— On t'a diagnostiqué une leucémie quand tu avais quatorze ans, te laissant face à une maladie, un diagnostic et un planning pour tes traitements. Tu as commencé la chimio la même année, passant de l'école à l'hôpital à la maison dans un planning parfois serré. Si serré et difficile qu'aller à l'école était quelques fois trop compliqué, surtout quand tu devais rester plusieurs jours à l'hôpital. Alors on venait te faire cours là-bas, et quand ce n'était pas possible, ta mère reprenait le flambeau. Et quand, ensuite, ce fut encore plus difficile et délicat, on venait te faire cours à la maison, t'évitant ainsi un trajet et une fatigue inutiles.

— Des séjours entre l'hôpital et la maison, tu en connaîtras beaucoup. ((beaucoup trop, même)). Tu avais passé plus de temps entre les murs blancs stériles que dans ta chambre d'adolescent. Ces mêmes murs blancs qui t'ont vu grandir, rire, pleurer, dormir et espérer que tout s'arrête. Ces mêmes murs blancs qui t'ont fait douter mais aussi croire. Ces mêmes murs blancs qui t'ont rendu curieux mais aussi effrayé. Ces mêmes murs blancs qui tu voulais absolument quitter et en même temps ils te rassuraient. Ces mêmes murs blancs qui ont observé, ce jour-là, et qui sont restés alors que tu es parti : mais tu retournes les voir de temps en temps, ces murs blancs. A dix-neuf ans, tu as obtenu une greffe de la moelle. Le second souffle donné, et après que ton corps l'ait entièrement accepté, tu es passé en rémission.

— Tu restes sous surveillance médicale depuis, et tu le seras encore pendant quelques années. Bilans sanguins et analyse de la moelle osseuse sont inscrits sur ton calendrier. Le but ? S'assurer que tout va bien, mais aussi éviter la rechute.

— Au fil du temps, une rupture s'est faite entre toi et les autres. Entre tes camarades, en bonne santé, et toi. Entre tes ami.e.s et toi. Les séjours à l'hôpital ne t'ont pas facilité la vie et tu ne retrouveras jamais cette adolescence perdue entre les murs blancs. C'est un temps que tu ne peux plus rattraper, un temps que tu ne peux plus vivre. Ce sont aussi des regrets que tu ne pourras jamais soigner, ni oublier. Petit à petit, le nombre d'ami.e.s qui venaient te voir a diminué. Petit à petit, tes ami.e.s se sont éloigné.e.s. De fissure à fracture c'est finalement un fossé qui s'est créé entre vous.

— Ta famille a toujours été présente. Ta mère était souvent à tes côtés quand tu étais hospitalisé, toujours là pour te parler, te changer les idées, te faire oublier. Néanmoins, là aussi, tu t'es senti à part. Tu te sentais seul, et isolé. Comme puni dans ta chambre à l'hôpital ou à la maison. Et tu t'es plusieurs fois demandé ce que tu avais fait de mal. Pourquoi toi, et pas quelqu'un d'autre ((et en même temps, tu n'aurais jamais voulu que ça arrive à un autre)). Ta famille a toujours été présente, un soutien important durant cette période difficile. Une famille qui n'est pas la tienne.

— Si t'avais pas été malade, tu l'aurais jamais su : mais tu as été adopté. Quelque chose que tu n'aurais pu remarquer ou comprendre de toi-même. Quelque chose que tu n'aurais jamais pu imaginer, non plus. Mais pour toi ou même pour eux, ça ne change rien : tu fais parti de cette famille. Ta mère te l'a dit et répété, tu es son enfant. Son garçon. Tes sœurs te l'ont dit et répété, ça ne change rien, tu es leur petit frère, leur Minus préféré. Et pour ton père ça ne change rien non plus, t'es son fils, sa fierté.

「 • • • 」

— Durant tes nombreux séjours à l'hôpital, tu as rencontré Sandeul. Un jeune papa de trente-deux ans, souriant et positif. Il a été une personne importante pour toi durant tes visites entre les murs blancs. Il a été un soutien, une oreille attentive mais aussi une épaule sur laquelle pleurer. Tu connaissais tout de lui et il connaissait tout de toi. Il te considérait comme son petit frère, prenant toujours soin de toi. Et tu prenais toujours soin de lui aussi, quand tu le pouvais et comme tu le pouvais. Malheureusement, la maladie l'a emporté, Sandeul. Et accepter sa mort a été une épreuve que t'as pas encore totalement surmonté. Tu t'es promis de garder le sourire pour lui. Et tu lui avais fait la promesse de faire du parkour avec lui (à défaut d'être à ses côtés, tu traînes avec son groupe d'ami.e.s). Tu as rencontré sa femme aussi, et sa petite fille, avec qui tu t'entends bien et à qui tu rends visite de temps en temps.

