C’est sur le chemin que je commence à me demander si tout ça n’est quand même pas un peu trop étrange. L’idée de cette expérience m’a fait sourire au début et c’est bien pour ça que je me suis inscrit mais plus je m’approche du moment où je vais me retrouver face à face à quelqu’un sans mes yeux, plus je demande ce que je fais là. Je hausse les épaules en arrivant et me dis que c’est un challenge de plus, me laissant guider à travers les couloirs jusqu’à la fameuse pièce qui semble être ma destination.
Une fois dedans, je ne peux m’empêcher de sourire. Il n’y a pas la moindre source de lumière, rien. C’est étrange et en même temps il y a un petit côté excitant à la chose qui ne me déplaît pas. Je suis assez curieux de savoir combien de personnes se sont jetées à l’eau aujourd’hui et attendent en cet instant précis leur partenaire inconnu. La porte se referme derrière moi et ça y est, je suis plongé dans l’obscurité la plus complète. « Il y a quelqu’un ? » tenté-je pas trop fort. Je ne sais pas si je suis le premier arrivé ou si la personne que je dois rencontrer est déjà là. Je fais un pas en avant, les mains relevées devant moi par réflexe. « Je sais pas trop où je vais, si je te marche dessus, faut m’excuser ! » J’avance doucement mais on ne sait jamais, c’est pas comme si je voyais devant moi.

Tu parles d’une activité qui sort du commun ! Je ne sais pas trop ce qui leur est passé par la tête aux organisateurs mais c’est quand même pas un concept de rencontres qu’on voit souvent. L’un dans l’autre c’est plutôt intéressant ; et puis il y a quelque chose de mystérieux dans le fait de n’entendre qu’une voix qui en a certainement intrigué plus d’un. Je suis loin d’avoir l’air assuré avec mes mains tendues comme ça dans le noir mais je me console en me disant que personne ne me voit avancer comme le perdu de la vie que je suis. Une voix féminine me répond et j’arrête de gesticuler. « Oh. » Cela rend les choses beaucoup plus concrètes, ça y est, j’y suis.

Je n’ai pas vu de quelle taille était la pièce mais sa voix n’a pas l’air d’être juste à côté et je refais un pas. Mon pied heurte quelque chose de mou et au même moment je l’entends, me figeant à nouveau. « C’était toi ?! » Question con, comme elle me le fait remarquer. J’ai entendu sa voix à l’autre bout en plus, je sais que ce n’était pas elle mais l’obscurité me fait perdre mes repères et mon semblant de cerveau apparemment.  J’avance un peu vers l’endroit d’où la voix semble provenir à la recherche d’un autre coussin. « Ca fait longtemps que tu attends ici ? » demandé-je tout en continuant d’avancer, jusqu’à ce que mes jambes butent contre quelque chose de solide. Je tâtonne ici et là et ce me semble être un fauteuil .. ou plus grand peut-être. « Ah, je crois que y a un genre de canapé, si jamais ton coussin n’est pas assez confortable. Je jure que je ne mords pas ! » Je m’installe et tourne la tête dans la direction de cette autre personne qui a décidé de participer à l’aventure et qui se retrouve avec moi.

Elle ne peut s'empêcher de sourire en entendant l'autre individu qui s'exclame, ne s'attendant sûrement pas à lui marcher, faussement, dessus, mais elle le rassure bien assez vite pour ne pas qu'il pense avoir mal débuté cette rencontre. Ce qui aurait pu être le cas. « Non ça ne fait pas longtemps que j'attends ici. Je crois que tu es arrivé une seconde après moi ». Bien sûr elle n'a pas calculé le temps d'attente qu'elle a pu avoir puisque c'est passé très rapidement. C'est assez perturbant pour la jeune femme de parler à une personne qu'elle ne voit pas et qu'elle repère difficilement dans l'espace ou uniquement par le biais de sa voix qu'elle essaye de distinguer. « Un canapé ? ». Elle se tourne  vers la voix en question, se demandant comment est-ce qu'elle va faire pour ne pas faire une sottise tout en arrivant jusqu'à lui. « Hum. Alors, je vais essayer. Ce n'est pas tant de m'asseoir sur ce canapé avec un inconnu qui me dérange mais c'est surtout comment l'atteindre ». Elle rit nerveusement, mais finit par se lancer dans cette périlleuse aventure. Elle marche avec une grande sérénité, et tâtonne le sol en faisant des cercles pour s'assurer de ne pas trébucher sur un quelconque obstacle qui serait mis sur son chemin. « Je crois que...j'arrive au canapé ». Elle avance plus vite, assurée, mais à la seconde où elle trouve le canapé, son pied bute fortement contre celui-ci, « oh me... » . Elle se retient d'en dire plus, pour ne pas paraître vulgaire, et tombe de tout son poids dans le canapé. « Franchement les conditions de rencontre ne sont pas...optimales » ni même l'image qu'elle montre, pour le moment. Elle rit nerveusement tout en se massant un peu le pied. « C'est plus un parcours du combattant ».

