Soo détestait l'université. Il détestait y aller tous les jours, il détestait devoir assister aux cours, il détestait ces professeurs qui le réprimandaient régulièrement. Non décidément, il détestait l'université. Voilà pourquoi il séchait régulièrement, préférant passer son temps à des activités qui, selon lui, étaient beaucoup plus intéressantes. Comme traquer les secrets, écouter les rumeurs, suivre certaines personnes qui l'intriguaient. Mais ce jour-là, il avait été obligé de se rendre en cours, à cause d'un contrôle prévu de longue date, et s'était retrouvé à rester à la fac toute la journée. Pour quelqu'un qui ne supporte pas de rester sans bouger trop longtemps, rester assis pendant des heures était beaucoup trop difficile. Quand le dernier cours s'était terminé, il avait bondi sur ses pieds, la moindre parcelle de ses muscles l'obligeant à bouger, à courir, à se défouler. Alors il était sorti à la vitesse de l'éclair. Et plutôt que de traîner dans les couloirs comme d'habitude, en tendant l’oreille pour essayer d'intercepter tout ce qui se dirait, il était rentré directement au dortoir. Il avait traversé Digital City en trottinant d'un bon pas savourant le mouvement de ses jambes et la manière dont ses muscles se contractaient sous l'effort. Soo adorait le sport. C'était la seule chose qui arrivait à le calmer, à le rendre moins actif, à le fatiguer un peu. Et à l'empêcher de trop penser, également. Beaucoup le trouvaient simplet, voire même complètement débiles, mais à forcer de toujours tout écouter, le jeune homme avait fini par assimiler certains réflexes. Il entendait tout ce qui se disait sur lui. Ils savaient ce que les gens pensaient de lui. Mais il faisait semblant de tout ignorer. Il se contentait de sourire, de faire le fou, de parler pour ne rien dire ou pour balancer des rumeurs, comme il en avait pris l'habitude. Au fond, personne ne savait ce qui se passait dans sa tête, tout le monde ignorait tout ce qui se passait dans sa tête, personne n'était au courant de toutes les pensées qui le traversaient, ces pensées qui allait plus rapidement que la moyenne. Tout était rapide chez Soo. Y compris ses réflexions. Mais courir l'aidait à tout oublier, l'espace de quelques instants. Alors il modifia légèrement sa trajectoire, dépassant le dortoir, allant encore plus loin, puis revenant sur ses pas avant de faire quelques tours du pâté de maison. Quand il sentit qu'il avait suffisamment fait travailler ses muscles et que son esprit s'était assez calmé, il retourna vers le bâtiment hébergeant les wonsungis et entra avec la rapidité d'une tornade, son habituel sourire enfantin plaqué sur le visage. Coucou tout le monde ! s'exclama-t-il en pénétrant dans le salon où se trouvaient, au final, relativement peu de wonsungis. Néanmoins, chacun lui rendit son salut. Sous une soudaine impulsion, il ressortit de la pièce, se rendit dans la cuisine, récupéra un gâteau à la pâte de haricot rouge, qu'il plaça dans une assiette, avant d'emporter le tout dans le salon. Décidant de faire une pause dans sa bougeotte incessante, il s'installa sur un canapé et engouffra une bouchée de son gâteau. C'était bon. Délicieux même. Un nouveau sourire apparut sur son visage. Un véritable enfant. Quand il y avait de la nourriture quelque part, c'était évident qu'on pouvait compter sur lui. Heureusement qu'il faisait suffisamment de sport pour ne pas prendre un gramme.