— Tu as toujours aimé nagé. La natation est un sport qui t'apaise et te passionne. L'eau te fascine (de manière générale chacun des quatre élément te fascine). Ne plus pouvoir nagé a été dur à accepter. C'est pour ça que la première fois que t'as remis les pieds à la piscine, t'as pleuré dans les bras de ta mère. Tu pensais ne plus pouvoir revenir, et pourtant... Tu essaies d'y aller deux fois par semaine.

— Autre pratique sportive que tu pratiques : le parkour. Tu t'entraînes avec le groupe d'ami.e.s de Sandeul. Ce sont eux qui t'apprennent la discipline, et ils prennent bien soin de toi. Ils ont une chaîne youtube sur laquelle ils postent leurs aventures et tu apparais sur quelques vidéos. Tu ne fais rien de trop mouvementé pour le moment mais tu as été filmé en train de grimper à un arbre pour aller récupérer un ballon coincé. Tu es aussi celui qui tient la caméra, parfois, et on peut entendre ta voix de temps en temps (ou ton rire).

— Tu as tenu un journal intime. Un conseil du psychologue de l'hôpital qui te suivait, te permettant ainsi d'écrire tout ce que tu pensais et tout ce que tu ressentais, à défaut de ne pas réussir à te confier à quelqu'un. Tu n'écris plus dedans aujourd'hui mais tu l'as gardé. Tout comme tu as gardé les lettres que tu avais écrites à tes parents et chacune de tes sœurs. Des lettres dans lesquelles tu les remercies, dans lesquelles tu parles de tous vos bons moments. Des lettres dans lesquelles tu leur demandes de se souvenir de toi ainsi, et pas autrement. Des lettres dans lesquelles tu leur dis que tu les aimes et qu'ils te manqueront. Des lettres que tu as écrite avec l'idée en tête que tu n'allais pas t'en sortir. Des lettres que tu as écrites, la peur au ventre.

— Tu as découvert plusieurs choses durant ta folle jeunesse : le rouge à lèvres ne se mange pas, le vernis est pas super pratique pour colorier, une tasse en plastique ne survit pas dans le micro-ondes, tu ne sais pas parler sous l’eau (encore moins respirer), et tu es une princesse plutôt mignonne (des photos traînent encore quelque part).

— Tu t'entends plutôt bien avec les enfants, et c'est pour ça que t'es généralement en train de jouer avec eux durant les repas de famille. Votre famille est une grande famille. Ta grand-mère paternelle organise un grand repas trois fois dans l'année (et vous vous retrouvez à une trentaine de personnes réunies au même endroit).

— Durant ton hospitalisation, il arrivait que ta mère te fasse la lecture, ou qu'elle te ramène de nombreux livres. T'as jamais autant lu qu'à cette époque-là et t'y as pris goût. Avant, t'aimais pas ça (sauf s'il y avait des images). Les livres dits pour "young adults" sont les plus présents dans ta bibliothèque, suivis de près par les romans de fantasy et de science-fiction. Tu as quelques romans policiers que tu adores et aussi quelques livres de Stephen King.

— Tu as peur des aiguilles (ce qui est tout de même assez ironique quand on y pense). Les bilans sanguins sont donc une vraie source d'angoisse pour toi, en plus de la crainte de la rechute. Tu voulais aussi te faire tatouer à une époque. A une époque seulement.

— Ta mère est fan de films d'auteurs et toi, ça a jamais été ton truc. Elle apprécie notamment les longs métrages de Kore-Eda Hirokazu. Et on pourrait penser qu'elle t'a passé son engouement. Mais non. Tu préfères les films de super-héros ou bien les films d'animation. (t'as pleuré devant Le Château Ambulant.. et devant de nombreux films pour enfants, en fait). T'as une peluche Baymax parce que tu adores Baymax. Tu possèdes aussi un porte-clé à son effigie, accroché à ton sac.

— Les films d'horreur ? T'as peur sans avoir peur. En regardant, tout va bien (plus ou moins). T'as développé une technique plutôt sympa pour pleurer en silence quand t'as trop peur (ça marche une fois sur deux, honnêtement). Et une fois seul dans ton lit le moindre bruit va t'effrayer. Soit tu pleures, soit tu fais des cauchemars (ou les deux). Il t'est déjà arrivé de laisser ta lampe de chevet allumée, au cas où.

— Ta mère t'a offert un bracelet protecteur fait en obsidienne mouchetée. Ta mère a lu que la pierre était, entre autre, un excellent antidouleur naturelle et qu'elle agissait sur la circulation sanguine.

— Tu l'ignores encore mais tu as un frère.