L’étudiante en médecine écarquilla les yeux lorsqu’elle entendit Jae Hwan interroger Yuki sur la « compréhension » des sols ! Ils n’allaient quand même pas disserter sur le sujet ? Eh bien, si… Le spécialiste en la matière prit même un grand plaisir à partager sa science. La seule fille du trio leva les yeux au ciel sans chercher à s’en cacher. De toute façon, à ce moment-là, ces deux comparses étaient bien trop occupés à étudier une simple pierre. Se faire voler la vedette par un vulgaire caillou… Il fut un temps où son orgueil ne l’aurait pas supporter. Il fut un temps où son peu de patience ne les aurait pas supporter tous les deux, tout court. Dans un coup de sang, assurément leur aurait-elle pris cette stupide pierre des mains afin de la jeter au loin en leur assénant de la fermer. Au lieu de ça, Hera se montrait désabusée mais tendait pourtant discrètement une oreille aux explications de l’expert des cailloux. Ridicule curiosité dont elle essaya de se détourner ! Bon sang, si ces anciens « amis » voyaient ce qu’elle était devenue, la jolie brune serait la risée de l’élite de Singapour. Elle soupira et commença à se remettre en marche tandis que les deux garçons continuait à tergiverser. Son corps frémit soudainement à les entendre. Non ? Ils n’allaient pas sérieusement s’étendre au sujet des flamands roses maintenant ? Hera marqua un temps d’arrêt. Eh ben, si !

Alors là, non, s’en était trop ! Plus qu’elle ne pouvait en supporter ! Avant que Jae Hwan ne s’adonne à son tour dans un discours sur sa passion, Hera activa le pas prestement afin d’établir une distance « de sécurité » entre elle et ces deux-là ! Elle s’éloignait déjà lorsque Yuki voulut s’adresser à elle. La jeune fille fit alors semblant d’être trop loin pour l’entendre. À cette distance, la possibilité était crédible. Elle avait pourtant bien entendu, mais ce n’était pas comme si la réponse s’avérait d’un grand intérêt. L’étudiante en médecine ne souhaitait nullement devoir répondre à leurs curiosités quant au cours qu’elle suivait. Ce n’était pas non plus comme si elle était animée par une quelconque passion pour la médecine. Son seul but était le prestige. Prouver sa supériorité intellectuelle au sein de sa fratrie ! À défaut de la beauté, du talent ou l’infinie gentillesse, il lui restait encore l’intelligence sur laquelle la cadette pouvait espérer se distinguer. Par contre, une fois son diplôme obtenu, il n’était ni dans ses intentions, ni dans celles de ses parents et grand-parents que la demoiselle travaille un jour. Alors, autant fuir les questions arasantes !

La brunette distança ainsi ses partenaires d’expédition, s’aventurant dans un chemin sinueux où la végétation se faisait de plus en plus dense. Quelques rochers encombraient le passage par-ci, par-là. Elle en gravit un monticule, puis en redescendit doucement alors que le sol de la forêt se transformer en un fort dénivelé à la réception. Prudente mais pas assez. Son pied glissa lentement mais sûrement, emportant finalement tout son corps. Hera dérapa tout le long de la pente dans un cri de surprise pour atterrir finalement dans une crevasse qu’elle n’avait pu  évité car dissimulée par les plantes jusqu’à ce qu’elle finisse tout au fond.