Je me répète mais la situation a quelque chose de véritablement perturbant, pas forcément dans le mauvais sens du terme mais ne pouvoir se fier qu’à ses oreilles comme ça, ça sort de l’ordinaire ! Au moins, je suis posé maintenant, je ne risque plus de trébucher sur un coussin farceur ou de marcher sur un pied par inadvertance : c’est déjà ça de pris. Au moins, cette fille avec qui je me retrouve a une jolie voix. Je souris en l’entendant peser le pour et contre du chemin jusqu’au canapé. « Avec un peu de chance, tu n’auras pas d’obstacles sur le chemin. » Si déjà elle fait l’effort de venir, autant que je parle pour tenter de la guider. « Je crois que je t’entends approcher. Un peu plus, encore .. » Visiblement, quelque chose ne se passe pas comme prévu et ma main, posée tranquillement à côté de moi sur l’assise du canapé, se fait soudain écraser. « Ohla ! » Je la retire aussitôt et laisse échapper un rire en entendant la remarque de la demoiselle. « Pas optimales mais ça change la donne, il faut l'avouer ! J’aurais bien aimé voir ça, dommage ! Rien de cassé ? » Au moins, la situation est amusante. Elle a eu moins de chance que moi dans la quête du canapé mais maintenant, plus de gamelle sur quoi que ce soit puisque nous sommes tous les deux assis. « Je précise tout de même, au passage, que ma main se trouvait là de manière tout à fait innocente, hein. » Pas qu’elle me prenne d’entrée de jeu pour un pervers, il ne manquerait plus que ça. Je me demande quand même à quoi elle peut bien ressembler, si c’est une parfaite inconnue ou si je l’ai déjà croisée quelque part. En l’occurrence, ça m’intrigue mais je suis encore plus curieux d’apprendre à la connaître, pour voir sur quel genre de personne j’ai bien pu tomber.

« Belle entrée, ça c’est sûr ! » Mieux vaut quelqu’un avec qui je peux plaisanter plutôt qu’une personne qui soit trop timide ou qui ne réponde qu’à peine à mes questions. Cela ne fait que peu de temps que nous avons commencé à parler mais je commence à penser que ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée de venir ici. Et puis, moi qui aime les challenges, au niveau de l’expérience nouvelle là, on est pas mal. « Heureusement que tu ne t’es pas fait mal parce que je te le dis tout de suite, je ne pense pas que j’aurais pu t’aider : de un parce qu’il fait noir, de deux parce que je n’y connais rien du tout. » L’un dans l’autre, cette pseudo-chute avait été une bonne chose, pas de mal mais un bon début pour entamer cette rencontre sur une note amusante. Sa remarque me fait sourire à nouveau : ça c’est sûr que ça commence bien, autant pour l’un que pour l’autre. Je suis tout de même reconnaissant de ne pas m’être vautré par terre en voulant aller au canapé, une bonne chose. « Tout de même, je sais me tenir. Je ne dis pas que je suis chaste et pur mais abuser de quelqu’un dans le noir .. j’ai quelques manières quand même ! Et puis je te rappelle que TU t’es assise sur ma main ! » Je laisse échapper un autre petit rire devant la tournure que prend la conversation. « Aucun problème pour moi. Je t’avoue que je ne sais pas trop ce que je suis venu chercher ici. Je n’y avais pas tant pensé, je me suis inscrit parce que je trouvais la chose assez intéressante. » C’était tout à fait vrai. Pas venu ici pour chopper de la nana ou avec un but particulier en tête mais par curiosité. « Qui sait, peut-être que je viens juste de rencontrer une future bonne amie. » Je me dis que ça va être bizarre si je reconnais sa voix un jour sur le campus par exemple et que je pourrai mettre un visage sur un son.

