⇝ your careless words and actions break me ⇜

Le poignet entouré d’un bracelet avec son nom et prénom, les pupilles tentaient de s’habituer lentement à la lumière environnante. Les oreilles qui bourdonnaient, les sourcils froncés, elle se demandait d’où pouvait bien venir tout ce bruit, toute cette agitation. Les visages flous s’affairaient autour d’elle, elle ne comprenait pas. Puis les yeux troublent, embrumés et l’obscurité total. Plus rien, le silence absolu.

Elle s’appelait Kim Hye Na, apparemment. Enfin, ça, c’était ce qu’on lui avait dit. Elle avait beau creuser au plus profond de sa mémoire, elle ne pouvait pas dire si c’était vrai ou non, alors elle décida d’y croire. Pourquoi lui mentirait-on ? C’est un flot incessant d’informations qu’elle entendit par des visages lui demandant si elle les reconnaissait, mais elle avait l’impression d’être un ordinateur qu’on avait réinitialisé. L’endroit où elle se trouvait lui était inconnu ; mais c’était normal, c’était un hôpital. Elle devait passer une batterie de test pour confirmer qu’elle était en bonne santé, mais pourquoi ne le serait-elle pas ? La première chose qui était noté, c’était son poids trop faible, faisant d’elle une poupée de cire prête à se briser, une ballerine au-dessus de sa boîte à musique dont les mélodies répétaient sans cesse ”qui es-tu ?” Elle avait aussi dû voir une femme qui se disait psychologue, tous les jours, mais elle lui posait des questions trop précises pour qu’elle ne cherche pas des réponses particulières. Cependant, Hye Na n’avait pas ces réponses et ça lui faisait se poser davantage de questions. Mais bizarrement, elle suivait seulement le mouvement, comme si elle avait l’habitude.  

Elle voyait tous les jours deux femmes, l’une plus âgée et l’autre plus jeune - même peut-être plus qu’elle ? - les larmes de joie qui avait coulé au premier jour. La plus jeune ressemblait à une jolie princesse, immaculée de défauts. L’autre femme était très familière avec Hye Na, comme si elles se connaissaient depuis toujours. Elle l’avait serré dans ses bras par automatisme, mais ne ressentait pas la chaleur qu’une fille qu’elle devrait ressentir. Plus tard, elle lui avait expliqué qu’elle était sa mère, et que la fille à ses côtés était sa petite sœur. Hye Na avait plutôt l’impression que c’était l’inverse, mais le regard de culpabilité qui faisait briller ses pupilles brunes lui déchirait le cœur. Deux autres personnes venaient la voir de temps en temps, de garçons. L’un d’eux était apparemment de sa famille aussi, incroyablement grand, et elle songea que si tout cela était la vérité, elle était née dans une famille de géant. L’autre garçon, elle voyait dans ses yeux qu’il savait ce qu’elle vivait, et même si elle ne comprenait pas trop encore ce qui les liait, c’était plutôt rassurant.  

La règle avait été simple ; personne n’avait droit de parler à Hye Na de son suicide. Sa mère ne comprenait pas la raison d’un tel acte, comment la noyade avait pu lui sembler être une solution, et c’était ce que la psychologue que voyait quotidiennement sa fille tentait de creuser. Mais les personnes la connaissant un tant soit peu savaient très bien que cette femme était en grande partie la cause de cet acte désespéré qui l’avait mis dans le coma durant un an. Depuis son enfance, Hye Na était une marionnette, soumise au narcissisme égoïste de sa génitrice, remplissant le vide que sa passion avait laissé en elle car à cause de son âge, le cygne avait perdu de sa splendeur et dû laisser sa place à une génération plus jeune. L’ancienne danseuse étoile devenue une professeure stricte et aigrie avait tout fait pour que ses filles suivent ses traces. Si Hye Na excellait – comme dans tout ce qu’elle entreprenait, ce domaine et la rigueur demandée ne lui plaisait pas tant que ça, et avait laissé sa cadette lui prendre les rôles vedettes, défoulant de son côté cette rage de vivre et sa haine des pointes et des chassés par le taekwondo. Papa, qui avait été quitté par sa femme et laissé à Busan, en était fier, aussi de savoir sa fille surdouée et d’impressionner tout le monde lors des concours d’échecs et de mathématiques.  

Le retournement de situation dans la vie de Hye Na était pourtant ce qui lui avait mis la plus grosse claque. Ce petit bout de femme trop souvent confondu avec une petite chose inoffensive avec bien des crocs, et elle l’avait toujours fait savoir à l’école, en étant la peste en chef, harcelant certains de ses camarades les plus faibles d’esprit. C’était pour elle un moyen de garder le contrôle, de se prouver qu’elle n’était pas simplement manipulable. Mais l’être humain était capable de changer rapidement de camp, et si elle avait eu des personnes de son côté qui voulaient éviter d’être ses victimes, lesdites victimes et eux-mêmes c’était retournés contre elle quand ils apprirent qu’elle était enceinte. Un malheureux accident, dont le second coupable niait même les faits, la faisant passer pour une menteuse. Il était hors de question qu’elle demande de l’aide à sa mère, alors elle mit sa sœur dans la confidence, malgré la compétition que la matriarche avait instauré entre elle, sa cadette la couvrit alors que Hye Na était partie avec Kyung Ho, son cousin, jusqu’en Chine pour avorter. Mais le retour au pays était toujours plus difficile que jamais. Hye Na était fatiguée des demandes incessantes de sa mère, de devoir être la meilleure. Elle était fatiguée d’avoir une petite avec laquelle elle ne pouvait remplir réellement son rôle de grande sœur à cause de la compétition entre elles. Elle était fatiguée de ne voir que son père les week-end et pas plus. D’avoir une famille sous le feu des projecteurs, entre sa mère ancienne danseuse étoile, sa sœur populaire sur les réseaux sociaux et un cousin joueur de foot. Elle n’osait même plus retourner à l’école. Elle ne savait pas ce qu’elle voulait réellement dans sa vie, entièrement contrôlée par sa mère.

Alors, dans un mouvement de détresse ultime, elle sauta d’un pont, voulant noyer ses problèmes. Elle réussit, presque. Elle réussit même mieux. Elle se réveilla, sans souvenirs de ce douloureux passé, avec personne n’osant lui parler de son suicide.



⇝ it corners me, though you deny it, i'm hiding behind the ridicule, don't look for me ⇜