Emi Burton

Lorsque la jeune femme met un terme à notre conversation, je ressens un certain soulagement. Je n’ai pas envie de me prendre la tête avec quelqu’un. Encore moins avec elle. J’crois que j’ai suffisamment eu ma dose avec ma sœur et ses reproches, il y a quelques jours. Sans compter que la situation dans laquelle je me trouve actuellement me pèse déjà assez pour que je veuille y rajouter le poids d’une énième prise de tête. Toutefois, pas très chaud pour qu’un nouveau silence des plus pesants s’installe entre nous, je décide de lui demander des nouvelles des Sango et, contre toute attente, la jeune femme évoque une possible fête de retour en mon honneur. Chose qui, pour être honnête, ne m’enthousiasme pas des masses… Non pas que la perspective de faire la fête avec les autres verts me fasse chier – même si certains d’entre eux seraient assurément les dernières personnes avec lesquelles j’aimerais m’amuser – mais, bizarrement, le fait que l’on me prenne pour un prétexte à faire la fête ne m’enchante pas beaucoup… Déjà que je sens que du côté de mon oncle et ma tante – ou papa et maman, devrais-je dire – je ne pourrais pas y échapper à cette fameuse fête de retour et, très franchement, ça me pompe l’air, rien que d’y penser. Quel rabat joie, pas vrai ?! Et je l’assume complètement… Cependant, amusé par les paroles de la jeune femme, j’esquisse un faible sourire et m’exclame : « Tu me rassures… Je commençais à me demander si je n’étais pas devenu trop gentil avec eux, ces derniers temps… » J’ai une réputation de tyran à tenir, après tout… D’ailleurs, sur un ton exagérément hautain, je ne pus m’empêcher d’ajouter, feignant d’être quelque peu vexé : « M’enfin, acheter mes faveurs en m’organisant une fête… Ils mettent la barre plutôt bas, quand même… Comme si on pouvait m’acheter aussi facilement… » Quelle bande de p’tits joueurs… Il faut tout leur apprendre à ces gosses. Mais, plus sérieusement… Haussant les épaules, lorsque la jeune femme finit par m’expliquer le réel but d’une telle fête, bien qu’il va sans dire que j’ai déjà compris quel était ce dernier, je me contente de laisser échapper un « Oui, oui, je sais… » même si, on va pas se mentir, ce n’est sûrement pas avec ça qu’elle me fera changer d’avis. Plus buté que moi, tu meurs. En effet… Mais passons. Un faible rire s’échappe de ma bouche quand je la vois s’offusquer suite à ma demande et, une nouvelle fois, après avoir haussé faiblement les épaules, je finis par dire : « Justement ! C’est en pratiquant, qu’on s’améliore. La preuve, tu sais faire un riz mangeable, maintenant… » Je lui adresse un sourire, légèrement moqueur, et poursuis : « Puis, si vraiment tu ne veux pas le faire, tu peux toujours m’en acheter un. Ça me convient tout autant… » Sans compter que déguster un bon gâteau me permettrait peut-être de faire passer le temps… Un petit peu, du moins, car, contrairement à ce qu’à l’air de penser la jeune femme, je doute que ma sortie soit prévue pour bientôt. « Ça dépend ce que tu entends par « bientôt ». Mais si un mois c’est bientôt pour toi alors oui, je sors dans pas longtemps… » M’enfin, un mois, c’est quand même un mois. Et, ma petite personne, elle, n’a pas réellement l’impression que le bientôt soit des plus appropriés pour le coup. Faut dire que rester clouer dans un lit pendant autant de temps, n’est pas l’une de mes activités favorites… Mais je dois l’avouer. Je préfère quand même ça à « l’éternité » dans un cercueil. D’ailleurs, en parlant de cercueil, j’arque faiblement les sourcils lorsque la jeune femme me parle de « bucket list » et un léger sourire prend possession de mes lèvres, alors que je lui réponds : « Tss, tu m’as bien regardé ? C’est pas mon genre, ces trucs là… » Je ne suis pas de ceux qui attendent de frôler la mort pour enfin vouloir profiter de la vie. Puis, lister les choses que j’aimerais faire avant de mourir ? A quoi bon ? Ce n’est pas comme si j’étais du genre à me poser des limites, en temps normal. Lorsque je veux faire quelque chose, je le fais direct, un point c’est tout… « Pourquoi cette question ? C’est dans tes projets d’en faire une ? » Je la regarde, une expression un brin malicieuse sur le visage, et finis par demander : « Et tu comptes y mettre quoi dedans ? » Ah curiosité, quand tu nous tiens…

