A-t-il déjà ressenti tel tourbillon d'émotions? Probablement pas. Seiwong est connu pour son tempérament doux et nonchalant. Même s'il est souvent très bruyant, jamais il n'exprime de la colère. Pourtant, c'est ce qui bouillonne en lui devant la scène qui se déroule juste sous son nez. Est-ce bien ce qu'il pense? Un deal de... drogues? Il reste interdit un trop long moment, tentant d'assimiler l'information. Ça ne l'aurait sans doute pas autant chamboulé si l'un des concernés n'avait pas été Keeho. Lim Keeho ; son meilleur ami. Les poings se serrent et l'expression s'assombrit encore. Le calme avant la tempête. Ça le met hors de lui. ━ LIM KEEHO. Le ton est dur, sec et sans appel. Seiwong ne lève jamais la voix ; c'est une première. À choisir, il aurait sans doute préféré ne pas le savoir. Non. Le meilleur scénario reste encore que celui-ci ne consomme pas du tout. Néanmoins, il aurait préféré qu'il fasse le choix de se confier à lui. Ça aurait déjà été moins choquant qu'en l'instant. Et le garçon aurait au moins eu le mérite d'être honnête avec lui. Alors Sei aurait aimé ne rien savoir. Ne pas être témoin de cette scène écoeurante. Surpris en flagrant délit, il ne peut plus éviter le sujet comme il l'a fait jusqu'ici. À cet instant, le cadet se laisse dévorer par cette émotion intense qu'est la colère. ━ Enfoiré! Tandis qu'il s'approche et agrippe sans douceur son poignet, le regard plongé dans le sien. ━ C'est quoi, ça?? Pourquoi tu ne m'as rien dit? Il y a tant de choses qu'il aimerait dire, mais il en perd ses mots. À la frustration s'ajoute la déception, la tristesse et l'inquiétude, malgré que la première soit clairement la dominante, à ce moment-là. Ils sont amis depuis longtemps, non? Keeho ne lui fait-il pas confiance à ce point? Pour ne pas se confier à lui? Son coeur se pince à l'idée qu'il a dû endurer ça tout seul. Ça le rend d'autant plus furieux : comment a-t-il pu ne rien remarquer? Au final, peut-être qu'il n'est pas l'ami idéal. Pourtant, il essaie d'être quelqu'un sur qui l'on peut compter. Il l'a prouvé un million de fois avec ses jeunes soeurs. Et il pensait l'avoir fait avec Keeho aussi, mais visiblement, il a merdé quelque part. La culpabilité, ce vil poison.

Keeho avait rendez-vous avec son dealeur habituel. Toujours au même endroit. Toujours à la même heure. Rien d’inhabituel à son arrivée. Rien d’inhabituel dans leur échange. La seule chose qui changeait, c’était Seiwong dans l’équation. Que faisait-il là ? à l’entente de son prénom, du ton employé, le jeune homme savait qu’il allait avoir des soucis. Jamais son meilleur ami ne lui avait parlé comme ça. Jamais il ne l’avait interpellé de la sorte. Lentement, l’étudiant tourna son visage pour poser ses yeux sur le garçon en colère. Oh, il ne l’avait jamais vu comme ça. Et il aurait presque tressailli face à son regard noir s’il n’avait pas terriblement besoin de la drogue qu’il venait d’acheter. Rien n’allait dans sa vie. Et ça, Seiwong le savait. Il savait que la mort de son père l’avait anéanti. Il savait aussi que sa mère prenait des cachets. Qu’elle déprimait. Qu’elle était au fond du gouffre et rejetait toute la faute sur lui. Il savait aussi que le koryo n’appréciait pas du tout son beau-père – ou plutôt l’un de ses beaux-pères – et qu’il lui arrivait souvent de se prendre la tête avec lui. Parce qu’il tentait d’être son père. Mais il ne l’était pas. Rien n’allait et Seiwong le savait. La seule chose qu’il lui cachait, et aurait voulu continuer de lui cacher, c’était ça : la drogue. C’était la seule chose qui lui permettait d’oublier, de souffler. La seule chose qui lui donnait l’impression de vivre. C’était étrange. Et totalement débile. Mais c’était ainsi. Quand il empoigna son poignet, Keeho ne dégagea pas sa prise. Il planta son regard dans le sien. « Bah, du shit. T'as pas les yeux en face des trous, tu vois pas ? » Répondit-il en haussant les épaules, nonchalant. Sûrement une attitude qui agacerait davantage son meilleur ami. L’étudiant dégagea finalement son poignet de la poigne de Seiwong, tournant le visage pour constater, enfin, que le dealeur avait pris la fuite. « Putain, Seiwong, t’es chiant ! » Lança-t-il en reposant ses pupilles sur lui. Il soupira bruyamment, passant une main dans ses cheveux avant de ranger ce qu’il avait acheté tantôt. Pas assez. Et il sortit son téléphone pour recontacter le mec. « Tu comptes encore faire foirer mon plan ou ça se passe comment ? Dégage, Seiwong, j’ai pas besoin de toi, là. »

L'arrogance qui transpire par chacun de ses pores, Seiwong croit halluciner lorsque Keeho lui répond. Ça a le don de le faire bouillir encore bien plus que ce n'est déjà le cas. Le prend-il pour un con? Visiblement, oui. Sa poigne se ressert, mais il ne résiste pas vraiment lorsque ce dernier se dégage de sa main. Il est tellement furieux, abasourdi et déçu qu'il ne sait même pas quoi dire ou quoi faire. L'autre a pris la fuite et il ne peut s'empêcher de se dire que c'est bien fait. Il n'a pas envie que les choses dégénèrent et qu'il se retrouve en infériorité numérique. ━ Pardon! Je suis chiant? Tu te fous de ma gueule? Il déteste vraiment cette situation. Il n'est pas lui-même. Il ne se reconnaît pas dans cet océan de colère. Il est complètement immergé ; il se noie. Il a l'impression de suffoquer face à l'expression de son meilleur ami. Oh qu'il a envie de lui mettre son poing dans la gueule. Pourtant, il se retient. Pour le moment. Ses iris ne ratent pas chacun de ses mouvements. De son soupir à la main dans ses cheveux. Du sachet qu'il range dans sa poche à sa main qui sort son téléphone. Keeho joue vraiment avec ses nerfs. ━ J'hallucine. Un rire amer l'éprend et il donne un coup sur la main de son ami, lui faisant échapper son téléphone. Dans le mouvement, il fait un immense pas vers le jeune homme pour réduire l'espace entre eux. Sei serre les dents, mais laisse son regard plongé dans celui de son interlocuteur. ━ J'en ai rien à foutre que t'aies pas besoin de moi. J'en ai rien à foutre que tes plans tombent à l'eau par ma faute. Pourquoi t'as rien dit? Non pas qu'il lui doivent quoi que ce soit. Ou peut-être bien que si. Seiwong a tout fait pour le soutenir ou, du moins, il le pensait. Visiblement, il a échoué. Cependant, il doute que Keeho comprenne comment son meilleur ami se sent en l'instant. Il doute que ça lui fasse quoi que ce soit. Il ne connaissait pas l'ampleur de son égoïsme. Et elle ajoute à cette déception qui le foudroie. À la culpabilité qu'il ressent. Il a échoué. Répété tel un mantra.

