Est-il possible de pleurer une inconnue ? Est-il possible pour moi d’être touchée par l’absence d’une mère dont je n’ai gardé aucun souvenir ? Elle est partie quand j’étais encore bien trop jeune pour que je puisse retenir tout ce qu’elle a pu m’apporter lors des deux premières années de ma vie. A cet âge, il est difficile de mémoriser quelque chose. On apprend à marcher, on tente de se faire comprendre par des propos complètement inaudibles. Qu’est-ce que je peux faire hormis voir, impuissante, les expressions touchées de mes deux aînés et de mon père ? Je ne pouvais rien comprendre et on n’a pas essayé de m’aider sous réserve que j’étais trop jeune pour y parvenir. Et surtout, leurs attentions étaient focalisées uniquement sur la petite dernière. Mais là-encore, je n’ai pas bougé le petit doigt parce que la vie devait continuer. Ils ont consacré à éduquer la dernière mais comment je pourrais leur en vouloir ?! Même si ma mère est partie en donnant naissance à Rin, elle reste ma petite sœur, une petite sœur que j’ai envie de couver. De leur côté, j’ai longtemps pensé que leur amour était encore bien plus forte que la coutume. Rin resterait leur dernier souvenir laissé par notre génitrice. J’ai donc continué ma route. Je m’amusais toujours à danser, à me boucher les oreilles quand les pleurs perçants de Rin résonnaient dans la demeure familiale. Puis, j’ai commencé à grandir. J’ai vu des enfants plus souriants qui étaient câlinés et embrassés par leurs mamans avant d’entrer en classe. Ces mêmes mamans qui regardaient mon père d’un air à la fois navré et épaté par son courage. C’est ce qui arrivait à chaque fois qu’il pouvait me déposer à l’école. Avec le temps, j’ai compris que cette personne qui apparaît sur les clichés commençait et commencerait à me manquer pendant plusieurs années, voire toute une vie. Dans un soupir enfoui dans mon coussin, il m’arrivait de lâcher un profond murmure, un simple ‘’ maman ‘’ qui brisait le silence. Le silence d’une chambre d’enfant perdue.

Mais maintenant, est-il possible d’arrêter de pleurer pour un père ?

Lors de mes 11 ans, ma vie a une nouvelle fois bousculé. J’aurais aimé que cette fois-ci soit positive mais à croire que le destin aime nous jouer des tours. En effet, alors que mon père rentrait du travail, celui-ci a été victime d’un accident de voiture qui lui a coûté tout bêtement la vie. Une simple erreur de trajectoire, une malchance complètement injuste. Lui qui a tout donné pour nous chérir tandis que la femme de sa vie est morte en lui offrant un dernier cadeau de la vie. A quoi bon nous offrir quelque chose si c’est pour nous la reprendre après ?! Je n’ai toujours pas trouvé la réponse. Personne ne la trouvera. Encore moins pour moi.

Résignée, il m’a fallu du temps pour faire mon deuil. On a également déménagé pour vivre dans la demeure de ma grand-mère avec laquelle je suis terriblement proche. Il faut dire que ce n’est pas forcément facile de vivre avec mes frères et sœurs qui ont un caractère plutôt similaire. Beaucoup plus discrète qu’eux, je ne cesse pas pour autant de les aimer même si je regrette le fait de ne pas être assez écoutée. Je ne veux pas dire que je parlerais forcément, étant habituée à éclater dans ma propre bulle. Mais je crois que je me sentirais flattée.

A défaut de pouvoir les autres répondre à toutes mes demandes, j’ai décidé de me débrouiller seule pour avancer dans la vie et évoluer. Plutôt bonne au collège et au début du lycée, je me suis laissée facile débordée par mes passions et mes nombreux désirs. Les garçons ont commencé à faire leur entrée et j’avoue que ma première expérience ne s’est pas concrétisé comme elle voulait. Mes histoires ont souvent été éphémères. J’ai toujours pensé être amoureuse de ces deux garçons avec lesquels je suis sortie mais bizarrement, je m’en suis toujours remise facile. Il faut dire que je m’en sors bien. Une rupture à mon initiative et une autre que j’ai dû accepter. Toutefois, j’ai vu mes résultats scolaires baisser un peu. En plus de ces histoires de cœur, ma passion principale a pris le dessus petit à petit. A 17 ans, on commence à rêver d’un meilleur futur et ce n’est certainement mon passé, encore moins mon aîné qui m’empêchera de devenir mannequin. Deux ans que je tente de m’immiscer dans ce milieu très difficile et je suis certaine que le fait d’être à la Yonsei m’aidera un jour ou l’autre. En attendant, je sens comme une flamme qui brûle en moi. J’ai envie de découvrir le monde même si je suis consciente de tous les sacrifices de Raon pour remplacer notre père. Je le respecte mais il ne pourra pas me surveiller continuellement. Il est hors de question de me faire manger par la vie sans avoir la possibilité d’en profiter en attendant mon heure. Et puis, je suis trop jeune pour être aussi pessimiste et fataliste. Je pense avoir assez donné jusqu’à présent. Maintenant, il est temps pour moi de penser à moi, de faire ce qu’il me plaît réellement.