’est renfermé ces dernières semaines, parce qu’il n’arrivait pas à tout garder pour lui. Il était vulnérable. Blessé par des sentiments qui ne lui ont pas été retourné. Même Hayden a remarqué que son meilleur ami n’allait pas bien, c’est pour dire. Les quelques messages d’Haru sont restés sans réponses. Puis ils se sont espacés, pour finalement ne plus lui parvenir. Le musicien lui en veut peut-être de garder le silence… Nae n’en tient aucunement rigueur à Haru. Les sentiments ne se forcent pas, mais pour se protéger, il s’isole. Comme un hérisson blessé se mettrait en boule pour se défendre. Ce n’est pas la réaction la plus saine, ni la plus agréable pour son entourage. Quand ses émotions débordent, c’est tout ce qu’il réussi à faire. Nae est tout de même reconnaissant d’avoir eu la présence d’Hayden, ses blagues maladroites pour essayer de le faire sourire, quelques parties de jeux-vidéos pour lui changer les idées…

Progressivement, il se sent mieux. La blessure est moins vive. Cette sensation désagréable à l’idée d’avoir gâché son amitié avec Haru s’estompe avec le temps. Quand il en aura le courage il lui enverra un message pour lui demander pardon. Kikunae se sent bête parfois… Pourquoi réagit-il de cette façon ? Haru a bien le droit de ne pas l’aimer. Il ne sait pas s’il s’aimerait lui-même, si on inversait les rôles. Il y a aussi Ryuu qui a essayé de prendre contact dernièrement. Il l’a un peu ignoré… Ou ses réponses étaient vagues. Le père de famille semble l’avoir compris, il n’a pas insisté. Ryuu est toujours observateur et à l’écoute… Nae est persuadé qu’il sait, mais qu’il n’a pas voulu l’embêter avec des questions supplémentaires. Il lui en est reconnaissant, autant qu’il s’en veut d’avoir laissé ses amis de côté ces dernières semaines. Après avoir pris son courage à deux main, Kikunae devait finalement passer chez Ryuu dans l’après-midi. Sa présence apaisante et rassurante lui avait manqué, se surprend-t-il à penser.

Toutefois, la vie semble vouloir leur mettre des bâtons dans les roues. Ryuu vient de l’appeler dans l’urgence pour lui annoncer qu’il avait trouvé un chat dans la rue et que le vétérinaire avait une disponibilité dans l’après-midi. Nae se souvient du jour où il a trouvé Stradivarius… Il n’avait jamais eu d’animaux et ne projetait pas d’en avoir un. Cependant… Il ne pouvait pas le laisser seul dehors, il était si petit… Sans doute abandonné ou perdu. Leur après-midi tranquille tombe donc à l’eau… Sur le moment Nae n’a pas réfléchit, il lui a dit qu’il le rejoignait pour l’accompagner. Maintenant qu’il est dans la salle d’attente, seul avec Ryuu et la boule de poils, il regrette un peu. Qui accompagne un ami chez le vétérinaire ? Ils auraient simplement pu reporter ce qu’ils avaient prévu. Kikunae n’a pas réfléchit, il a agit par instinct. Il voulait lui apporter un semblant de soutien ? Et avoir une bonne excuse pour enfin sortir de son appartement… Kikunae est casanier, ce n’est pas nouveau, mais c’était pire dernièrement… Le chaton est adorable, ça lui change les idées. La visite chez le vétérinaire servira de contrôle pour savoir s’il est déjà identifié, s’il est en bonne santé, si c’est un mâle ou une femelle… Vu sa petite taille, il ne doit pas être bien vieux, cela serait étonnant qu’il ait déjà une identification. Et s’il n’en a pas ? Est-ce que Ryuu va le garder ?

- Tu penses qu’il appartient déjà à quelqu’un ? il tente pour lancer la conversation et combler le silence qui le met mal à l’aise…

Il ne s’est jamais senti comme ça en présence de Ryuu, au contraire. Cependant, le silence le replonge dans ses pensées, ce qu’il voulait dire à son ami cet après-midi… Il ne peut pas l’embêter avec ses problèmes maintenant. Il lui fera part de ses états d’âmes plus tard… Mais le silence devient étouffant dans ce cas précis...

ootrp + Ryuu pouvait souvent sembler impassible. Il faut dire qu'il avait appris à gérer ses émotions pour mieux lutter contre ses propres démons. Pour autant, il n'était pas insensible aux tourments de la vie, à l'inquiétude et surtout, il était très empathique. Ces émotions étaient comme des vieilles amies qu'il retrouvait un peu trop souvent pour lui plaire. Heureusement pour lui, la méditation l'avait rendu plus fort, il savait prendre de la distance. Cela le rendait patient aussi, avec lui-même (un peu) et avec les autres (beaucoup). Ainsi, quand ses proches, ses amis et les gens à qui il tenait allaient mal, il avait la patience de les laisser venir à lui.