Keeho n’avait jamais vu son meilleur ami autant en colère. Encore moins contre lui. Et pourtant, même s’il aurait pu en pâlir, il ne sourcillait pas devant lui. Non, il tenait tête, nonchalant et arrogant. Il savait que ça lui ferait péter les plombs, et il le faisait tout de même. Parce que la seule chose dont il avait besoin, là, maintenant, c’était cette putain de drogue. Et non Seiwong. Enfin, s’il réfléchissait un peu et voyait plus loin que le bout de son nez, il se rendrait bien vite compte que, c’était bien du jeune homme dont il avait besoin. Oui, il avait définitivement besoin de lui pour sortir de ce merdier dans lequel il continuait de s’enfoncer, encore et encore. Il était incapable de s’en dépêtrer tout seul. Et tout seul, il l’était. L’homme qui lui vendait cette merde avait pris la fuite et tout ça à cause de Seiwong. Les mots franchirent ses lèvres, mots qu’il n’aurait jamais dû prononcer car ce n’était pas vrai. Non, il n’était pas chiant. Keeho n’était simplement pas dans son état normal. Ou peut-être que si ? Peut-être que c’était ça, dorénavant, son état normal, son quotidien. Oui, c’était bel et bien ça. « Non. Je suis du genre à me foutre de toi ? » Demanda-t-il, la regardant un instant, avant de soupirer. Sa main glissa dans ses cheveux, rangea finalement le sachet qu’il avait acheté et sortit son téléphone. Il comptait bien rappeler ce froussard, oui, le koryo n’avait pas sa dose. Cependant, son téléphone ne tarda pas à finir par terre et l’étudiant releva des yeux noirs sur Seiwong. « Tu joues à quoi ? » Grogna-t-il, faisant face au garçon sans tressaillir une seule fois. « Parce que je dois tout te dire, Sei ? » Balança-t-il. Il le faisait, pourtant. Oui, Keeho lui disait tout en temps normal. Mais ça… Non, il ne pouvait pas le lui dire. Enfin, maintenant, c’était trop tard. Il savait. « J’ai rien à te dire. T’es au courant, c’est bon, qu’est-ce que tu veux de plus ? » Fit-il. « Fiche-moi la paix, Sei. » Ajouta-t-il, sa main venant repousser le jeune homme. Non, ne me fiche pas la paix, c’était plutôt ça qu’il voulait lui dire. Mais avouer qu’il avait besoin d’aide ? Avouer qu’il allait mal à ce point-là alors qu’il faisait le fort depuis des années ? Non. Jamais.

Seiwong est en train de perdre la tête. Très honnêtement, il est désemparé. Complètement paumé. Il ne sait absolument pas quoi faire et se laisse porter par sa colère désespérée. La façon dont agit Keeho ne lui plaît pas. Il ne le reconnaît pas. Est-il à ce point si mal? Il sait que la perte de son père l'a beaucoup affecté, mais il a tenté au mieux d'être présent pour lui dans sa peine. Et de constater qu'il lui a menti sur quelque chose de si important, ça lui fait réaliser que peut-être, ils ne sont pas si proches que ça, finalement. Ou alors, visiblement, Sei ne revêt pas la même importance à ses yeux que l'inverse. Et ça, ça le déchire. La non-réciprocité de leur amitié. Peut-être qu'il pense tout ça, simplement parce qu'il est blessé? Mais peut-être que c'est la vérité, aussi. Peut-être que Sei a réellement échoué à être son meilleur ami. Les doutes et les insécurités s'immiscent en lui tels un poison. C'est pour ça qu'il se réfugie dans sa colère. Pour la première fois de sa vie. ━ À quoi je joue? Il a très sincèrement envie de l'étrangler. La prochaine provocation brise quelque chose en lui. Il ne saurait dire quoi exactement, mais quelque chose se fracasse. ━ C'est pas le principe de meilleurs amis? J'suis quoi, à tes yeux? Simplement quelqu'un de lambda? Il a peur de sa réponse. Il est terrorisé par sa réponse. Keeho n'a rien à lui dire. Il le repousse et Seiwong titube sous l'impact. ━ Ce que je veux de plus? Ton honnêteté, bordel de merde! Tu vas mal, ça se voit! Enfin... Lui n'a apparemment rien vu jusqu'à maintenant. Et il ne sait plus s'il peut se qualifier comme un ami. ━ Te ficher la paix? Pourtant, il compte bien ne pas en démordre. Le cadet fait un pas vers l'avant et empoigne le col de son supposé meilleur ami. ━ Ça, jamais et tu ferais bien de t'y faire. Et malgré la furieuse envie de le frapper, il opte plutôt pour une étreinte serrée. Une étreinte de laquelle il ne le laissera pas se soustraire. Sa façon de lui dire "je suis là pour toi". Il espère que son aîné le comprenne.

