Les joues rosées par la honte de se retrouver dans cette position importune, elle n’ose pas tourner la tête vers Jihoon et lui demander de l’aide d’un œil timide ; se contentant de les garder rivés sur le paquet qu’elle touche du bout des doigts. Les orteils en pointe, ses courtes jambes sont tendues dans l’espoir de se grandir de quelques centimètres insuffisants. Et alors qu’elle s’apprête à laisser tomber, ses membres tout entiers se retrouvent crispés au contact du torse syrien contre son dos, diaprant ses joues bouffies déjà trop teintées d’un vermeil éclatant. Les poings se serrent sous la surprise d’un baisé volé et elle baisse la tête pour masquer ses couleurs, maudissant les picotements dans ses entrailles et le palpitant déchainé. Le poème la ramène aux messages échangés quelques jours plus tôt, elle lève les yeux au ciel tandis qu’un rictus sauvage tente de posséder ses lippes humides, rapidement chassé par le murmure soudain du séducteur du dimanche. Ses frêles phalanges se plantent dans l’épaule de ce dernier, poupée gênée par les mots crus qu’elle n’avait pourtant pas hésité à écrire de ses propres mains. « Mais… mais chut… ça va pas la tête ?! » la voix basse et secouée, elle lance un coup d’œil furtif à l’aîné, honteuse à l’idée que ce dernier ait pu entendre ne serait-ce que des bribes de leur échange.
Le gamin la nargue et elle fronce les sourcils en comprenant qu’elle n’est pas prête de toucher le sachet, ingrédient pourtant essentiel à la préparation. Mais elle reste muette, attrapant un paquet de sucre et du chocolat en poudre à sa hauteur, elle se dirige ensuite silencieusement vers le frigo où elle vole les deux seuls œufs restants, un yaourt et une bouteille de lait qu’elle place soigneusement devant elle sur le comptoir. Un regard en coin au travail de Tasyr qui confond les agrumes et les fruits rouges lui arrache un pouffement tandis qu’elle lève les yeux vers Jihoon, échange complice et silencieux sur l’erreur du syrien ; bonne joueuse, elle n’en dit rien, se contentant de mélanger ses ingrédients soigneusement à l’aide d’un fouet tout en faisant attention de ne rien salir. « Le mien sera seulement au chocolat, vu que Tasyr a pris les fruits ro… les fruits. » et la farine. Elle n’a pas encore dit son dernier mot, profitant que ce dernier ait le dos tourné, elle glisse discrètement vers son coin du comptoir pour tenter de dérober l’ingrédient manquant, portant son index devant ses lèvres à l’attention de Jihoon dans un rictus malicieux.

Spoiler:

Ils étaient beaux, tous les deux. A force de les regarder ensemble, je pouvais me rendre compte à quel point la nature était bien faite. Lei et Tasyr ne se ressemblaient en aucun point, à part peut-être le côté juvénile qu'ils pouvaient avoir, mais à part ça... Leurs personnalités étaient détonantes si on les mettait ensemble. Les opposés s'attiraient, c'était un dicton bien connu, et j'y croyais dur comme fer. Il suffit de voir ma relation avec Joo Hee. Nous étions radicalement opposés, ma fiancée et moi. J'étais de ceux qui prônaient le calme et la diplomatie, alors que Joo Hee était une pile électrique, tête brûlée et hyperactive. Beaucoup de gens me demandaient comment je faisais pour sortir avec elle, et Joo Hee avait sûrement déjà reçu des réflexions à mon sujet. Nous étions une sorte d'anomalie sentimentale et pourtant, Joo Hee représentait toute ma vie. Je ne pouvais définitivement pas vivre sans elle. Et je voulais que la même chose arrive à Tasyr et Lei. Leurs petits gestes affectueux me plaisaient. Je ne les écoutais pas vraiment parce que leurs discussions n'appartenaient qu'à eux, et je ne cherchais pas à les comprendre. Ils étaient juste... beaux à regarder. Ils me faisaient penser à Joo Hee et moi à l'époque où on s'était rencontré à l'université. Je m'accoudai légèrement sur la table en les observant, répondant par quelques sourires à la petite Lei qui se montrait très fougueuse. La pauvre, elle se faisait chourer presque tous les ingrédients nécessaires à la pâte, et le pire c'était que Tasyr allait tout gaspiller tellement la pâtisserie n'était pas son fort. Je pouvais déjà dire adieu au goûter que je m'étais imaginé partager avec eux. Mes petits apprentis en herbe. « Je vous préviens: vous en mettez partout, vous nettoyez. » Il ne manquerait plus que je répare les bêtises à leur place ! Un comble ! Surtout quand on savait que ce n'était même pas ma cuisine. Etre invité chez les bleus, ça avait parfois du bon. J'avais juste à mettre les pieds sous la table et le tour était joué. Mais je ne pouvais pas me reposer sur mes lauriers: il me fallait surveiller ces deux garnements. Hors de question de provoquer une nouvelle dispute comme celle de la peluche tout-à-l'heure. C'était étrange, mais j'avais vraiment envie d'un happing ending entre ces deux âmes écorchées...

