Je savais qu'au fond de moi, Bo Won pouvait le faire. Elle pouvait y arriver. Il lui fallait un peu de détermination, de soutien, et elle pourrait défier toutes ses limites. Alors, je me disais que cette simulation d'entretien ne devrait pas la décourager de sitôt. Je l'observais chercher ses mots. Voilà, c'était ça la première étape. Trouver son équivalent étranger. Puis, je l'entendis racler sa gorge, signe qu'elle allait parler, et elle débita sa phrase. Aussitôt, mon nez se plissa un peu parce qu'il y avait quelques fautes dans sa citation. Mais heureusement, elle se corrigea toute seule, en précisant néanmoins que...sa mère était décédée. Bon, ça je le savais, avec le temps. Elle m'en avait parlé plusieurs fois, l'heure n'était plus à la condoléance. Mais elle avait bien utilisé le passé, alors je ne fis pas de commentaire à ce sujet. Cependant, il demeurait une faute dans sa formulation. Pour ne pas la couper en plein effort, je la laissais terminer. Puis, je posai soigneusement mon stylo sur ma feuille de papier, et je relevai mes yeux sur elle. « TO be. I want TO be. Quand tu veux utiliser un verbe en COD dans une phrase, tu dois toujours le précéder de "to". » Pour illustrer mes propos, afin que cela rentre mieux dans la tête de la demoiselle, je sortis un marqueur bleu de ma trousse, et je fis un peu reculer ma chaise pour tendre mon bras et réécrire le début de la phrase de Bo Won. Puis, je soulignai la particule qu'elle avait oublié, ceci avant qu'elle ne termine son discours en affirmant vouloir faire comme sa mère. Et là, elle avait bien mis le "to". Je hochai la tête en lui offrant un peu sourire de satisfaction, puis je revins contre le bureau et fis tourner le stylo sur la feuille. « So, your mother is your inspiration. Did she teach you some things ? Show me. » Je haussai un sourcil et lui fis signe de se lever de la main, pour l'aider à comprendre ce que je voulais dire. Je tentais d'être le plus professionnel possible, même si je devais avouer ne rien connaître aux réels entretiens d'embauche dans une agence de mannequinat. Mais je me doutais bien qu'il fallait tôt ou tard que Bo Won montre toutes l'étendue de sa beauté. Sa prestance. Ses courbes. Son regard. Tout ce qu'un homme serait tenté de vouloir goûter. Tout ce que JE serais tenté de vouloir goûter.

J'étais perplexe. Si je ne lui montrais pas par les gestes ce que j'attendais d'elle, Bo Won serait probablement incapable de continuer la conversation d'elle-même. Alors, quand elle se leva et me jugea d'un air qui voulait juste tout dire, je dus répêter ce que je venais de lui dire. Soit: est-ce que sa mère lui avait appris quelques techniques pour faciliter son intégration dans le mannequinat ? Je savais que le sujet de sa mère était un peu tabou pour la jeune femme, je l'avais remarqué au fil de nos heures de tutorat. Ainsi, je faisais tout pour minimiser l'impact, et je ne m'attardais jamais sur le sujet de sa mère. Je savais qu'elle était morte, sans plus. Après tout, je n'étais pas obligé de savoir tous les détails. Chacun possédait son propre jardin secret, et je n'avais pas le droit d'oser y pénétrer sous prétexte que ça l'aiderait à progresser en Anglais. Non, elle pouvait se perfectionner par d'autres moyens. Alors, je laissai très vite tomber l'idée des techniques potentiellement enseignées, et je tendis mon bras pour attraper le bas de son ensemble, le tirant du bout des doigts négligeamment. « Take off your clothes. I need to see your silhouette when you're walking. » Je soutins mon regard sur Bo Won quelques secondes, en espérant qu'elle ait compris ma demande cette fois-ci, appuyant même celle-ci en tirant une nouvelle fois le pan de son haut. Puis, je m'appuyai lourdement contre le dossier de ma chaise et jouai avec le bouchon de mon stylo, prêt à la bombarder d'autres questions alors qu'elle s'adonnerait à sa petite marche professionnelle devant moi. Il fallait rentrer dans le jeu un maximum, non ? Et c'était un réel plaisir de parcourir mes yeux sur ses courbes voluptueuses. Moi, un voyeur ? Que nenni.

Bien sûr que ce n'était pas une bonne idée, Bo Won. Ca ne l'avait jamais été, de toute façon. Il fallait toujours qu'on aille loin, plus loin encore, dans ce que nous croyions être un travail. Le tutorat d'Anglais n'était peut-être qu'un prétexte pour que nous puissions nous fréquenter, après tout. C'était un bon deal. Je lui offrais un apprentissage musclé de la langue anglaise en échange de quoi ? Une heure avec elle. A la regarder. Juste la regarder. Et lui parler, évidemment. Elle et son caractère tout feu tout flamme qui avait vite fait de faire fuir les autres, moi il m'attirait comme un moustique avec une lumière artificielle en pleine nuit. Je l'aimais bien. Bo Won, au moins, ne se laissait pas marcher sur les pieds dans la vie. Et elle avait le goût du danger, tout comme moi. Ainsi, intérieurement, j'étais fort satisfait de voir qu'elle avait décidé de se raviser et de tenter le tout pour le tout. Elle devait se dire que c'était pour se mettre en réelle condition pour un entretien. Que ce soit avec moi, ou avec des inconnus, elle ne devait pas avoir peur et se montrer le plus respectueusement possible. Ce n'était pas comme si je lui avais demandée de se mettre entièrement nue devant moi. Alors, quand je découvris sa peau d'albâtre, ses courbes de femme, j'en lâchai mon stylo. Discrètement. Mon regard se figea sur chaque parcelle de son corps dévoilé. Si c'était de l'admiration qui naquit en moi, ce fut aussi, après, une réelle inquiétude qui s'empara de mon esprit. Bo Won était belle, vraiment. Mais un peu...maigre. Un peu trop, même. Je râclai ma gorge et appuyai mes coudes sur la table, essayant de garder mon sérieux dans l'exercice. « Walk, turn around. Show me your skills. » J'appuyai ensuite mon menton sur mes mains, attentif. Mon regard percutait plusieurs fois sa silhouette bien dessinée. Etait-ce un jeu ? Non. Etait-ce un travail ? Non. C'était bien plus que tout ça. Je voulais qu'elle me montre son corps. Je voulais qu'elle me montre son être. Je voulais qu'elle me montre qui elle était vraiment. Bae Bo Won, la panthère enflammée.