Cependant, il y avait bien des êtres pour lesquels sa sensibilité était exacerbée. Il s'agissait bien des animaux. Ces êtres ne pouvant s'exprimer et ayant des réactions purement animales, il y avait quelque chose en eux qui touchait particulièrement le japonais. Il arrivait même à Ryuu de changer des trajectoires de journée s'il croisait un animal dans le besoin. Comme la fois où un chaton avait décidé de squatter le studio de tatouage jusqu'à ce que ses propriétaires viennent le rechercher. Et ce jour-là, lorsqu'il rentrait du travail, il était tombé nez à nez avec un jeune chat, il lui donnait un an tout au plus, noir avec de petites taches blanches ici et là, qui boitait et miaulait d'un air plein de détresse.

Bien que le japonais devait (enfin) voir Kikunae après des semaines sans réelles nouvelles de son ami, il n'avait pas hésité à lui envoyer un message pour annuler leur rendez-vous même si cela ne lui faisait pas plaisir. Un homme responsable notre Ryuu. Il ne pouvait s'empêcher de regretter de ne pas pouvoir voir le jeune japonais alors qu'il plaçait le chat dans un carton pour le déplacer. Kikunae avait été un fantôme ces derniers temps. Bien qu'il ne sache réellement pourquoi, Ryuu avait l'intuition que c'était lié à cet étudiant pour lequel Kikunae avait des sentiments. Il y avait deux solutions possibles : Kikunae était en « honeymoon phase » avec un nouveau petit-ami ou il ramassait et rassemblait les morceaux de son cœur. Pour le bien-être du jeune japonais, Ryuu espérait qu'il s'agissait de la première hypothèse.

Alors qu'il montait dans un taxi (il avait eu du mal à en trouver un qui acceptait de le prendre avec le chat), il sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Il attendit d'être installé dans le véhicule avant de s'en occuper et en quelques minutes, il fût décidé que Kikunae le rejoindrait chez le vétérinaire. Ryuu ignorait comment se passerait les choses mais c'était réconfortant de ne pas être seul dans un moment comme celui-ci. Parce qu'au milieu de tout cela, il y avait ce chat, petit être vulnérable qui était en souffrance. Et lorsque Ryuu se retrouva dans la salle d'attente, la méditation, le recul n'étaient d'aucun recours et Ryuu ne pouvait s'empêcher de battre du pied pour passer ses nerfs. Est-ce que ce chat allait s'en sortir ? Est-ce qu'il allait retrouvé sa famille ? Quoi faire si ce n'était pas le cas ? L'idée de déposer l'animal dans un refuge l'attristait et en même temps, il ne se voyait pas assumer un chat supplémentaire. Même la présence tranquille de Kikunae qui l'avait finalement rejoint ne parvenait pas à totalement détendre le japonais. « Oui ou du moins il a appartenu à quelqu'un parce qu'il était plutôt amical, il n'avait pas l'air sauvage. » Il eut un petit rire. « Je l'ai ramené ici mais je n'ai aucune idée de quoi faire après s'il peut sortir directement. On n'a pas encore retrouvé sa famille. » Une fois qu'il pourrait bien voir l'animal (pas dans un carton sombre), il le prendrait en photo pour faire des affiches et les diffuser. Peut-être aussi devrait-il commencer à regarder les annonces d'animaux perdus ? « C'est gentil de m'avoir rejoins en tout cas. J'étais déçu de devoir annuler. » Il n'ajouta pas que c'était parce que cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vu mais son silence le laissait sous-entendre malgré tout. « Je n'abandonne pas l'idée de pouvoir discuter autour d'une tasse de thé. » Il restait positif, si le rendez-vous ne durait pas trop longtemps, ils pourraient bien se retrouver dans une atmosphère bien plus tranquille et propice aux confidences. Il était presque certain que si Kikunae avait des choses à lui dire, il ne le ferait pas au milieu d'une salle d'attente. Le chat émit un miaulement, proche de la plainte et Ryuu passa ses doigts tatoués par un trou du carton, lui murmurant des paroles qu'il espérait rassurantes.