Emi Burton

Je laisse échapper un rire aux paroles de la jeune femme et une expression moqueuse prend possession de mon visage, quand cette dernière s’offusque presque de ma remarque concernant son riz. Pourtant, ce n’est pas comme si je venais de dire que ce dernier était dégueulasse. Au contraire, même, puisque je l’ai qualifié de mangeable, ce qui, venant de moi, est un compliment, je peux vous l’assurer. La Sango devrait donc être honorée que je reconnaisse qu’elle a fait des progrès en termes de cuisine, même si, vu ce qu’elle finit par me dire concernant la pâtisserie, elle a encore pas mal de chemin à faire pour devenir une as derrière les fourneaux. M’enfin, de ce côté-là, je n’ai pas vraiment mon mot à dire. Non pas que je ne sache pas cuisiner… Quand mes parents sont morts, j’ai pendant un temps dû jouer les chefs cuistots pour ma petite sœur car celle-ci refusait catégoriquement de manger lorsque ce n’était pas moi qui cuisinait pour elle… Alors, il a bien fallu que j’apprenne. D’autant plus qu’elle ne se contentait pas de simples nouilles instantanées et il est vrai qu’à cette époque rien n’était trop beau pour celle que je surnomme encore « Ma Princesse ». Sauf qu’à force de jouer les apprentis Philippe Etchebest, je crois que j’ai développé une espèce d’allergie au four et tout autre outil permettant de préparer à manger. Depuis, j’ai donc pas mal perdu la main de ce côté-là, préférant de loin mettre directement les pieds sous la table après une longue journée. Ainsi, pour seule réponse, je me contente de lâcher un « Si tu le dis… » et hausse les épaules, avant de rire faiblement quand elle m’annonce que si je veux un gâteau, il faudra que je le mérite. Préférant d’ailleurs ne pas faire de remarque concernant le ton un peu trop… maternelle qu’elle vient d’utiliser en me disant cela, je m’exclame, un brin amusé : « Franchement, après ce qu’il vient de m’arriver, tu penses réellement que je ne le mérite pas ? » Moi ? L’amadouer ? N’importe quoi ! C’est tellement pas mon genre de faire ce genre de choses… Bon, ok, d’accord… C’est vrai. J’essaye de l’amadouer. Il fut un temps, d’ailleurs, ça marchait très bien. Mais, maintenant… M’enfin bref. Peu importe. Après une discussion des plus courtes sur le temps que je devrais rester cloîtrer dans cette chambre, la jeune femme me parle de « Bucket List » et j’avoue qu’en plus de m’amuser, sa question me laisse quelque peu… perplexe. Ce que je ne manque d’ailleurs pas de faire remarquer à la Sango, avant de finalement la lui retourner. Un faible rire s’échappe alors de ma bouche à ses réponses. J’aurais dû m’en douter… « Cliché ? J’aurais pas su dire mieux… » Au fond, c’est ce qu’on désire tous, non ? Que la personne à laquelle on tient le plus soit heureuse ? « Mais j’suppose que c’est dans l’ordre des choses… » Je l’observe, alors qu’elle me dit vouloir emmener son fils dans tous les Disneyland du monde et un sourire en coin, amusé, prend possession de mon visage quand elle ajoute que sa liste n’a rien à voir avec celle qu’elle aurait certainement faite, plusieurs années en arrière. Faut dire que les gens changent. Et leurs priorités ainsi que leurs envies également… « Parce que tu trouves ça fun de faire une liste de ce qu’on aimerait faire avant de mourir ? J’trouve ça surtout triste, personnellement. Mais puisque t’y tiens tant… » Je laisse échapper un léger soupir et fais mine de réfléchir quelques secondes à ce que je pourrais bien mettre dans ma liste, avant d’ajouter : « La Californie… J’aimerais y faire un road trip, un jour. Rien que moi… Et ma moto, bien évidemment. J’pense que ça pourrait être cool… » Avec Min Ah et mes parents adoptifs, on a fait quelques voyages, quand elle et moi étions gamins. Mais j’avoue que partir seul, loin de Seoul, pendant quelques temps et sans avoir personne sur le dos est une chose à laquelle j’ai pensé plusieurs fois. « Sinon… Être le meilleur grand frère qui soit pour ma sœur, peut-être ? Malheureusement, j’ai failli à cette tâche il y a quelques jours, donc… » Je laisse échapper un faible rire, un brin amer, avant de finalement conclure : « A part ça, j’vois pas… »