Keeho n’avait pas du tout prévu de tomber sur son meilleur ami. Il n’avait absolument pas prévu qu’il découvre tout, comme ça. Il aurait préféré qu’il ne sache jamais, surtout qu’il prenait toujours ses précautions. Le koryo avait toujours tout fait pour le cacher à Sei. C’était sûrement mal et clairement pas la chose à faire mais… Qu’il le voit dans cet état pitoyable ? Qu’il s’en veuille de ne pas réussir à le sortir de cette merde ? De n’avoir rien vu ? Il connaissait assez le garçon pour savoir ce qui lui traversait un peu la tête. Enfin, pas actuellement, parce que l’étudiant continuait de le repousser et de mettre des barrières entre eux. Non, il ne voulait pas de son aide – il en voulait désespérément – et c’était pour ça qu’il lui demanda à quoi il jouait. « Ouais, à quoi tu joues ? » Répéta-t-il, le fixant avant de prononcer des mots qu’il allait regretter. Il n’avait aucune idée du mal qu’il faisait à Sei actuellement, bien trop aveuglé par la sienne. Bien trop aveuglé par la peur de le perdre. Et pourtant, Keeho n’arriva pas à s’arrêter. Il continuait de s’enfoncer. Parce que dans sa tête, il y avait toujours eu cette petite voix qui lui disait qu’il ne méritait pas Sei, qu’il ne méritait pas Suji ni Hina. Il ne méritait pas tout ça, il ne méritait pas la vie. Sa mère le lui avait assez dit et fait comprendre. « C’est quoi ces questions à la con ? » Demanda-t-il, s’agaçant avant de lui dire qu’il n’avait plus rien à lui dire. Il le repoussa, l’éloignant de lui. C’était le mieux à faire. Qu’il se tienne loin de lui. Il ne ferait que l’emmener avec lui dans son enfer… Mais Sei était tenace. Qu’est-ce qu’il voulait de plus, à la fin ? Son honnêteté, apparemment. Le garçon soupira, roulant des yeux. « T’es chiant. Je vais très bien. » Répondit-il, lui demandant de lui foutre la paix. « Oui, Sei, me foutre la paix. » Répéta-t-il, regardant son meilleur ami s’approcher. Le koryo ne sourcilla pas, ne réagit pas quand il empoigna son col. « Ouais, t’es vraiment chiant. » Lança-t-il, serrant les dents. Puis, soudain, la surprise s’empara de ses traits quand il l’enlaça. Une étreinte à laquelle il ne s’attendait absolument pas. Il resta bouche bée, silencieux, ne cherchant pas à se défaire de cette accolade. Sa main, hésitante, monta vers son dos mais il la laissa retomber. Ne pas craquer. Ne pas emmener Sei dans sa merde. « Lâche-moi. » Demanda-t-il une première fois. Il le demanda une seconde fois, plus fort, plus autoritaire mais le garçon ne lâchait pas. Alors il tenta de se défaire de cette emprise, le repoussant comme il le pouvait. « Tu fais vraiment chier, Sei ! » S’exclama-t-il. « Je vais bien, ok, je vois pas en quoi j’aurais besoin de toi, je vais bien ! » Ajouta-t-il, réalisant ses mots. Il cligna des paupières, se pinça les lèvres et se tut. Il voulait les ravaler, oh oui, il voulait les ravaler. Mais c’était trop tard. Il l’avait dit, alors qu’il ne le pensait pas. Pas une seule seconde. Quel con. Et son égo ne le fit pas s’excuser. Ne pas avoir besoin de lui ? Foutaises. Il avait désespérément besoin de Sei.