Kikunae est toujours à l’aise en présence de Ryuu, c’est un des dons du musicien. Il n’a jamais été confronté à ces silences gênants ou à cette sensation qu’il déteste de devoir forcer la conversation pour dissiper le malaise. Cependant, cette attente chez le vétérinaire semble échapper à cette règle. Nae a besoin de trouver quelque chose à dire… La présence du chaton dans la caisse de transport, et la raison pour laquelle ils sont ici, est un prétexte tout trouver. Kikunae ne saurait dire pourquoi il se sent si nerveux; Est-ce à cause du chat ? Ou parce qu’il n’a pas vu Ryuu depuis longtemps, qu’il se sent coupable de ne pas lui avoir donné de nouvelle ? Il avait une bonne raison de s’éloigner du monde. Du moins, pour lui c’est une bonne raison. D’autres dirons que les amis sont là pour nous aider à traverser ces périodes pénibles de la vie. Nae a l’habitude de la solitude. Il est peu expansif concernant ses émotions, s’éloigner quand elles deviennent houleuses, c’est sa réaction instinctive. Le rejet d’Haru lui a fait de la peine. Bien que le bassiste n’ai pas été incorrect avec lui. C’est plutôt Nae qui n’a pas tenu ses promesses… Il lui a suggéré de rester amis, pour réaliser qu’il en était incapable, pour le moment. Il n’a plus contacté Haru depuis cette soirée. Il a ignoré chacun de ses messages, si bien que le musicien semble avoir abandonné l’idée d’avoir une réponse.

- Il n’a pas l’air trop maigre non plus… Mais il semble jeune. Il est plus petit que Stradivarius quand je l’ai trouvé…

Il était déjà sevré à l’époque et suffisamment grand pour ne plus dépendre de sa maman. Il a peut-être été abandonné par des propriétaires peu scrupuleux ou peut-être qu’il vivait déjà dehors, qu’il s’est trop éloigné de sa maman et de sa fratrie, ou… Scénario plus dramatique, peut-être n’était-elle plus de ce monde.

- Quand j’ai amené Stradivarius chez le vétérinaire, il l’a gardé quelques jours, au cas où sont propriétaires se manifesterait. Comme personne n’est venu, il m’a rappelé et m’a demandé s’il fallait contacter des associations pour qu’il soit adopté plus tard. Je n’y connais pas grand chose en animaux…

Un peu plus maintenant qu’il a lui-même un chat…

- Mais je me doute que la vie en refuge n’est pas la plus épanouissante. D’après le vétérinaire, comme il était jeune, il avait plus de chance d’être adopté rapidement. J’avais un peu l’impression de lui faire vivre un deuxième abandon, alors je l’ai gardé…

Nae se penche pour voir le chaton. Le pauvre semble effrayé dans sa boite. Les odeurs dans le cabinet vétérinaire ne l’aidant pas. Il est adorable, tout noir, à l’exception de quelques extrémités. Comme s’il les avait trempées dans de la peinture blanche. Il ou… Elle. Ça aussi, le vétérinaire pourra leur dire.

- C’est normal. J’avais envie de te voir aussi… il avoue timidement.

C’est de sa faute s’ils ne se sont pas parlé depuis plusieurs semaines. Ce n’est pas comme si Ryuu n’avait pas tenté de le contacter. Même Hayden a, en partie, subit ce traitement. Jusqu’à ce qu’il débarque à l’improviste, comprenant que quelque chose n’allait pas. Kikunae n’est pas le plus doué pour gérer ses émotions. On ne lui a jamais appris il faut dire. Ses parents n’étaient pas plus expansifs. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres. Discuter. Nae n’est pas sûr d’en avoir envie, il ne tient pas à se replonger dans cette soirée, mais après tout… C’est pour ça qu’ils devaient se voir initialement. Ce n’est pas le moment de se dégonfler. Pour le moment, il préfère dévier la conversation sur autre chose.

- Tout va bien de ton côté ? Aoi et les chats vont bien aussi ?

S’il n’a pas donné de nouvelles, il n’en a pas eu de son ami non plus… Le vétérinaire ne devrait pas tarder à les recevoir d’après l’auxiliaire qui les a accueillie.