Son regard avait fini par dévier en direction de la télévision allumée. A vrai dire il n'aimait pas tellement ça. Néanmoins il n'avait pas grand chose à faire. Et vu que Minki n'était pas là, il s'ennuyait. Il prit un nouveau morceau de son gâteau, le savoura un instant en fermant les yeux. Mais il avait à peine commencer à profiter de son instant de paix que déjà son énergie revenait. Il n'avait pas assez couru. Sa jambe s'agitait légèrement, comme si elle voulait prendre son indépendance et fuir loin, très loin. Mais lui n'aurait voulu se retrouver loin d'ici pour rien au monde, étant donné qu'alors qu'il entamait sa troisième bouchée, une voix intervint dans la pièce. Une voix qu'il reconnut immédiatement. Il tourna la tête, se pencha en avant et aperçut Bowon. La fameuse Bowon. Celle qui ressemblait comme deux goûtes d'eau à Min Hee. Inutile de nier, elle lui plaisait. Beaucoup même. Mais il se disait sans cesse que c'était à cause de cette ressemblance troublante. Au niveau du caractère, elles ne se ressemblaient pas. Il n'aimait pas vraiment son caractère. Pourtant quand elle lui parla, il haussa les épaules. Il avait envie de se lever de toute manière. Et même s'il aimait bien attirer l'attention, il ne le voulait pas vraiment ici. Il se doutait du tour que prendrait la conversation. Salut Bowon, tu es bien autoritaire aujourd'hui dis donc, lui répondit-il, tandis qu'il passait à côté d'elle pour sortir de la pièce. C'était tout lui, ça. Ses taquineries frôlaient bien souvent la provocation. Ou pour dire les choses plus simplement, il employait le même ton avec ses amis et des inconnus. Sauf que si on pouvait considérer qu'il taquinait ses amis, envers les autres, toute personne extérieure y aurait plus de provocation qu'autre chose. Mais il ne s'en souciait pas vraiment. Soo avait toujours été comme ça, aussi impulsif, à agir avant de réfléchir. Et ça lui retombait souvent dessus. Comme avec Bowon, à l'instant même. S'il avait pris le temps de se poser et de penser à tout ça, probablement qu'il ne l'aurait déjà pas confondue avec Min Hee. Il n'aurait pas cherché à gâcher son couple. Et il n'aurait pas déchanté en découvrant le véritable caractère de la demoiselle. Il n'aurait jamais été déçu. Mais surtout, elle ne l'aurait jamais attiré comme ça. Néanmoins il balaya toutes ces pensées en un coup de main mental, tandis qu'ils sortaient carrément du dortoir. Soo n'avait pas spécialement envie que les caméras filment leur entrevue. Il assumait tout, mais il y avait des limites. Alors princesse tu veux me parler ? demanda-t-il à Bowon, en lui adressant un grand sourire. Un sourire enfantin qui donnait un ton presque innocent et gamin à sa voix et à ses paroles.

Il était mal à l'aise à vrai dire. Mal à l'aise de se retrouver ici, face à Bowon. Mais au lieu de le montrer, il faisait le beau, gonflant le torse comme tout homme viril devait le faire. Alors il faisait le fier, cachant habilement à quel point le fait d'avoir cette fille devant lui l'intimidait. Il avait l'impression de se trouver en présence de Minhee. Et il était incapable de faire le moindre mal à Minhee. Néanmoins cela ne l'empêcha pas de hausser les épaules, comme si de rien n'était. Le fait qu'elle ressemble autant à la seule fille qu'il aimait le déstabilisait et l'énervait à la fois. Il ne pouvait pas empêcher le venin de sortir de sa bouche. Et si ce n'était pas des rumeurs hein ? Tu n'assumes pas la vérité ? C'était fourbe, mesquin, puéril. Malgré tout ce qui se passait, il avait toujours cru avoir un bon fond. Il avait toujours cru être quelqu'un de bien, au bout du compte. Mais quand ça concernait Bowon, toutes ces certitudes disparaissaient. Elle faisait ressortir le pire chez lui, à cause de tout ce qu'il ressentait. Un mélange de haine et d'attirance. Si tu attends des excuses, ce n'est pas la peine. Tu ne te rends même pas compte du nombre de personnes qui parlait sur votre couple. Que je ne sois pas là n'aurait strictement rien changé. Et il avait raison. Peut-être qu'il avait beaucoup comméré. Mais il n'avait jamais rencontré de résistance de l'autre côté, au contraire.