Emi Burton

C'est vrai... Woo Ri a raison sur un point. Il fut un temps où j'étais beaucoup plus « fun » qu'aujourd'hui. Où je rêvais de choses quelque peu connes, inutiles et frôlant de beaucoup l'insouciance mais qui me permettaient au moins de ne pas m'enfermer dans une espèce de routine. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Je fais certes toujours preuve d'insouciance. Ça, ça n'a pas changé. Mais ce n'est pas le même genre d'insouciance qu'à l'époque... C'est le genre d'insouciance qui me pousse à mettre constamment ma vie en danger lorsque je participe à quelques courses clandestines, en roulant à plus de 200 kilomètres en pleine ville. C'est le genre d'insouciance qui me dicte presque de servir de bouclier humain alors que l'une de mes amies est menacée d'une arme à feu. C'est le genre d'insouciance qui a fini par me mener à l’hôpital et qui, à quelques minutes près, aurait très bien pu me mener à la morgue. Alors, c'est vrai... Je ne suis peut-être plus aussi fun aujourd'hui. Du moins, pas fun comme j'ai pu l'être à l'époque. Cependant, la jeune femme peut bien parler. Elle aussi a pas mal changé... Un fin sourire accroché aux lèvres, je finis donc par lui dire : « Je pourrais te dire la même chose... » Bien évidemment, en ce qui la concerne, ce sont ses nouvelles responsabilités qu'il l'ont très certainement obligées à changer. Mais ça n'enlève en rien le fait que la jeune femme est bien loin de ressembler à cette Woo Ri que j'ai connu il y a de cela quatre ans. Par contre, comme elle s'empresse si bien de me le faire remarquer, il semblerait qu'il y ait des choses qui, elles, demeurent... Comme, par exemple, mon envie de faire le tour de la Californie. Ainsi, une moue un brin amusée, je laisse échapper : « Faut croire que non... » à sa remarque, avant de finalement faire part – indirectement - à la jeune femme du malaise qui existe entre ma sœur et moi. Car malaise il y a, depuis les incendies qui ont eu lieu à l'Université, ça ne fait aucun doute. Le problème étant que, même si je comprends qu'elle m'en veuille pour ce que j'ai fait, je n'arrive pas à voir en mon geste un « faux-pas ». Je n'arrive pas à regretter ce dernier... Qui verrait dans le fait d'éviter la mort à quelqu'un, un faux pas, après tout ? Toutefois, laissant échapper un faible soupir, je me contente de lâcher, à moitié convaincu : « Tu as sûrement raison... » Ma main posée sur mon épaule blessée, j'esquisse ensuite une faible grimace et me contente d'un « Hm... » pour toute réponse, quand Woo Ri m'annonce qu'elle va partir, non sans me rappeler vaguement qu'on devra également se revoir pour faire le test de paternité. Cependant, et alors que cette dernière se dirige vers la porte, je m'empresse d'ajouter, un sourire taquin accroché au visage : « N'oublie pas mon gâteau ! » Moi, perdre le nord ? Jamais de la vie...