Elle marchait là, devant moi, comme si elle mettait sa vie professionnelle en jeu. Bo Won semblait absorbée dans son élan. Ses jambes se croisaient avec précision et volupté, subtil mélange d'une supposée performance. Si j'avais été réellement un recruteur de mannequin, je n'aurais pas su quoi lui dire de plus. Je perdais peu à peu mes sens alors que mes yeux se bloquaient sur sa silhouette beaucoup trop fine à mon goût. Et puis je ne sus pourquoi, mais la désagréable sensation d'inquiétude naquit au fond de mon corps. Je me faisais du souci pour Bo Won tout-à-coup. Et dans ce conflit intérieur pour essayer de chasser ces mauvaises pensées probablement infondées, je l'entendis abandonner. Elle cacha vivement son visage dans ses mains, alors qu'elle se tenait là, toujours en petite tenue devant mon bureau. Je relevai lentement mon visage sur le sien voilé de ses doigts, et je plongeai mon regard sombre sur le sien. Puis, lentement, je me levai et fis le tour de mon bureau pour m'approcher dangereusement de la jeune femme. Elle était si fébrile, et j'étais persuadé qu'au moindre coup de vent, elle s'envolerait. Je tendis franchement mes mains que je posai ensuite sur ses épaules nues. Elles glissèrent ensuite sur ses bras, et ses hanches. Je me penchai ensuite sur ses courbes que j'examinai au peigne fin, feignant d'être aussi professionnel qu'un recruteur. Mon regard percuta plusieurs fois ses hanches, ses fesses, ses jambes. Tout en fait, chez elle. Je tournai ensuite autour d'elle, toujours dans ce silence de plomb, puis je me redressai solennellement devant la demoiselle je glissai mes mains sur les siennes avant de les retirer de ses joues rouges, les sourcils légèrement froncés. « Never give up. Ça veut dire "n'abandonne jamais". » Puis, je lui offris un léger sourire malgré le triste constat que je venais de faire sur le corps élancé de ma comparse. Je n'avais plus envie de me cacher derrière un foutu exercice d'Anglais pour comprendre le pourquoi du comment de cette maigreur extrême. Alors, je mis au placard la langue de Shakespeare pour réinstaller un terrain d'entente parfaite entre nous. « Combien tu pèses ? Sois franche avec moi s'il te plait. »

Quarante-quatre kilogrammes. Et je n'osais même pas lui demander sa taille, même si je pouvais deviner à la louche. Je clignai rapidement des yeux devant elle, avec un air faisant croire que je n'avais pas bien entendu. Mais j'avais bien entendu, hélas. Bo Won... Elle était trop maigre. Elle en avait consciente, pas vrai ? Elle trouvait ça minable même, selon ses dires. Elle glissa sa main derrière sa nuque en fuyant mon regard. Je fronçai les sourcils et m'éloignai d'un pas d'elle, pour lui redonner son périmètre de sécurité. Puis, je croisai simplement les bras alors qu'elle me supplia presque de garder ma langue. Evidemment, que croyait-elle ? Je n'étais pas du genre à divulguer des informations compromettantes sur quelqu'un. J'étais en réalité une vraie tombe. Que Bo Won se rassure, son "secret" était entre de bonnes mains. Mais je ne pouvais pas rester là, bras croisés, à simplement la dévisager. Avait-on déjà essayé de la raisonner ? Je ne savais pas exactement pourquoi elle était devenue presque rachitique, mais j'avais vraiment envie de lui mettre une grande claque dans la figure pour la réveiller. A quoi cela rimait-il ? Se privait-elle volontairement de manger pour son avenir professionnelle ? Mon cerveau était en ébullition. « Si j'étais un recruteur de mannequin, je t'aurais recalée direct. Tu dois prendre plus de poids, Bo Won. » déclarai-je, dans l'espoir que quelque part dans sa tête une petite voix entendrait mes paroles. Je décroisai mes bras et me tournai pour récupérer ses vêtements, avant de les lui tendre généreusement, quoique toujours sérieux du visage. « J'espère bien que tu as honte. Mais ce n'est pas une fatalité. » commençai-je. Je m'appuyai légèrement sur la table la plus proche de moi, et je l'observai le plus naturellement possible, d'un oeil limite protecteur. « Never give up. N'oublie pas ça. Bats-toi pour ton corps. Bats-toi pour ta carrière. Bats-toi pour tes rêves. » Un large sourire s'étendit sur mes lèvres, et je m'appuyai mon bras sur la table. « En Anglais, ça se dit "Fight for your dreams." Do you want to fight ? » Si je connaissais bien Bo Won, elle serait du genre à prendre de bonnes résolutions. Elle était forte de caractère, elle devait s'affirmer, se faire confiance. Elle devait se battre pour ce à quoi elle aspirait depuis longtemps, et ce n'était pas une obsession de la minceur qui allait la freiner, non ?