Pour une fois, le syrien se montra profondément concentré dans une tache qu'il n'aimait en rien mener, et si son regard assombri par le besoin de précision ne cessa de vagabonder de la farine aux agrumes, il ne put que perdre un temps considérable sans en avoir un brin de conscience. Les mains collantes par le jus des fruits qu'il découpait maladroitement dans le but d'ôter les pépins peu nombreux, il finit par laisser de côté son oeuvre bancale - et son plan de travail humide - pour se remémorer les étapes de la conception du plus banal des gâteaux. S'il connaissait le secret des cookies, ou s'il pensait le détenir sans que ce ne soit vraiment le cas, tout lui échappait en la recette de la pâtisserie enfantine. Alors Tasyr glissa un regard presque espion sur la benjamine, frappé seulement par les ingrédients essentiels qui lui manquaient, qu'il lui fallait dérober dans l'urgence. « mais ça va, commence pas déjà à râler, elle est ARCHI propre ma table à moi ! » Et il avait dit ça sans même jeter un œil à son bordel déjà omniprésent, saupoudré d'une farine collée au jus de ses agrumes inutiles, et surtout indésirés. Se perdit alors dans la façon subtile dont il pourrait faire honneur à ses origines** en volant à la douce poupée ce qu'il lui manquait, ne se rendant compte qu'au dernier moment et dans un sursaut de leurs intentions mutuelles mais partagées. « hé mais tu comptais faire quoi là ? » La voix criant au scandale, les pupilles hurlant à l'amusement tendre, le président attrapa l'unique sachet de farine entre ses bras une nouvelle fois, non sans badigeonner son visage pâle de poudre blanchie s'écoulant jusqu'à ses épaules et ses manches. « Bon écoute, j'ai un deal à te proposer ! » Mordillant sa lippe du bas par la fierté prête à s'évader, la réticence au bord des lèvres, Tasyr poursuivit néanmoins sa demande sur un ton plus bas, non désireux d'être entendu par le président des roses. « Je te passe la farine.. et toi, tu m'apprends à faire un gâteau. En me passant ce dont j'ai besoin, aussi, bien sûr. tu m'suis ? Tu marches ? » Et il priait pour que ce soit le cas, autrement, il était déjà bel et bien hors compétition.