« KYAAAAAAAAAAAAAAaaaaaaaaaaaaaaaah »
Son cri s’étouffa dans les profondeurs du trou où s’acheva sa chute. Mais qu’est-ce qu’il foutait là ce satané trou ? Par chance, Hera atterrit sur ses pieds. De la chance ? Peut-être pas à en juger par cette douleur pénétrante qui s’était enfoncée sous son pied dans les derniers instants de sa chute. Néanmoins dans l’enchaînement et avec la vitesse de l’impact, la Singapourienne ne s’était pas douté de l’ampleur des dégâts. Un rictus déformant son visage, ses yeux se posèrent sur son pied. Pouvait-on avoir autant de malchance ? Faire naufrage ne suffisait pas ? Être coincée sur une île déserte ne suffisait pas ? Tomber dans un satané trou improbable ne suffisait pas ? Non ! Il avait fallu qu’en plus, au fond de cette crevasse une racine brisée aux extrémités aiguisées jaillisse hors de terre et que son pied atterrisse justement dessus ! Sa chair anesthésiée par le choc n’envoyait pas encore les messages nerveux à son cerveau l’alertant de la profondeur de la plaie. Hera commença alors à vouloir ôter son pied, sans grand ménagement.
« Aaaaah ! Putain ! Ça fait mal ! » s’écria-t-elle instinctivement sous l’effet autant de la souffrance que de l’agacement.
Elle essaya une seconde fois de retirer lentement son pied, mais la sensation de douleur crispa son corps tout entier. Les muscles de son abdomen, le long de sa colonne vertébrale et de ses épaules se contractèrent. Hera se mordit la lèvre pour retenir un gémissement tandis que les larmes perlaient au coin de ses yeux. Elle perpétua néanmoins sa tentative avec précaution jusqu’à ce que la sensation du bois au contact de sa chair que le pieu avait pénétré lui provoque un frisson. Parcourut d’une vague de chaleur, la jeune fille se sentit vaciller. Une impression de nausée, elle n’eut que le temps de s’adosser contre la paroi en terre qui l’entourait, de chercher une prise de main droite tandis que la gauche restait glissée sous sa cuisse afin de la soutenir et d’éviter que dans un instant de relâchement inconscient son pied ne s’appuie davantage sur ce morceau de bois brisé et pointu qui l’avait perforé. Ravalant cette boule qui lui nouait la gorge, elle leva les yeux vers le ciel, vers la sortie de ce foutu et profond trou dans lequel elle était tombée. Hera se sentit désemparée. En proie à sa détresse et à cette souffrance qui l’incommodait dans tout son être, son visage se défigura au gré des sanglots qu’elle ne put retenir plus longtemps.
« Ça fait mal… » murmura-t-elle d’une voix tremblante.
Au fond de son trou, Hera se sentit brusquement terriblement seule. Elle ne pouvait pas bouger. Elle ne pouvait plus sortir de là. Elle ne parvenait même pas à extraire son pied de cette racine semblant se repaitre de son sang tel un vampire. La vengeance de la nature qui se nourrissait des humains profanes. La peur qu’elle avait ignoré depuis le naufrage profita de cet instant de faiblesse pour s’emparer de son esprit. Elle ne pleurait pas simplement de douleur, elle pleurait de tout son soûl sous l’effets de ses nerfs qui relâchaient brusquement tout ce qu’elle avait pu contenir jusqu’ici.
« Aux secours… gémit-elle d’une petite voix sanglotante. Pitié… Venez m’aider… J’ai mal… S’il vous plait… Ça fait mal… Je vous en prie que quelqu’un vienne m’aider… Venez m’aider… »
Les lèvres tremblantes, le visage pâle, les larmes déferlaient tel un torrent le long de ses joues tandis qu’elle fixait désespérément le sommet de son piège. Les forces dans les muscles de ses jambes faiblir. Quelques gouttes de sueur ruisselèrent sur son front. Sa jambe indemne fléchit. Elle contracta l’autre pour que surtout elle demeure immobile. Ses paupières s’abaissèrent sur ses yeux rougis afin de se concentrer sur les actions de son corps. Hera se mordit la lèvre derechef, plus fermement cette fois, afin de ravaler ses sanglots et de réitérer sa tentative de libération de son pied. Transporté par une vague de sensation à la fois brûlante et glaçante, elle eut l’impression d’être à deux doigts de s’évanouir…