Elle ne pensait pas que la situation allait tourner de la sorte et à vrai dire, elle n'est pas tant déçue que ça. Elle n'est pas tombée sur un pauvre idiot qui ne sait pas tenir deux mots sur une même ligne, ni même sur un pervers en manque d'amour, et de proximité. En tout cas dans son vécu actuel cela se passe étrangement bien. Pour le moment. Il est préférable de ne pas crier victoire avant l'heure. « Mince alors ! Au moins je sais que si je me blesse je ne pourrai compter que sur moi-même. Moi qui rêvais de tomber sur un médecin je suis déçue ». Elle rigole, mais à vrai dire, elle pense le contraire. Une personne dans le médical, elle en a assez. Elle hoche vigoureusement de la tête, même s'il ne le voit pas. « Je doute que quiconque soit chaste et pur dans ce bas monde. Et je crois que je suis celle qui est la perverse dans l'histoire. Je crois que j'ai voulu poser mes fesses sur ta main. Je crois que j'ai fait exprès ». Mais oui bien sûr, comme si dans ce noir elle pouvait voir quoique ce soit, surtout qu'elle s'est assise brusquement sur le fauteuil parce qu'elle venait de se faire mal. Douleur qu'elle finit presque par oublier à cause de l'échange. Elle entend alors la raison du pourquoi cet homme a participé à un tel événement et sourit discrètement, rassurée de savoir que son but premier n'est quand même pas de, forcément, rencontrer l'amour. Elle pousse un long soupir de soulagement. « Oh tu me rassures. Je t'avoue que si j'ai décidé de participer à cette expérience c'est par curiosité. Je ne dis pas que je ne souhaite pas rencontrer un potentiel futur copain. Qui sait...mais j'étais surtout curieuse de savoir comment une telle expérience pouvait se dérouler, d'où ma présence ». Peut-être que tous les deux ils vont bien s'entendre, pour être amis. Peut-être que c'est même déjà un ami à elle. Qui sait...Personne, malheureusement ! « Bonne je ne sais pas si je le suis, mais amie peut-être bien ». Elle rigole, mais se racle la gorge, gênée quand même par ses propos. Elle doute que cela soit quelque chose à dire à un parfait inconnu. Elle qui est d'ordinaire timide, silencieuse....

A nouveau, je ris à sa remarque, parce que si elle s’attendait vraiment à tomber sur un médecin, c’est râpé. Tout ce dont je suis capable de faire c’est de poser un pansement et de désinfecter quelque chose, et encore, ma préférence pour l’alcool modifié ultra fort n’a pas un franc succès auprès de tous. « Désolé de briser tes rêves, je suis bien loin d’en être un. » Je ne suis pas vraiment du genre altruiste alors devenir docteur ou faire carrière dans la médecine, sans moi. « Oho, tu avoues donc t’être volontairement approprié ma main alors ? Dois-je me méfier de tes pulsions sauvages et te laisser le canapé ? » lancé-je d’un ton amusé, sans aucune intention de bouger, bien évidemment. Je m’installe même un peu plus confortablement dans le canapé, me tournant légèrement pour faire face à l’inconnue, ou du moins tenter dans le noir.

« Ah, et bien voilà qu’on est deux à s’être présentés par curiosité. Je ne sais pas non plus ce que je suis venu chercher ici, rien de spécial je crois mais on n’est jamais à l’abris du début de quelque chose. » Si ça se trouve, je viens même de rencontrer ma pire ennemie mais je dois avouer que ça m’étonnerait fort. Pour le moment tout se passe bien, même si je ne peux évidemment pas dire que je connais la demoiselle après si peu de temps. Les mots qui suivent ne traduisent que peu d’assurance et je hausse un sourcil dans le noir, surpris par ce nouvel aspect peut-être de sa personnalité. « Tu n’as pas l’air très sûre de toi. Tu doutes de tes charmes ? » Je ne veux pas la froisser mais forcément, dans cette obscurité, ce qui marque, ce sont les mots et le ton, et je ne peux m’empêcher de rebondir sur ce qu’elle a dit. « Enfin je ne voudrais pas que tu prennes mal ce que je dis, j’essaie simplement d’apprendre à te connaître. On peut tout aussi bien changer de sujet si tu le souhaites. » Loin de moi l’envie de passer pour un mufle inquisiteur dès les premières minutes.