**:

Habituée à la conception des gâteaux et autres sucreries, ce que Lei préfère par-dessus tout, c’est la décoration. Placer minutieusement un glaçage coloré aux extrémités de la gourmandise créée par ses doigts de fée ; résister à la tentation d’y plonger son index afin de goûter aux plaisirs sucrés. Diaprer le cake de quelques vermicelles multicolores, inventer de nouvelles formes en pâte de sucre, rendre sa création si belle qu’on ne voudrait pas prendre le risque de la couper. Et c’est ce qu’elle compte faire malgré ses faibles ressources et ses mains tremblotantes ; jambes vacillantes sous la présence d’un Syrien un peu turbulent, mais c’est c’qui le rend attendrissant. Elle voudrait se plaindre de son comportement, réussir à attiser cette colère qui s’éteint peu à peu pour ne laisser qu’une vile nuée blanchâtre et un sourire au coin des lèvres lorsqu’elle jette un coup d’œil au plan de travail. Détruit. Pulpes ornant la table, la farine s’y mélange pour créer une substance douteuse qui fait rougir la poupée à cette pensée.
Elle, obéit à l’aîné en prenant soin de ne laisser aucune trace, maniaquerie encrée en elle depuis toujours, la propreté lui permet de mieux travailler, et ranger lui donne l’occasion d’élaborer un plan pour régler ce problème de farine. Poudre précieuse gaspillée par Tasyr qui en a renversé la moitié de son côté, elle hésite à la récolter mais préfère tenter de dérober le paquet. Fouine, peut-être pas assez discrète, la renarde peu rusée se fait attraper. Et elle sursaute, ses yeux s’écarquillant sur la surprise alors que le président use encore de la poudre inutilement mais laisse un sourire marquer les commissures de la gamine. Elle lui lance un regard se voulant noir malgré l’étincelle amusée qui y danse, s’apprêtant à regagner sa place avant de se faire interpeller par le morveux soudainement anxieux, se rapproche de lui en tendant l’oreille pour mieux l’entendre. Le front plissé dans une expression songeuse, ses lèvres forment une moue tandis que ses dents s’aventurent sur sa pulpe inférieure. « Aish… Mais c’est plus une compétition, alors… Puis qu’est-ce que j’y gagne, moi ? » prenant la même intonation que le syrien pour une raison qu’elle ignore, elle réfléchit quelques secondes avant de soupirer. L’envie de gagner la farine, officiellement. Le plaisir de pouvoir se rapprocher de lui, officieusement. « Bon… d’accord ! J'vais t'aider! » reprenant sa place initiale, elle pousse discrètement quelques ingrédients vers le coin du président dans un sourire complice, ne se gênant pas pour prendre la précieuse farine durement gagnée et verse le restant dans sa pâte qu’elle continue de mélanger, non sans lancer quelques coups d’œil au travail du gamin. Elle se rapproche de lui, sûrement trop près, attrapant le sucre qu’elle verse délicatement en prenant soin de ne pas trop en mettre. « T’as oublié le sucre, idiot… Y’a plus d’œuf, par contre ! Mais tu peux mettre un yaourt, ça pourrait rattraper le truc … Au pire, ça sera un gâteau vegan… » après lui avoir tendu un yaourt nature activia, la fée se retourne vers le four qu’elle préchauffe –chose que tasyr aurait sûrement oublié de faire- avant de terminer sa préparation. « J’ai fini ! » tapant ses mains dans une euphorie soudaine, elle cherche un moule dans les tiroirs avant d’en choisir un en forme de cœur qu’elle beurre, enfarine pour finir par y renverser délicatement son dur labeur. Laissant sa création sur son coin du comptoir impeccable, elle attend que son rival termine en se dandinant impatiemment.

Quand je prenais le temps de les regarder depuis ma position dans la cuisine, je me rendais compte progressivement que ces deux-là avaient encore beaucoup de chemin à parcourir si un jour ils voulaient se dire des mots d'amour. Ce que je voulais dire par là, c'était que leur amour réciproque crevait les yeux. Rien que les regards pétillants qu'ils s'envoyaient voulaient tout dire. Mais à chaque fois que les mots franchissaient leurs lèvres, ce n'était pas fait dans la dentelle. Je ne comprenais pas pourquoi ils s'évertuaient à se mettre des bâtons dans les roues comme ça. S'ils étaient si sûrs de leurs sentiments, pourquoi fallait-il corser le jeu ? Parce que justement, il fallait corser le jeu, sinon il n'y aurait aucun plaisir. C'était tellement facile de dire "je t'aime" à quelqu'un quand cette personne n'y opposait aucune résistance. Du moins, pour nous, les jeunes d'aujourd'hui, on était particulièrement friand des défis et courir après l'autre était quelque chose qui nous attirait beaucoup plus. Alors non, ce serait mentir que de dire que je ne les comprenais pas, Lei et Tasyr. En réalité, j'avais vraiment envie de leur montrer un chemin sans embûches. Un beau chemin clair et bien dessiné. Mais tout comme la vie en elle-même, c'était quelque chose qui n'existerait jamais. Et je les admirais, ces deux brins d'adultes, je les admirais parce qu'ils avaient encore la force et la fougue de se battre face aux imprévus du temps et du destin. Moi, je me sentais si vieux, trop rodé, mais la faute à qui ? J'avais toujours grandi dans un monde trop mûr pour moi. La faute à qui ? Mes parents m'avaient volontairement fait sauter deux classes pour faire de moi le meilleur des enfants. Mais l'enfant avait grandi trop vite, et l'enfant n'avait jamais vraiment vécu sa jeunesse. J'entrouvris lentement mes lèvres, alors que les deux tourtereaux m'apparaissaient désormais comme des inconnus. Et je n'arrivais pas à m'identifier à eux. Je me sentais comme un étranger dans un lieu qui ne m'appartenait pas. Un homme qui n'avait rien à faire dans cette cuisine alors qu'ils faisaient à deux de la pâtisserie. Mais qui étais-je donc, si ce n'était qu'un adulte qui n'avait jamais réellement grandi ? La voix stridente de Lei me ramena immédiatement à la réalité et je me redressai, les yeux écarquillés. Elle avait terminé, déjà ? Je passai ma main sur mon visage et je décidai enfin à me lever. Je m'approchai du plan de travail où la différence entre Tasyr et Lei était fort flagrante, et je fixai le moule à cake généreusement garni. « Oh et bien, je pense que tu peux le mettre au four alors ! » J'esquissai un petit sourire à la jolie nymphe, puis je me tournai vers Tasyr pour observer l'avancée de sa préparation. Mouais... C'était une catastrophe, il n'y avait pas d'autres mots. Je glissai mes doigts sur son visage légèrement sali par la farine, et je tapotai un peu le haut de son crâne. « Allez ce n'est pas grave. Tu es bourré de talents. » Et la pâtisserie n'en fait malheureusement pas partie...