Elle arrivait presque à le faire culpabiliser. La seule personne au monde qui pouvait accomplir ce miracle. Mais plus il s'en voulait, plus il sentait l'énervement et le dégoût s'emparer de lui. Il ressentait ça uniquement à cause de ce visage, si semblable à celui de Minhee. Bowon était imbuvable, une peste, une garce, elle ne méritait pas d'avoir ce visage, elle ne méritait que ces rumeurs qui couraient sur elle. Oui elle les méritait. Du moins dans l'esprit du jeune homme. Parce qu'il était buté, quand il avait une idée en tête, il ne la lâchait plus. Et là son idée était stupide et presque immorale. Le pire était qu'il s'en rendait compte. Mais son impulsivité l'empêchait de faire demi tour. C'est moi la pourriture ? Il n'aimait pas qu'on l'insulte. Habituellement il faisait semblant d'ignorer les commentaires qui circulaient sur lui, dans son dos, mais en face il ne supportait pas ça. C'était sûrement dû au fait qu'il pensait mériter tout ça. S'il faisait semblant d'être si sûr de lui, il ne l'était pas autant au fond. Mais parce qu'on lui avait toujours collé l'étiquette du gars commère, fouilleur de merde, qui met son nez partout, il n'avait jamais voulu s'en défaire. C'était trop tard. Tu ne t'es jamais remise en question ? Si autant de personnes disaient ça, tu ne penses pas qu'ils avaient au moins quelques raisons ? Ou alors non, ils étaient tous jaloux de ton bon boul, tes gros seins et ta bouche pulpeuse c'est ça ? Oh la mauvaise foi dont il faisait preuve. Mais c'était trop tard maintenant. Il était lancé, il ne pouvait plus rien faire d'autre que de continuer à avancer. Plantant ses mains dans ses poches, un rictus aux lèvres, il se dressa bien droit, le menton légèrement levé, toisant Bowon. Si c'était mon couple, ce serait différent. Si je l'aime vraiment, si elle m'aime vraiment, on se ferait plus confiance à l'un et à l'autre qu'aux rumeurs qui circulent sur nous. Tout est une question de confiance n'est-ce pas ? C'était peut-être le propos le plus cruel qu'il avait sorti ce jour-là. A peine ses paroles étaient-elles sorties de sa bouche, qu'il aurait voulu les ravaler.

Elle pleurait. Elle pleurait devant lui, elle affichait ses larmes comme une preuve de sa monstruosité, pour le faire culpabiliser. Et il culpabilisait suffisamment. Il sentit son coeur se déchirer en voyant ces gouttes sur le visage de la jeune femme. Il ne prenait pas ça comme une victoire. Au contraire. Il n'avait jamais aimé voir des gens pleurer, ce qui était assez contradictoire étant donné tout le mal qu'il faisait parfois. Mais il se contentait généralement de rester en coulisse. Et là il se retrouvait sous les feux des projecteurs. Et il détestait ça. Surtout que si la Bowon si forte provoquait sa haine, la faible ne faisait que lui rappeler sa Minhee, sa douce et tendre Minhee qui pleurait très facilement et n'hésitait jamais à le faire devant lui. Il avait toujours été gauche dans ces moments-là, il se contentait de la prendre dans ses bras avec maladresse et de lui tapoter gentiment le dos. Alors il tendit le bras. Il tendit le bras comme s'il voulait toucher la jeune femme qui le faisait face. Il avait totalement changé d'attitude, abordant une mine soucieuse. Min... débuta-t-il. Mais les paroles qui suivirent le clouèrent sur place. Et son bras retomba lentement le long de son corps. Oeil pour oeil, dent pour dent comme on disait n'est-ce pas ? Elle avait cherché le point sensible, elle l'avait trouvé. Oui il avait déjà aimé. Passionnément. A la folie. Ça avait duré longtemps, il l'avait aimé plus que tout au monde, étant même prêt à mourir pour elle. Il l'avait aimé plus que lui-même. Alors comment pouvait-elle dire ça ? Qui te dit que je n'ai jamais aimé ? commença-t-il d'une voix grave, la mine froide, sans émotion. Son impulsivité, encore une fois. Il aurait aimé prendre tout ça à la rigolade, lui montrer que ça ne le touchait pas. Alors il décida de se reprendre, changeant immédiatement d’expression faciale, arborant un petit sourire à la fois ironique et taquin. Comme s'il se trouvait face à un ami, à qui il s'apprêtait à sortir une petite blague. Qui te dit que je ne suis pas amoureux de toi justement ? Que je n'ai pas agi par jalousie ? Que là je n'espère pas d'attirer désespéramment ton attention ? Oui il lui livrait une partie de la vérité. Mais il le cachait sous son éternel sourire pour qu'elle le prenne comme une moquerie. Au fond il avait toujours été comme ça. Se montrer grande gueule pour que tout le monde ne se concentre que sur ça, et oublie le reste. Oui il avait toujours été aussi lâche. Toujours. Et il le resterait probablement encore longtemps.