Les sourcils plissés sous le spectacle moribond, Tasyr balade ses orbes ivres de joie sur le champ de bataille. Les cadavres d'agrumes et leur sang éparse sur le comptoir se mêlent à la neigeuse enfarinée qui borde son saladier et le monticule si particulier en son centre. Scène de crime, il s'en contente pourtant la fleur au fusil, la malice aux lèvres dictée par une courbe taquine. Il ne voit pas le mal, se contente du bénéfique, pâte spectre d'un gâteau qui aurait pu ne pas même prendre la moindre forme si l'enfant-fée ne l'avait pas accoudé. « Franchement ça va, ça a de la gueule quand même ! » il rit, éclat joyeux d'un moment précieux, tandis qu'il remercie sa comparse, criminelle du défi, d'une œillade singulière. Et il ne cesse d'adopter ses gestes pour les reproduire, beurrant grossièrement un moule attrapé par la main du hasard, étalant le reste de farine en une couche régulière mais trop fournie par dessus. « Non, vraiment, j'crois que c'est le plus beau gâteau que j'ai fais de ma vie. » Une part de lui-même est consciente et objective face à ce dégât indéniable, mais l'autre, plus généreuse, se contente de s'affirmer avec fierté dans ce nouveau rapprochement avec la femme convoitée. La main sur sa joue le tire de sa rêverie éphémère, et le syrien s'empresse d'adresser un sourire lumineux à son aîné en haussant les épaules, conscient d'être redevable au pyobeom pour ce moment inattendu. « Oh mais c'est pas grave hein ! Puis de toutes façons, niveau créativité, c'est évident que je remporte haut la main, non ? » Si mauvais perdant d'ordinaire, il laisse sa pâte empoisonnée reposer le temps de la cuisson, profitant de ce moment pour enfoncer ses coudes dans sa propre scène de crime, le regard accroché au dos de la benjamine. C'était fou d'sa part, parce qu'en deux ans, il avait appris à vivre sans elle au point de la négliger bien souvent de ses pensées sous le poids de la nécessité, et désormais qu'elle était là, il n'comprenait pas même comment il avait pu y arriver, elle qui hantait son esprit chaque seconde. L'amour comme un boomerang qui lui revient des jours passés. Et quand son regard croise celui de l'enfant sage, Taz oublie le scandale passé pour écarter ses bras et la convier d'un sourire à venir se loger contre lui, désireux d'une étreinte attendrissante. Les mains baladeuses et plus assurées posées sur ses hanches lorsque ce fut fait, la tête nichée sur la sienne. Et puis qu'importe, auparavant, maintenant, plus tard sans doute, leurs gestes avaient toujours été ambigus. « J'crois qu'tu vas gagner, même si ça m'troue le cul de l'avouer. T'as d'la chance, j'suis vraiment trop généreux, j'avais prévu cette éventualité et de quoi te féliciter. » D'un regard discret, il appuie sa demande auprès du président des roses : si la victoire de Lei semblait indéniable, elle n'en restait pas moins nécessaire à l'exécution d'un plan vicieusement élaboré. Sa voix s'échoue contre son oreille de la même façon que tantôt, légèrement plus charmeuse qu'à l'accoutumée. « Flemme d'attendre jusqu'à la fin de la cuisson, on fait quoi ? On considère que c'est fini ? »